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Mon très cher Eminescu

Mon très cher Eminescu

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(15. 01. 1850 – 15. 06. 1889)

 

            Mon cher poète éternel,

            Ce matin, à peine réveillée de mon sommeil agité, je me suis précipitée vers la petite statuette en bronze sur la bibliothèque. Je l’ai prise dans le creux de la main et j’ai commencé à murmurer, mes yeux fixés dans tes yeux baignés de larmes: A l’étoile...

 

Jusqu’à l’étoile qui s’est levée
C’est un si long chemin

Que la lumière dut voyager

Des milliers d’années,

Pour qu’elle arrive enfin.

 

Elle s’est éteinte, depuis longtemps

Dans des lointains bleus

Et son rayon à peine maintenant

Put briller à nos yeux.

 

L’icône de l’étoile qui est morte

Monte doucement dans le ciel;

Elle y était sans qu’on la voie…

Et aujourd’hui, qu’elle n’y est plus,

Notre oeil l’aperçoit.

..................................................

                                     (Fragment du poème « A l’étoile » par Mihai Eminescu, 1886)

 

            Toi, qui connaissais tellement de choses, toi qui te perdais dans de longues discussions philosophiques avec Schopenhauer et Kant, toi qui avais lu les Védas et les Upanishad, toi qui jouais les lois de Kepler sur ton „auriculaire” et qui „t’es immergé dans les étoiles” pour étudier leur chair et leur esprit, toi qui avais un gentil mot pour tous tes prédécesseurs – toi tu es... Oh, j’ai tellement honte t’avouer ce qui a fait de ma nuit un jour, un jour amer...

            Avec de lourds cernes je regarde le ciel qui tout à coup est devenu noir et insipide. Pardonne-moi. J’ai éparpillé tous les livres de la bibliothèque et je t’ai fait voir la lumière, toi, qui es lumière! Je te prie de me pardonner; je ne t’ai plus feuilleté depuis un certain temps... Environ trois semaines, depuis le 15 janvier, le jour de ton anniversaire; tu as 156 ans déjà. J’ai retrouvé le volume „Poèmes”, sans couvertures, tel que je l’ai gardé depuis les années de lycée. Mes livres les plus aimés n’ont plus de couvertures, je leur ai dévoré et la mie et la croûte, je te prie de me pardonner... Je t’ai emmené ici, loin de Ipotesti, loin de ton tilleul tellement cher, car je devais t’avoir près de moi. Je t’ai posé à côté des autres poètes et écrivains roumains ou non roumains, Goethe, Schiller, Blaga, V.Voiculescu, Cioran, Baudelaire, Hugo, Caragiale, Ion Barbu, Cosbuc, Arghezi, Camus, Topârceanu, Anghel et d’autres, tant d’autres... Mais à quoi bon d’énumérer tous ces noms qui reposent paisibles sur les étagères? Tu te demandes, peut-être, pourquoi je me suis rappelé de toi ce matin.

            J’ai eu une très mauvaise nuit. Je me tortillais et à chaque fois que je me réveillais me revenait à l’esprit ce qu’un ami m’avait écrit hier: „Eminescu souffre de nouveau en Roumanie”. Et je me suis posée cette question: quel genre d’homme pourrait être celui qui n’aime pas la poésie d’Eminescu? A-t-il vraiment appris à lire? Et j’ai répondu: il y a des gens qui récitaient le vers d’Eminescu sans avoir appris à lire, car plus important que de lire avec les yeux c’est de lire avec l’âme.

            Mon cher homme de génie, je dois te dire qu’il existe une multitude des gens – académiciens, des gens ordinaires, intellectuels ou non – qui savent réciter par coeur tes poèmes et les aiment. Mais, je ne sais pas comment te dire... Il y en a d’autres qui ne te comprennent pas, aujourd’hui comme hier d’ailleurs, tu le sais bien; tu as lutté avec certains „épigones”, ceux d’entre eux qui t’ont harcelé; plus tu montais plus ils voulaient te descendre dans leur boue. Ils sont à nouveau sur tes pas, ils te guettent, mon cher rêveur génial, ils sont arrivés jusqu’au ce XXI-e siècle tellement „moderne” grâce à leurs „sentiments froids”, étant à la fois „petits en jours, grands de passions, des coeurs vieux, laids / Des masques souriants, bien mis sur des caractères ignobles”.

            Mon cher poète qui a tant aimé le monde, je ne sais pas comment te donner cette nouvelle... Je te blesserais avec cette vérité. Imagine-toi que les Anglais mélangent Shakespeare dans leurs intrigues politiques, en le tirant tantôt vers la part des conservateurs, tantôt vers celle des labouristes. Imagine qu’ils le déchiquettent dans des conflits ethniques ou religieux, qu’ils lui reprochent qu’il est trop périmé, car il est né quelques centaines d’années auparavant. Qu’ils douteraient de la qualité du poète universel, car il a vécu dans un passé trop lointain ou parce qu’il écrivait des mots d’amour trop „romantiques” pour notre époque cynique et prostituée.

Ne t’attriste pas! Ne pleure pas! Tu sais, n’est-ce pas, qu’ils ne méritent pas tes larmes, tous ceux qui font de „notre Dieu, une  ombre” de „notre patrie, une phrase” et pour lesquels „tout est vernis, tout est lustre sans base”. Ne pleure pas pour eux, petite statuette en bronze, qui as plus d’âme que certains „humains”. C’est toi-même qui écrivais il y si longtemps – comme si tu savais à l’époque que l’espèce homo-latrans seraient  arrivée dans notre temps d’aujourd’hui – tu écrivais „Vous, les critiques avec des fleurs stériles / Qui n’avez donné aucun fruit...” Ne pleure pas à cause eux!

Ils ont tué ton corps mais ils n’ont pas pu te tuer. Ne les écoute pas! Tu sais qu’ils n’ont aucun pouvoir sur ta statue de lumière. C’est toi-même qui disait dans le siècle passé: „leurs louanges, évidemment, m’offenseraient par dessus mesure”. Ils ne t’ont même pas lu, ils ne peuvent pas te comprendre ni avec leur esprit étroit ni avec leur âme boiteuse.

J’étais en train de dire que j’avais honte d’être d’origine roumaine; mais je me suis rappelée que toi aussi tu es roumain et que des dizaines de millions des gens du monde entier sont toujours des roumains et je sais qu’ils ont du mal à savoir que tu es malheureux. Nous faisons tous un mur autour de toi, non pas pour te défendre – nous n’en serions même pas capables – mais pour que tu nous défendes des misères du siècle.

Laisse ceux dépourvus d’âme et d’esprit rabaisser ta poésie, ta philosophie, ta prose; de ton oeuvre surgira pour des siècles et des siècles l’éternel, comme l’eau jaillit d’une fontaine bénie par la main sainte de Marie; ceux qui seront assoiffés s’y ressourceront.

Les mots que tu as fait naître à la lumière „d’une chandelle” et qui ont formé notre langue littéraire, ces mots ont apaisé nos âmes quand nous étions des enfants, quand nous fûmes des adolescents et ensuite quand nous sommes devenus des adultes et des vieillards. Ta poésie nous a enrichis et a enrichi l’univers et il est deux fois plus entier avec ton oeuvre.

Personne, jamais ne pourra t’éteindre ou au moins t’atteindre, car tu es Hypérion. Mon cher poète éternel, dis-leur encore une fois, car ils sont nombreux à ne pas te connaître ou d’autres t’ont oublié; dis-leur,  tout comme il y a plus d’un siècle:

 

Vivant dans votre cercle étroit

La fortune vous sourit,

Par contre, dans mon monde à moi,

Je me sens éternel et froid.

                                    (Fragment du poème « Hypérion » par Mihai Eminescu)

Ta sagesse est plus vivante que jamais; elle nous appelle non pas depuis la nuit ténébreuse mais depuis la lumière éternelle. Tes poèmes on devrait les réciter à genoux. Voilà, je m’agenouille pour que tu les pardonnes. Murmurons ensemble ces quelques extraits de ta „Prière”:

 

Notre reine, notre mère sainte,

Nous te prions à genoux,

Elève-nous, délivre-nous

De cette vague qui nous hante.

Sois bouclier de réconfort

Et mur de délivrance

Descends vers nous, vêtue d’aurore,

Oh, mère pure comme l’enfance!

Aide-nous maintenant qu’on soit bénis!

Eternellement vierge, Marie!

                             (Fragment du poème « Prière » par Mihai Eminescu)

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Antonia Iliescu

(8. 02. 2006)

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