Notes sur la création
Peter Handke et Jean-François Billeter
« C’est quelque chose qui m’est apporté comme par le vent, de l’intérieur ou de l’extérieur – ou les deux à la fois ? Je suis assez bien entraîné maintenant, depuis toutes ces décennies, si bien que je pense de façon concise. Ce que j’ai pensé, malgré moi, a une forme étrange, sans même que j’aie la volonté ni l’idée d’une formulation. Je le note, et cela me fait du bien. Je tombe parfois sur ces phrases comme sur des messages, et je me dis : “c’est curieux, il n’y a encore jamais eu cette forme ou cette figure de phrase. Ce serait dommage que ce que ce vent m’apporte soit emporté loin de moi” – et alors je le saisis doucement, sans l’emprisonner. » Peter Handke, Une année dite au sortir de la nuit, traduction de l’allemand par Anne Weber, Le Bruit du temps, 2012, quatrième de couverture.
« Quand je m’installe au café le matin, je sais que je ne serai pas dérangé. Je pourrai suivre le développement de mes idées ou me laisser dériver en écoutant distraitement les conversations, laissant mes pensées libres de se rappeler à mon attention quand elles le voudront. [...] Ce qui m’importe, quand je m’installe ainsi, c’est de me sentir dégagé de toute obligation, même celles qui viennent de moi. [...] Quand j’atteins cette souveraine disposition, un vide se crée. De ce vide presqu’invariablement, au bout d’un moment une idée surgit. Je la note si le mot juste se présente [...] Ces moments délicieux de suspension, d’attente distraite, d’attention à rien – sont le départ de tout. Quand une idée va naître, il se produit un frémissement. Je concentre sur lui mon attention afin de la cueillir à l’instant précis où elle prendra forme, avant qu’elle ne se dissolve de nouveau ou ne se mêle à d’autres. Je dois être rapide, de peur que la perte ne soit irréparable – tel un héron qui attend au bord de l’eau, impassible, et d’un geste imparable saisit sa proie dès qu’elle fait surface Quand j’ai raté mon coup et que la pensée erre dans les parages, je reprends mon immobilité et j’attends qu’elle se présente à nouveau. Il arrive que la prise soit prématurée. Dans ce cas, je la relâche et j’attends qu’elle revienne mieux formée. Jean-François Billeter, Un Paradigme, Allia, 2012, pp. 7 à 9.
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