Dernier spectacle de la saison 2017-2018, voilà un Macbeth de Verdi bouleversant hier soir à l’Opéra de Liège dans une mise en scène très inspirée de Stefano Mazzonis di Pralafera. A la fois une somptueuse conclusion de saison, gratifiée d’un déluge de costumes - les créations belles à couper le souffle de Fernand Ruiz - et une réflexion forte sur le monde. Comme si dans la moitié du monde déjà dans l’ombre, la soif effrénée de pouvoir avait ouvert ses ailes obscures et se mettait à dévorer l’humanité entière, d’Ouest en Est… Glaçant. Rien n’a changé entre l’Ecosse du Moyen-Age et le monde d’aujourd’hui. « Alla corona che m’offre il fato La man rapace non alzerò ». Vers la couronne que me tend le destin je ne tendrai pas une main avide! Hélas, ...Wishful thinking! En parallèle avec l’ambition dévorante de Lady Macbeth, on est percuté, par une spirale vertigineuse de vengeance meurtrière et d’orgueil démesuré. Et pire encore, c’est Verdi qui le dit, il y a le rôle clé du surnaturel et du très néfaste recours à la nécromancie pour forcer le destin. C'est lui qui déclenche la débâcle finale faite de trahison, de meurtres, de solitude et de folie sans retour.
Dès le prélude dramatique (roulements de tambours, éclats de cuivres, staccatos vibrants, marche déjà funèbre) où glissent inexorablement les figures jusqu’à l’échec et mat, l’histoire est transposée sur un échiquier présenté en miroir, dans un décor de Jean-Guy Lecat. Cloches fatidiques… la beauté a des côtés sombres et le reste est chaos.
Véritable vase d’expansion d’émotions denses et de climat dramatique, l’orchestre irradiant soutient l’ouvrage sous l’ample baguette de Paolo Arrivabeni, un chef déterminé et précis. Il sensibilise aux moindres replis de l’âme exaltée et machiavélique de Lady Macbeth. Il enlumine les ballets, de bois et de timbres grinçants. Il danse le sabbat avec les sorcières aquatiques et cornues en voiles turquoise sous la voûte étoilée, tandis qu’elles ne cessent de tirer les fils du destin et d’emmailloter les victimes comme dans une gigantesque toile. Il anime les larges coups de ballets où revient en force l’esprit démoniaque…signés brillamment par Rachel Mossom et la fabuleuse Compagnia Del Centro di danza Baletto di Roma. Il développe une tension théâtrale constante à travers de magnifiques cuivres, les tissages soyeux de violons d’une grande finesse, et les amplifications musicales prodigieuses des sentiments exacerbés.
Le chœur spectaculaire sous la direction de Pierre Iodice « ouvre les portes de l’enfer et engloutit la terre ! » et préfigure l’amplitude de celui de Nabucco… C’est tout dire! Le "Patria oppressa" déborde de larmes.
Si Verdi souhaitait une « Lady laide, méchante qui dispose d’une voix rauque, étouffée, caverneuse… », la scène liégeoise accueille une star d’une présence incomparable, d’une agilité rythmique d’un autre monde et une voix de tragédienne accomplie. Tatiana Serjan dans son rôle de Lady Macbeth, connaît un succès foudroyant. Elle a chanté ce rôle depuis Turin en 2002 plus de 300 fois, fréquentant les scènes les plus prestigieuses : la Scala de Milan, à l’Opéra de Rome, au Teatro Comunale de Bologne, au Mai musical florentin, au Teatro Regio de Parme, au Teatro Massimo de Palerme, au Festival d’opéra de Ravenne, à la Staatsoper de Bavière (Munich), à la Deutsche Oper de Berlin, au Teatro Real de Madrid, au Liceu de Barcelone, au Théâtre national de São Carlos de Lisbonne, à l’Opéra de Zurich, à l’Opéra de Dallas, au Lyric Opera de Chicago, à la Staatsoper de Vienne ou encore aux festivals de Bregenz et Salzbourg, et maintenant, à L’Opéra de Liège. Son entrée en scène pour convoquer les forces du mal, est puissante, incantatoire et pleine de feu et de profondeur. Sa grande scène de somnambulisme est un suspense déchirant. Cela commence sotto voce, la lanterne à la main, parcourant un à un les carré lumineux de l’échiquier comme lors d’une descente aux enfers, va-t-elle percevoir l’horreur de ses crimes ? Ou la folie obscurcit-elle totalement son cerveau, elle qui essaie vainement de se débarrasser des taches de sang sur ses mains? En contraste saisissant quelle pureté de voix dans le duo qui l’observe, le médecin et la suivante : Roger Joachim et Alexise Yerni… Elle est aux côtés de l’impressionnant baryton Leo Nucci, 76 ans, véritable légende du chant verdien, qui interprète Macbeth de façon héroïque et terriblement humaine, formant avec elle un ensemble fantastique et triomphant. Le poignard vibre, Macbeth résonne jusqu’au fond des cœurs et soupire: « Je meurs haï du ciel et de la terre, Vile couronne ! »
À leurs côtés, l’on remarquera le ténor Gabriele Mangione en Macduff et la basse Giacomo Prestia en Banco.
La distribution est brillament complétée par Papuna Tchuradze (Malcolm), Alexise Yerna (Dama di Lady Macbeth) et Roger Joakim (Medico & Sicario).
ma.12, je. 14, me. 20, sa. 23, ma. 26 juin 2018 | 20h > di. 17 juin 2018| 15h
Opéra Royal de Wallonie-Liège Place de l’Opéra - B-4000 Liège
Infos/réservations : +32 (0) 4 221 47 22 | www.operaliege.be
En direct le je. 14 juin à 20h30 sur culturebox.francetvinfo.fr
Suivez la diffusion sur Culturebox, disponible en replay, du spectacle Macbeth de Verdi à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège.
Avec Paolo Arrivabeni à la direction musicale, dans une mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera, avec Leo Nucci, Tatiana Serjan, Gabriele Mangione, Giacomo Prestia, Basso, Papuna Tchuradze, Alexise Yerna, Roger Joakim, Dominique Detournay, Ludivine Scheers, Marc Tissons
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Dans le cadre de la Fête de la Musique à Liège, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège vous invite à un concert exceptionnel le vendredi 22 juin à 20h : Tout Verdi !. Dirigés par le Maestro Paolo Arrivabeni, l’Orchestre et les Chœurs de l’opéra interpréteront des extraits d’Aroldo, Macbeth, I Lombardi alla prima crociata, Otello, Il Trovatore, Giovanna d’Arco, Don Carlo et I Vespri Siciliani. Ce concert est accessible gratuitement sur réservation auprès de la billetterie ou sur le nouveau site.
En outre, une activité ludique sera proposée gratuitement et sur réservation dans la journée du samedi 23 juin, à 11h et à 14h : un atelier chant, au cours duquel le public aura l’occasion d’apprendre quelques exercices vocaux accessibles, découvrir son type de voix et chanter un extrait d’opéra sur la scène !