Run!
Plus que quelques jours, au Théâtre Royal du Parc : Oedipe, revisité par un auteur canadien Olivier Kemeid, à ne manquer sous aucun prétexte!
Mise en scène éblouissante: jeux de clair-obscurs et corps à corps bouleversants, voici le texte mythique de l’Œdipe de Sophocle replacé de façon résolument moderne dans la réalité mouvante de la caverne du 21e siècle.
Des écrans transparents glissent pour évoquer la prison de verre qui enferme chaque personnage. Des écrans translucides s’allument et s’éteignent comme dans le théâtre d’ombres asiatique. Approche globale oblige. Ces parois s’animent de fondus éclatés sur des rythmes de musique explosive, et crèvent comme la succession de jours et de nuits. Mais où donc est passée la lumière? La succession du Noir et du Blanc est tranchante et menaçante comme un tribunal. Et comment reconnaître le vrai du faux ? La rumeur de la vérité ?
Ce sera la tâche que se donne Œdipe : sauver la ville par la raison. Retrouver les meurtriers de son père qui ont attiré la colère des dieux et la malédiction qui s’est abattue sur la ville de Thèbes. Qui a tué Laios ? C’et Œdipe lui-même qui se charge de l’enquête. A la façon d’une intrigue policière il veut que le coupable soir jugé devant Créon, chef du tribunal. Dans un décor stylisé et dépouillé à l’extrême Œdipe ne cesse de se cogner à la réalité. Jocaste, elle, sait tout. Elle est seule contre l’ombre machiste de son défunt mari. Elle personnifie toutes les femmes : les mères, les sœurs, les amantes, les filles de joie…les consolatrices, toutes aussi impuissantes devant la folie humaine. Omnisciente car elle a la clé du mystère, elle va s’immoler, sacrifice ultime.
Voici Œdipe en corps à corps poignant avec celle qui lui a donné quatre enfants mais qui tait jusqu’au bout qu’elle est aussi sa mère. Des jeux d’ombre et de lumière projettent la narration de l’histoire que Jocaste révèle. Car c’est à elle, que l’auteur, Olivier Kemeid, rend justice, il lui donne enfin la parole. Elle a été la victime de Laios qui ne la respectait pas, elle a été saoulée et abusée et ainsi est né le malheureux Œdipe. Elle a supplié de pouvoir garder son fils, il lui a été arraché. On connait la suite de l’histoire. La tension dramatique devient aveuglante et incandescente, jusqu’à ce qu’Œdipe désespéré, abusé lui aussi, se fasse justice.
L’émoi de la ville est palpable et revient hanter le plateau à chaque découpage de scène. Il est représenté par cinq danseurs qui personnifient la violence du populisme sous tous ses aspects. Depuis la rumeur pernicieuse et la dénonciation jusqu’à la mise à mort, l’exclusion et l’épuration ethnique. La ville ne souffre pas seulement de famine, d’infertilité et de la peste ou le choléra mais aussi de la peur chronique de l’autre. La sphynge mordorée est revenue, seule couleur au tableau, sorte de peste brune qui à peine disparue revient encore plus pernicieuse. La foule a besoin de bouc émissaire, elle est toujours friande de drame.Elle aime se repaître des malheurs des autres, se poser en accusatrice ou en justicière. Les profils mouvants des cinq jeunes danseurs la représentent, cette « turba » dénoncée par les Anciens, ou cette « mob » haineuse, justement vilipendée par Shakespeare dans son Jules César. Musique, mouvement et murmures accusateurs se combinent pour forcer le trait et ouvrir les yeux du spectateur. La vérité sera aveuglante.
Œdipe, comme chez Sophocle est profondément humain. Gauthier Jansen, pour ne nommer que lui parmi les excellents comédiens, interprète magnifiquement le personnage. Son cœur bat généreusement et luttant pour la justice, il veut établir le règne de la paix. Il est courageux, il va jusqu'au bout, au risque de se détruire. Il est inscrit en chacun de nous, se révolte contre la folie de la malédiction divine. Il ne peut pas croire à sa culpabilité, sorte de péché originel qu’il ne peut laver que par l’exil et la cécité. Il représente toute notre souffrance humaine.
La qualité irréprochable des comédiens et des danseurs, le dynamisme extraordinaire du spectacle, la sobriété des textes mettent en scène la profondeur du drame de l’homme toujours seul devant son destin. Une pièce dense, extraordinaire de modernité et d’intensité. Lors du salut final, on découvre enfin la texture des costumes tous entre gris clair et gris foncé, les artistes nous lancent un ultime message… Rien n’est jamais blanc ou noir. Never forget !
Chorégraphe - Mise en scène: José BESPROSVANY
Avec:
Gauthier JANSEN
(OEDIPE)
Isabelle ROELANDT (JOCASTE)
Georges SIATIDIS (CREON)
Julien ROY (THIRESIAS + divers)
Georges SIATIDIS (CREON)
Toussaint COLOMBANI (LE
JEUNE HOMME)
Fernando MARTIN (Danseur)
Yann-Gaël MONFORT (Danseur)
François PRODHOMME (Danseur)
http://www.theatreduparc.be/spectacle/spectacle_2012_2013_003
http://www.mrifce.gouv.qc.ca/portail/_scripts/ViewEvent.asp?EventID=12397&lang=fr&strIdSite=BEL
Commentaires
Dénouement implacable
De la magie à la chorégraphie, le théâtre du Parc surprend par une volonté manifeste d’ouverture aux arts du spectacle. Cette nouvelle adaptation de la tragédie de Sophocle a de quoi surprendre, mélange froid d’ombres, de musique, de danse et de textes épurés, il fallait oser ! Cette modernisation d’un classique rafraîchit les mémoires d’une manière originale : pas de scènes interminables, de vers longs et fastidieux ou de dialogues pompeux. Une création du Parc, mise en scène par José Besprosvany, à découvrir.
Décors simples, épurés, mobiles, projections complémentaires donnant une perspective à l’ensemble, musique contemporaine, cette approche actuelle rappelle que la légende d’Œdipe est intemporelle. Elle peut être mise en scène comme un roman policier « Mais qui a tué Laïos ? », comme un drame psychologique « Œdipe cherche ses racines » ou comme une tragédie classique « La réalisation de l’oracle de Delphes ». Il y a ici un peu des trois.
La ville de Thèbes est ravagée par la maladie. Le peuple accuse les étrangers. Créon (frère de Jocaste) propose de retourner aux racines du mal et de trouver le meurtrier de Laïos (ancien roi de Thèbes et mari de Jocaste). Œdipe est chargé de mener l’enquête. Tiresias, aveugle, reconnaît la voix d’Œdipe : pour lui l’assassin de Laïos, c’est lui, il était présent lors du crime. Œdipe doute car il n’est pas conscient d’avoir tué Laïos. Les oracles ont prédit que si Laïos avait un fils, il tuerait son père et coucherait avec sa mère. Œdipe est-il le fils de Laïos ?
Cette chorégraphie théâtrale est étonnante et passionnante. Cinq acteurs se partagent les rôles : il y a le trio familial : Œdipe (Gauthier Jansen), Jocaste (Isabelle Roelandt) et Créon (Georges Siatidis) et quelques personnages secondaires (l’aveugle, un homme du peuple, Laïos…) joués par Julien Roy et Toussaint Colombani. Cinq danseurs interviennent très régulièrement, leurs mouvements rapides et ondulants symbolisent l’ambiance du moment. Les dialogues se résument à l’essence du récit, version simple et claire du texte original, parfois presque didactique. Mélange de moderne et d’ancien, la pièce pourrait séduire un très large public (moderne et ancien !) : une manière aussi d’intéresser les ados aux tragédies grecques. Bon théâtre !
Lire le très bel article d'une autre journaliste passionnée par le théâtre:
http://www.ruedutheatre.eu/article/2005/oedipe/?symfony=699c44ed482...