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Le roi de l'inattendu

Le roi de l’inattendu

Antonia Iliescu

J’écris sur une musique de flûte. J’ai reçu cette cassette de Paul D., un professeur belge, qui aimait beaucoup la musique roumaine. A peine maintenant, quand il n’est plus de ce monde, je me rends compte que je ne l’ai pas connu par hasard. En réécoutant sa musique préférée, je l’entends pleurer dans une « doïna », cette musique de larmes, de chez nous, jouée à la flûte (enchantée) par Nicolae Pîrvu et Simion Stanciu, « mes amis roumains » comme il avait l’habitude de les nommer.

J’ai connu Paul à l’Athénée de Marchin, un grand lycée de Huy, où j’ai donné des cours. Un jour je déjeunais à la cantine de l’école. Un vieil homme dodu, volubile et d’une extraordinaire érudition, m’a adressé la parole avec la plus grande sérénité :

- Madame, vous avez un accent... D’où venez-vous ?

- Je suis d’origine roumaine.

- Ah, mais j’ai des amis roumains ! Simion Stanciu et Nicolae Pîrvu ! Excellents artistes ! Je vous donnerai une cassette… Donnez-moi vos coordonnées.

C’est ainsi que je me suis liée d’amitié avec cet homme extraordinaire, modeste et seul ; il ressemblait à un petit nain de jardin sorti d’un conte de fées. Les amitiés naissent rapidement, presque à la vitesse de la foudre, sans te prévenir ; pourtant elles persistent éternellement, comme de vrais œuvres d’un art sublime.

Nous avons convenu de se revoir en été. J’ai promis à Paul d’écrire « sa vie », en ne sachant ni comment ni quand j’aurai l’occasion de publier son témoignage. Voici le texte écrit trois ans auparavant :

 

Paul D. habite près de la Chapelle de Marchin, dans le pays du Condroz. Une zone de douces collines qui dépassent à peine les 200 mètres d’altitude, de nombreuses fermes et villages compacts, propres et silencieux, construits en « pierre du pays », qui alternent avec des vastes zones arboricoles appartenant à quelques grandes fermes isolées, voici ce qu’est le pays du Condroz. Cet espace « mioritique » wallon est situé entre, au nord, une Wallonie industrielle et au sud le plateau ardennais. C’est une zone touristique d’une rare beauté, où la pierre et la forêt se font de la place l’une à l’autre, pour mettre au monde l’harmonie du relief qui encadre les rivages de la Meuse.

Hier, vers 10h30, j’ai pris le volant. J’ai acheté un poulet rôti, une tarte aux fraises et une bouteille de vin et j’ai rejoint la petite maison blanche au fond du parc, où se trouvent les pavillons de l’internat de l’école. « Lui aussi a une maisonnette blanche, tout comme moi ».
            La petite maison, sise tout près de l’Athénée Prince Baudouin, dans un parc aux arbres séculaires, avait une façade vieille et écorcée comme une peau usée par le temps.

- Je suis le roi de l’inattendu - me dit monsieur D. Mon petit neveu m’a surnommé ainsi. Et c’est vrai, j’ai vécu une vie extraordinaire ! 

Le roi de l’inattendu m’attendait en face de la maison. Il était inquiet, car j’étais en retard – je m’étais égarée du chemin. Il était pâle, avec une couleur tournée au blanc grisâtre, la couleur d’une mort proche et inévitable, la couleur des cancéreux. Paul (c’est lui qui m’a dit de l’appeler ainsi) est un homme corpulent, il porte des lunettes et il est très seul. Madame la préfète l’avait mis en face de la grande scène de la sale de gym, le dernier jour d’école lors de la remise des prix. Il était gêné, embarrassé de rester planté là, sans rien dire, sans rien faire, comme un vieil animal oublié dans une cage. Il y avait plusieurs personnalités de l’école et du village : le bourgmestre, l’économe de l’école, M. Durrier et le Chat, madame la Préfète et la prof de français, Kangourou et Marc. Ils prenaient la parole un par un. Seul Paul restait immobile et pâle comme un jour sans soleil. « Il doit être malade » - me dis-je quand je le vis à l’école, à la festivité de clôture. « Il est sûrement malade » - ai-je pensé hier quand il m’a pris la main et on s’est donné la bise.

Il m’invite dans le petit salon qui sent fort la moisissure et où l’air est irrespirable. De vieux meubles dépoussiérés témoignent de sa solitude. Il m’avait déjà dit qu’il vivait seul « - Votre mari n’est pas jaloux ? » me disait-il en clignotant de l’œil. Il avait perdu toute sa famille : sa femme, morte d’un cancer, son fils, mort dans un accident de voiture, lors d’une crise d’épilepsie, sa fille s’était suicidée à 47 ans. Tous étaient morts y compris frères et sœurs. Il lui restait seulement un neveu, celui qui l’avait baptisé Le roi de l’inattendu. Il était en Angleterre pour le moment et il avait épousé une angolaise qui venait de Portugal.

- Ma femme, - la voici sur cette photo - était un être exceptionnel. Pour nous ce fut le grand amour dès qu’on s’est rencontré à l’Université de Liège. Un vrai coup de foudre. Nous étions tous les deux étudiants en lettres. Je suis professeur de langues germaniques ; j’ai enseigné l’anglais, l’allemand et le néerlandais. Elle avait un sacré tempérament.

- Elle était indienne ou tzigane ?

- Non, elle était née ici mais elle aimait s’habiller comme les indiennes ou comme les tziganes. Tu sais que les tziganes sont une branche des indiens ?

- Oui, je sais. J’aime la culture bohémienne, mais je n’aime pas quand ils volent. A la police ils disent alors qu’ils sont des roumains. Et les occidentaux disent que les roumains sont des voleurs. Ce qui n’est pas toujours vrai. Tous les belges ne sont pas des pédophiles, tous les roumains ne sont pas des tziganes et tous les tziganes ne sont pas des voleurs.

- Bien entendu. Ma femme a l’air d’une tzigane. Pourtant, elle ne l’est pas.

Les yeux perdus dans des souvenirs lointains « oh, quelle femme j’ai eu !…. », Paul saute du coq à l’âne, sans se rendre compte :

            - Je ne m’endors jamais sans jouer au piano le premier prélude de Jean Sébastien Bach. J’ai deux doigts abîmés ; pourtant je peux encore jouer ; je suis un autodidacte en la matière ; mon père jouait de l’orgue, mon oncle, qui était prêtre, jouait aussi de l’orgue à l’église ; ce sont des gènes de famille. Je suis professeur de lettres germaniques. J’ai enseigné l’anglais, l’allemand et le néerlandais. Mon ami… Comment il s’appelait ?… Vous savez ? Je suis tombé d’une échelle d’une hauteur de 6 mètres - (Paul se moque de lui) - je suis tombé sur la tête. (Il rit).C’est un vrai miracle comment  j’ai pu échapper à la mort ou à une paralysie de la colonne vertébrale. Je coupais le lierre juste ici (il me montre le lierre en dessous de la fenêtre du salon). Je travaillais depuis des heures en plein soleil, en maillot de bain et sans chapeau. J’ai fait une insolation. On m’a emmené à l’hôpital de Bavière, car ici à Huy… C’est ici que l’ambulance m’a emmené en premier mais il n’y avait pas de places. Alors on s’est arrêté à l’hôpital de Bavière. Le professeur Bonnal qui venait de Marseille…

Ici Paul change de sujet. Il essaye de me raconter l’histoire triste de sa solitude : « ma femme est morte d’un cancer et mon fils… »

- Oui, je sais, vous …

- Toi, s’il te plait…

- Oui, toi… tu m’avais déjà dit tout ça. Qu’est-ce que tu disais de ce professeur ?

- Ah, le professeur Bonnal, ce cher professeur de l’inattendu !  Moi j’entrais par la porte de l’hôpital en ambulance, avec une vertèbre cervicale réduite en morceaux, pendant que le professeur entrait par une autre porte de l’hôpital pour tenir une conférence. Il avait trouvé une nouvelle méthode d’opérer sur les vertèbres cervicales. Je lui ai servi de cobaye. “Veux-tu que je t’opère? Oui, je le veux bien!” Il a découpé un petit morceau rond ici – il me montre sa hanche droite – et il l’a collé entre les deux vertèbres saines. Et ça a marché, figure-toi. C’était ma seule chance et je l’ai eue ! Sacré destin ! Tout ma vie a été comme ça : des coïncidences bénéfiques au moment approprié.

Paul aime les étoiles. Il change de sujet:

- J’ai ici un atlas stellaire. Quand il fait clair j’essaie de lire dans le ciel ce que je vois dans cet atlas.

- Tu sais Paul, moi aussi j’aime les étoiles. (Paul semblait ne pas m’avoir entendue. Il se concentre afin de se souvenir des choses importantes de sa vie « extraordinaire »).

- Keyon, était météorologue ;  (Keyon signifie « oncle » en wallon – explique Paul). Les gens l’appelaient Monsieur Jadot et il avait un mètre nonante et était importateur de vins. Il avait aussi une mémoire extraordinaire. Il savait réciter entièrement la tragédie Bérénice de Racine.

- Bonjour, Boubien…

- Mais, Keyon, qu’est-ce que ça veut dire Boubien ?

- Boubien, tu ne sais pas ?! C’est quelqu’un qui ne trouve jamais rien. – Et c’est vrai, je suis très distrait ; je l’ai été depuis toujours, pas uniquement maintenant à 80 ans ou après être tombé de l’échelle; tu vois ? Je note tout, ici, dans ce cahier. Hier j’ai vu tel film à telle heure ; j’ai fait ceci, j’ai fait cela. Ici c’est ma vie de tous les jours. « Alzheimer ? » - je demande. « Non, mais quelque chose dans ce genre »…

Il reprend :

- Keyon, veux-tu me réciter un acte de Bérénice ?

« Veux-tu que je te le récite du bout à l’envers ? – dit-il» – Et il l’a récité sans la moindre difficulté. Il était d’une exactitude extraordinaire. Les gens disaient : « lorsque M. Jadot passe, nous mettons les pendules à l’heure ». Mon premier appareil photo - un « Laika » - je l’ai reçu à 10 ans contre des bonus pour les chocolats…

Paul divague et parle du bon chocolat qu’il adore « notre chocolat Côte d’or » célèbre dans le monde entier qui a été fabriqué pour la première fois en ‘58, lors d’une exposition internationale à Bruxelles.

- L’Atomium a été présenté lors de cette même occasion, n’est-ce pas ?

- Ah, tu connais donc quelque chose à ce sujet…

- Et comment! Je l’ai vu de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. Impressionnant !

- Il fut créé par Mr. A. Waterkeyn. Il commença la construction dans les années ’55 et fut terminé trois ans plus tard, en ’58. Mais sais-tu ce qu’il représente ?

- Evidemment ! C’est une cellule du réseau cristallin du fer. Elle a dans les huit coins du cube, huit ions de Fe2+ et encore un ion Fe2+ au centre. On m’a dit que chaque ion de fer a un diamètre de 30 mètres et pèse 2400 tonnes.  

- Sais-tu que tout est représenté à l’échelle ? Il s’agit d’un agrandissement de 165 billions de fois la taille réelle de la cellule. Chaque ion  Fe2+ devient alors une salle sphérique, comme tu as dit. Quand tu manges dans un restaurant de l’Atomium, tu peux imaginer que tu déjeunes à l’intérieur de l’un de ces ions Fe2+. Fascinant!

- Oui, absolument fascinant. Tu peux aller d’un ion à l’autre en prenant l’ascenseur ou l’escalier roulant qui passent par « les liaisons chimiques » entre les ions et les électrons (non figurés, car trop petits par rapport aux ions positifs de fer). Les liaisons chimiques ne sont autres que les bras métalliques qui lient les sphères. Les escaliers roulants circulent à l’intérieur de ces « liaisons », tout comme les électrons, liant les ions positifs.

- Allez ! Nous nous sommes perdus tous les deux dans le réseau de fer… Qu’est-ce que je disais avant ?

- Tu racontais l’histoire du chocolat « Côte d’or ».

- Oui… Notre chocolat belge « Côte d’or » a été présenté à l’exposition internationale de Bruxelles, en ’58. Ce chocolat était fabriqué au pavillon « Côte d’or » et c’est ainsi qu’on l’a nommé après, quand on a décidé de le fabriquer à grande échelle. » J’ai fait des photos avec cet appareil Laika pendant 40 ans... Sais-tu quand je suis né ? Le 11.11.22. Je ne peux pas cacher un « ah » d’étonnement…

- C’est le jour de l’Armistice. Pour mon anniversaire, l’année passée, mon petit fils m’a fait une surprise ; il avait réservé 16 place dans un résto ; ils étaient tous là : mon petit fils et sa fiancée et ma nièce de San Francisco, qui a fait une fugue à 14 ans et elle a fait aussi du parachutisme et des études ; elle a reçu une bourse à Toronto et n’est plus jamais revenue jusqu’à ce jour-là, pour mon anniversaire. … Paul perd le fil…

- J’ai eu aussi une fracture du crâne lors de cette chute terrible et ça m’a coûté quelque chose ici, dans l’hémisphère gauche... Le centre du raisonnement.

- Mais votre raisonnement est très bon, Paul. Continuez, sans faire attention. Tout ce vous dites est intéressant.

Je savais combien les vieux aiment leurs souvenirs ; ils vivent au même rythme que les images sorties de leur cerveau pour en faire part à leurs interlocuteurs, le plus souvent ennuyés. Ils sont heureux, ils sont jeunes, ils oublient leur malheur – « J’ai un cancer de prostate ; j’ai été opéré mais il est toujours là… J’ai perdu ma femme et mes deux enfants et même le premier petit enfant est mort aussi dans son berceau ; ma vie a été tellement bouleversée la dernière période ; par contre elle a très bien débuté ; ma femme – magnifique femme ; quel tempérament !… Je n’ai plus fait l’amour depuis une vingtaine d’années ; la dernière fois c’était une année avant la mort de ma femme… Votre mari n’est pas jaloux ?»

- Mais non, certainement pas. Mes meilleurs amis sont parmi les enfants et les vieux. Avec eux, aucun danger, mon mari le sait bien… Alors ? Continuez Paul ! Etalez tout ce vous voulez, je suis ici pour écouter et pour prendre quelques notes de temps en temps… Dites moi comment l’école d’ici a vu le jour ; cette école où j’ai enseigné moi-même cette année ; ça m’intéresse son histoire...

Il reprend le fil de ses souvenirs :

- Le 14 septembre ’44 c’était la libération de Huy. L’armée américaine est entrée à Huy pour chasser les allemands. C’est alors que j’ai fait la connaissance de ma femme ; nous étions étudiants. Je venais d’une exposition Marc Chagall organisée à Liège. J’étais dans un train qui m’emmenait à Bruxelles quand j’ai rencontré Jean. Je le connaissais depuis longtemps ; nous avons fait l’école ensemble et ensuite nous avons travaillé ensemble comme brancardiers à Lourdes. Il était en soutane.

- Tu es prêtre ? 

- Oui, nous venons de créer en ’42 une école pour les orphelins de guerre.

- Où ça ? 

- A Marchin.

- Où ça à Marchin ? Il y des usines là-bas.

- Mais oui. C’est près de l’usine. A Fourneau. On doit fermer l’école Prince Baudouin. « A l’époque l’Athénée Prince Baudouin était une école privée des anciens combattants de guerre. Et il n’y avait plus des fonds… » - me renseigne Paul.

- Je sais que l’Athénée Prince Baudouin ferme les portes – je dis à mon copain.

- Mais non, on ne ferme rien ! J’y vais donner des cours là-bas ! – me dit Jean. Et c’est comme ça que je suis arrivé ici à Marchin. J’y ai mis le pied, j’y ai mis mon âme. J’ai été aussi traducteur…. L’Université Marabout m’a proposé une traduction d’une biographie, en anglais, de Gandhi; 500 pages… J’ai utilisé seulement 10 fois le dictionnaire. L’auteur de cette œuvre étai B.R. Nanda. On l’a publiée en ’69 pour fêter le 61-ème anniversaire de Gandhi. Après l’apparition du livre j’ai reçu un télégramme : « Le Gouvernement indien a le plaisir de vous inviter de faire un voyage de 3 semaines en Inde ». Tout était gratuit, le transport, le logement et les services. Magnifique ! Quelle vie extraordinaire j’ai eu ! Le Gouvernement avait nommé un émissaire pour venir tous les jours me demander si j’étais content. Je suis devenu tout d’un coup une grande personnalité. J’ai visité Bombay, Delhi,  Calcutta… Je descends à Bombay  pour prendre l’avion vers Delhi. Là je suis invité à un congrès ayant comme thème : « Que sont devenues les idées de Gandhi ? » Entre autres l’Abbé Pierre y participait aussi. J’entre dans la sale de congrès où il n’y avait qu’une seule personne. Il se présente : je m’appelle Nanda. Quelle coïncidence ! Il m’invite chez lui ; en fait nous habitions le même hôtel, mais on l’ignorait tous les deux. Il me demande si je voulais aller avec lui au Taj Mahal. « Oui, je veux bien. »

Le lendemain on est allés à la gare. Quelle foule sur les perrons ! Les gens se couchaient sur le bord du trottoir dans l’attente des trains. Une voix se fait entendre à travers un hautparleur : « Sarep Düchezni ! Sarep Düchezni ! »

- C’était quoi ce Sarep Düchezni ?

C’était un messager qui criait mon nom à l’interphone, en langue indienne. Il me cherchait parce que le Gouvernement indien s’était décidé à ajouter au train un grand wagon – salle à manger, living, salle de bain, dortoir… Et je n’avais que pour 2 heures à voyager dans ce train. Le wagon avait été créé pour le vice-roi des Indes, Lord Mountbatten. Ce qui me gênait dans toute cette affaire c’est que nous voyagions seuls avec un domestique au turban ; les indiens ne pouvaient pas entrer et, curieux, ils s’accrochaient à la porte extérieure et y pendaient comme des raisins noirs. Mon compagnon entame une conversation sur les hindous :

- Vous savez que les hindous n’ont pas des toilettes comme les nôtres ; ils ont certains rituels, par exemple il leur est interdit de manger avec la main gauche ?

- Pourquoi ?

- Parce qu’ils s’essuient le derrière avec la main gauche ; et ils mangent et préparent leur repas toujours avec la main droite. Il y avait des petites maisons à 500 mètres environ près de la gare où les gens venaient faire caca tout au long du chemin de fer, devant ces maisons, en faisant leur prière.

- Je connais une école nommée Kalakshetra à 25 km de Madras. J’étais invité à suivre un cours de danse et de musique. Il faut 3 ans pour apprendre rien que la position des doigts, car chaque position dit quelque chose ; on peut devenir une danseuse à partir de 18 ans (il faut du temps). Ravi Shankar n’était pas là. A la sortie le gouverneur me prend en auto et me dit :

- Vous avez entendu à la radio que le lauréat du prix Nobel de littérature B. Russel est décédé. (C’était dans les années ’70). Il y a 200 étudiants en philologie qui vous attendent.

- Pourquoi ?

- Pour leur parler de Russel. Ils attendent un discours.

Figure-toi, 200 étudiants assis en fleur de lotus autour d’une estrade pleine de bougies et encense. Je leur parle de Bertrand Russel. Heureusement j’avais lu 3 mois avant un livre de Russel, en faisant l’inventaire des livres sur l’éducation, pendant une période de stage à l’Université de Liège. Ca c’est formidable, car je n’ai pas cherché ce livre ; il est tombé sur moi, comme ça, du ciel.

- Moi aussi j’ai souvent ce genre d’expérience étrange ; il semble que certains livres nous comprennent et nous cherchent ; ils sautent à nos yeux, juste à temps. Dès que je me pose une question plus profonde, qui nécessite beaucoup de connaissances et d’explications, je tombe sur un livre. Et ce livre-là me dévoile tout le secret. J’ai toujours dit que les livres sont mes amis les plus sincères ; ils n’hésitent pas à te donner des solutions insoupçonnées à tout genre de problèmes.

- Oui, t’as raison. Alors pour moi c’était facile à leur parler de Russel. (Il ajoute en riant) : Plus difficile c’était de rester là sur le petit podium, en position de fleur de lotus…  J’aurai 81 ans bientôt. J’ai commencé la conférence avec une citation de Russel : “L’ennui dans ce monde c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes ». Ils m’ont applaudi. Je leur ai dit certaines choses sur l’homme qui fut Bertrand Russel, sur son éducation. Il était d’origine noble ; son père était comte et lord. Ils étaient tous très religieux, surtout ses grands-parents qui l’ont éduqué après la morts de ses parents. Depuis sa petite enfance il était dépressif. Il a guéri avec la géométrie d’Euclide. Plus tard il a formulé le célèbre « paradoxe de Russel », quelque chose liée à la théorie des ensembles, je ne pourrais pas t’expliquer davantage, car je ne connais rien en maths. Par contre, je me souviens du « paradoxe du barbier », toujours de Russel. Tu le connais ?

- Non…

- Le paradoxe du barbier dit que « le barbier dois raser seulement les gens qui ne se rasent eux-mêmes ». Mais alors, le barbier, qui le rase ? Ne se rase-t-il pas aussi ? Si on prend pour de bonne l’affirmation de tout à l’heure, le barbier devrait rester à jamais non rasé ! Il était aussi mathématicien et philosophe. Il a eu des idées pacifistes et s’est aligné à Einstein ; ils luttaient contre la prolifération des armes atomiques. Il a fait plusieurs années de prison pour ses idées pacifistes. Il a sympathisé un certain temps avec les bolchevistes et s’est même rendu en URSS, dans les années ’20 ; mais il fut vite de retour, vite et dégoûté.  Il a renoncé dernièrement au bolchevisme et il s’est mit à étudier sérieusement la philosophie. Il a ouvert une école. Il a été un éminent éducateur humaniste. Il a eu beaucoup d’enfants mais aussi beaucoup de mariages, 4 je crois… dans les années ’50 il a eu un prix Nobel de littérature et pour tout ce qu’il avait fait pour notre monde toujours agité. Il a donné des cours en Chine, URSS et Amérique. Mais aux américains il ne plaisait pas beaucoup, surtout après la prise de position contre la guerre au Viêt-Nam. On l’a mis dehors sous motif qu’il n’était pas « moralement adapté ». Il a révolutionné aussi la philosophie avec « la philosophie analytique » et « l’atomisme logique ».

- Qu’est-ce qu’il a écrit comme livres ?

- Je me rappelle deux livres philosophiques : « Signification et vérité » et « La connaissance humaine».

- Je n’ai rien lu de Russel… J’aurais voulu assister à cette conférence.

- Le hasard fait que des élèves de 5e et de réto veulent que je leur tienne une conférence dans le Pavillon Bayard, ici à l’Athénée de Marchin.

- Toujours sur Russel?

- Toujours sur Russel.

- S’agit-il de mes élèves que j’ai eus cette année?... (Paul semble ne pas m’avoir entendue et continue à avancer avec la hache à la main parmi ses souvenirs) :

- En Inde, M. Nanda me propose d’aller chez lui. On va ensemble dans une famille musulmane. Ils croient en Allah.

- Oui, mais c’est le même Dieu, comme chez nous, les chrétiens ou comme chez les juifs.

- C’est ça. Tu connais les Témoins de Jéhovah ?

- Oui, ils sont parfois insistants...

- Je ne les laisse jamais entrer chez moi. Ils s’énervent alors et me demandent « pourquoi ? » Je leur réponds : Parce qu’Allah… ». « Quel Allah ? Yahvé ! »  - disent-ils. Et je leur réponds : « Messieurs, vous m’avez donné la clé de toutes les guerres des religions ».

Paul plonge dans ses pensées. Il se souvient. Après une courte pause il reprend :

 

- Le Père Pire est mort en ’69 à Louvain, suite à une opération non réussie. Il n’avait que 59 ans. Mais qu’est-ce qu’il n’a pas fait pour le bien des hommes, surtout pour les pauvres… C’est lui qui a inventé les camps de réfugiés. Le premier du genre fut construit dans les années ’50, par lui. Il a eu le prix Nobel de la paix en ‘48 ou ‘58… Je ne me souviens plus. Je crois que c’était en ‘58. Apparemment il était un dur. Il a été aussi aumônier à l’armée. Il a eu une enfance malheureuse. La première guerre mondiale éclata quand il n’était qu’un petit gosse. Les siens se sont alors réfugiés en France. Son grand-père, qui a refusé l’exil, a été fusillé devant sa maison à Dinant. Son père était un homme très rigide. Je crois que c’est à lui que Père Pire ressemblait, mais il avait aussi l’une de ces bontés ; il prenait pitié de tous les malheureux, de tous les réfugiés, de tous les pauvres. Il a créé les Iles de Paix, trois ou quatre en Inde et une en Guinée.

- C’est quoi ces « îles de paix » ?

- Ce sont des lieux spécialement créés pour les pauvres, pour qu’ils puissent apprendre à lire et à écrire. Ces « îles » se sont étendues dans le monde entier. Il avait une faiblesse pour tous ceux qui étaient en détresse et il ne faisait pas la distinction entre les religions ; «parmi les gens d’autres confessions je me sens comme le poisson dans l’eau” – disait-il souvent.

Il a fait partie de l’ordre des Frères Dominicains de Huy, au Couvent de Sarte, là où il est entré à 18 ans.

- Paul, comment ça se fait que tu sais autant de choses sur lui…?

- Mais comment?! Il habitait à seulement quelques kilomètres de chez moi. On se connaissait. Il a fait aussi des études de philosophie et de théologie et devint prêtre. Une grande personnalité ! Il a aussi étudié les sciences politiques à l’Université de Louvain. Il a été aumônier au temps de la résistance, pendant la deuxième guerre mondiale. Ensuite il est revenu à Huy où il s’est occupé des enfants pauvres, lui avec les sœurs du Couvent. Il avait une vraie vocation pour tout ce qui est lié à l’homme. Il a beaucoup aidé les réfugiés des camps. Il a fait construire surtout en Allemagne et en Autriche, des villages pour les familles qui avaient fui le régime soviétique et de l’Europe de Est, pendant la période stalinienne. Au total 7 villages, qui étaient construits pour l’intégration des réfugiés. Il a fait beaucoup pour les vieux aussi. De tous s’est occupé Père Pire, avec son cœur large comme la terre. Il recevait des centaines de lettres de tous les pays « Nous voulons venir construire des maisons. »

- C’étaient des villages pour l’accueil des réfugiés ?

- Oui, c’est ça. Un jour père Pire vient chez moi :

- J’ai envie de créer le Centre Mahatma Gandhi à Huy. (Ce centre se trouve maintenant à Namur). Il s’est déplacé spécialement pour me dire ça. Entre lui et Gandhi c’était une grande ressemblance : tous les deux avaient la vocation de la charité envers l’espèce humaine. Il voulait donc créer un centre Mahatma Gandhi à Huy. Et il l’a fait dans les années ’60, ce centre à Huy - Tihange. Après trois ans il est devenu « Université de paix”.  Il a eu en ’77 le Prix Schweitzer de la philosophie et de la culture. Mais Père Pire était déjà mort, depuis ‘ 69, je crois. Toutes les associations fondées par Père Pire, les cellules de l’Université de paix, sont implantées ici, à Huy, rue du Marché, tu connais. L’Université de Paix a été reconnue comme école associée du système UNESCO et dans les années ’87 elle a reçu le Prix " Messager de la Paix " des Nations Unies. Colossale !

 

Paul plonge dans ses pensées, absent. L’un de ces trous de mémoire ?... Je l’aide :

- Quelles étaient les relations entre vous et vos élèves ?

- Je ne faisais rien sans demander l’avis de mes élèves. Ils étaient respectueux, gentils. Je leur enseignais au cours de français les textes de la musique des Beatles. Ma femme m’a dit un jour : « Invite-les chez nous ! ». Et je le fais depuis lors tous les samedis soir. Je leur faisais écouter de la musique classique, du jazz et de la musique ethnique. Ils ont aussi écouté la musique roumaine, tu sais le naï de Pirvu et Simion Stanciu ; je t’en avais parlé il y a quelque temps. J’ai ici une cassette que j’ai préparée pour toi. Ce sont eux-mêmes, les interprètes, qui me l’ont donnée, lors d’un concert à Bruxelles.

Paul se dirige lentement vers la pièce d’à côte, en se tenant aux meubles. D’un vieux petit placard en bois il fait sortir une cassette :

- Sur la face A c’est Nicolae Pîrvu. Sur la face B c’est l’orchestre symphonique de Zürich qui accompagne Simion Stanciu, l’ami de Gheorghe Zamfir. L’orchestre lui a proposé de remplacer la flûte traversière avec le naï dans la suite en si mineur de Jean Sébastien Bach. J’ai enregistré aussi un peu de musique jouée par Gheorghe Zamfir et quelques morceaux du Banat.

(En tremblant d’émotion, je fais sortir de mon sac un CD avec quelques-uns de mes enregistrements, que j’avais préparés spécialement pour Paul. Notre geste était fait dans un miroir). Après ce court intermezzo, Paul reprend la discussion interrompue :

- Mes élèves m’ont dit : « Nous demanderons auprès du M. le préfet de nous tenir un cours sur l’histoire de la musique. »  Ils n’ont pas eu de succès et pourtant je leur ai tenu ce cours tous les samedis soir, chez moi, en les faisant écouter de la musique. J’ai toujours aimé la musique ; Je ne m’endors jamais sans avoir joué le premier prélude de Bach. Mon père était organiste, mon oncle aussi et il jouait 4 instruments…

 

Paul est fatigué. Moi aussi et j’ai faim. Je lui dis que j’aimerais aller manger.

- Le poulet s’est déjà refroidi, je crois… Allons-y, Paul ! Une petite pause nous fera du bien à tous les deux.

Il est content. Il m’invite dans le petit salon qui sent fort la moisissure. Paul avait rangé la table en mettant deux couverts sur des paillassons dressés sur une partie de la table. A côté traînaient des ciseaux, des bics, un cahier où Paul notait tout ce qu’il faisait. Je coupe le poulet, Paul débouche la bouteille de « Château Sarati » que j’avais apportée. Il verse le vin rouge dans des coupes de cristal. La discussion reprend très facilement, car avec Paul c’est très facile. Il aime parler, ça se voit qu’il n’a pas très souvent l’occasion d’étaler tous ses souvenirs. Il prend une gorgée de vin, le fait promener dans sa bouche avec des gémissements de plaisir « Il est bon, oh oui, il est très bon ce Sarati ! ».

- Dans ce jardin – il fait un geste montrant la cour extérieure qui pénètre par la fenêtre à moitié sale, signe de l’oubli de la femme d’ouvrage ou du désintérêt de Paul – dans ce jardin plusieurs personnalités de ce monde se sont assises à côté de moi. L’une d’entre elles était Oppenheimer.

- Vous parlez du fabricant de la bombe atomique ?

- Oui, lui-même. Père Pire, qui était le chef de l’Université de paix, en fait cette université n’était autre que l’ancien Centre Mahatma Gandhi… 45 ou 50 pays en faisait partie. Il y avait des gens de partout. On parlait toutes les langues. Quelle atmosphère !… Magnifique !… Où j’en étais ?…

- Vous disiez que le père Pire…

- Oui… Père Pire est né à Dinant.

- La ville de Dinant n’est donc pas célèbre uniquement grâce à Adolf Sax, l’inventeur du saxo.

- Tu sais donc… Il l’a inventé quand il a fêté ses 20 ans ; c’était un 20 mars l’année 1846. Il a fabriqué plusieurs saxos, à plusieurs tonalités : basse, baryton, teneur, soprano, sopranino… Au total 14 saxos qu’il a fabriqués. La plupart ont survécu et on continue d’en jouer. Mais je parlais d’autre chose…

- Vous parliez de Père Pire et d’Oppenheimer.

- Oui… Comment Oppenheimer a-t-il atterri chez moi ? Le professeur Oppenheimer était en train d’écrire la préface d’un livre : “Building peace”. Père Pire avait invité Oppenheimer à l’Athénée de Marchin. Et comme j’étais professeur ici et en plus j’habitais dans le parc, il l’a fait venir chez moi. C’est là qu’il était assis (il montre une vieille table en tôle, rouillée par endroits).

- Je lui ai demandé s’il avait un problème de conscience. Il m’a répondu que les allemands allaient avoir quand même la bombe qui se fabriquait à ce moment-là en Suède. Il m’a dit qu’il avait été nommé directeur de MIT (Massachusetts Institute of Technology), à la place d’Einstein. Il fallait créer une 2-e bombe atomique, encore plus puissante. Il a refusé. Il a dit au président : « Nous ne sommes plus en guerre. Pourquoi faut-il faire encore une bombe, plus puissante ? » Il a été expulsé de cet institut. Il est allé en Suisse. C’était le temps de McCarthy. Charlie Chaplin a lui aussi été expulsé à la même période, étant accusé d’avoir noué des contactes avec les communistes russes. Il a été réhabilité peu avant sa mort.

Un autre des grands de notre temps qui s’est assis à cette table fut John Howard Griffin. Il avait fait des études en France. Au lieu de retourner à Dallas il s’est dit : « Je vais à Munich ; je vais connaître le régime nazi. Et il resta en Europe. Il était un antiraciste convaincu. Il était écrivain, musicien et médecin. Il a fait des études à Tours et à Poitiers, en France. Littérature et médecine. Il a inventé la thérapie par la musique. Il a suivi les cours du Conservatoire de Fontainebleau, où il a eu comme professeur, entre autres, Nadia Boulanger. Il était spécialiste en chant grégorien. La passion pour la musique, c’est à sa mère qu’il la doit. Elle était pianiste. Griffin a servi comme médecin à l’armée de la résistance française et a aidé beaucoup de juifs à échapper aux persécutions des nazis. Pendant 12 ans il a été complètement aveugle. Il a écrit pourtant des nouvelles et un journal, pendant cette période sombre de sa vie. Son journal a 20 volumes. Il a été un antiraciste convaincu, comme je le disais….

- Moi aussi je suis antiraciste, vous pouvez vous imaginer. En fait ceux qui pratiquent le racisme te collent une étiquette, celle qui leur convient, celle qu’ils s’imaginent être ton vrai ego ; et cet ego les dérange.

- Ma femme disait à propos du racisme : « Le racisme est un commerce d’étiquettes ».

- En effet, une autre étiquette qu’on peut  te coller est celle de ta religion. Il faut avoir certaines connaissances en la matière pour se rendre compte que toutes les religions sont bonnes, que toutes affirment et propagent la même chose, mais que ce sont les gens qui  déforment leur contenu, qui font usage d’une façon erronée de certains préceptes et qui interprètent mal certains enseignements. Les religions sont bonnes, ce sont les gens qui sont mauvais. Mais continue, Paul. John Griffin a donc vécu parmi les nazis.

- Oui. Et il a compris beaucoup de choses sur le racisme pratiqué entre les blancs. Ensuite, il a cherché, à comprendre le racisme entre les noirs et les blancs. Il est retourné aux Etats Unis, il a réfléchi des années et des années et il s’est dit : « la seule façon de lutter contre le racisme noir est de devenir noir moi-même ». Il s’est rendu auprès de son médecin pour devenir noir. On lui a dit qu’il mourra après, mais il n’a pas rebroussé chemin. Il est devenu noir et il s’est rendu dans le sud à Cotton State où il a vécu jusqu’à sa mort, dans les années 80. Il a décrit son expérience dans son livre « Black like me » et dès le lendemain de l’apparition de son livre il a commencé à recevoir des menaces de mort. Tous les jours ! Ces menaces venaient des blancs du Sud. Alors, il a fait émigrer sa femme et ses enfants au Mexique. Il n’a pas voulu émigrer. Le président Kennedy l’a nommé conseiller principal pour les affaires des noirs. Il l’envoyait chaque fois qu’il y avait un conflit quelque part. Un beau jour on l’a trouvé mort. Son médecin a constaté qu’il avait fait un « arrêt du cœur ». Un an après on a traduit son œuvre en français : « Dans la peau d’un noir ». Il est venu se reposer dans mon jardin. Il disait souvent : « le plus beau pays du monde c’est le Condroz ». Il est redevenu blanc et il est mort…

18 août 2003

*

C’est ici que ma discussion d’un jour avec Paul D. s’arrête. Après quelques mois je l’ai appelé. Je lui avais promis une invitation chez nous pour un dîner en famille. Mais c’était le robot qui m’a répondu. A Noël il m’a téléphoné pour me dire qu’il avait été hospitalisé pour une nouvelle intervention chirurgicale. Je l’ai cherché encore après quelques mois. C’était toujours le robot ; cette fois-ci il disait clairement : “le numéro n’est pas attribué”. Passe-t-il ses derniers jours dans un home ? Est-il déjà mort quelque part, seul et oublié de tous ? Qui sait ? …

J’aimerais lui dire que je tiens ma parole, en publiant ce « livre d’un jour », que j’ai écrit suite à la visite en ce jour de Sainte Marie. Car Paul m’a dit ce jour-là des choses extraordinaires, qui auraient pu constituer un livre, si lui aurait eu encore quelques jours de sa vie, à me donner.

Il est introuvable mais, chose étrange, il m’est apparu de nouveau par une série de coïncidences. En commençant le nettoyage pour Pâques, j’ai trouvé dans un tiroir un tas de cassettes. Parmi elles se trouvait une cassette à l’écriture petite, écolière : “Musique roumaine pour madame Antonia”.

J’ai réécouté la musique et j’ai dansé seule devant le miroir, en suivant les rythmes de Nicolae Pîrvu et Simion Stanciu. Je dansais et les larmes avaient commencé à couler sur le visage, je ne sais pas pourquoi… Je dansais toute seule, non comme les « grecques » de la nouvelle de Mariana Braescu, qui dansaient tous ensemble, embrassés dans une ronde paysanne. Je dansais seule devant le miroir et ma chair frémissait en écoutant le naï de Simion Stanciu, celui qui avait remplacé la flûte traversière dans la célèbre suite en si mineur de Bach, jouée avec l’orchestre philharmonique de Zürich. Et soudain, comme par miracle, je ne me suis plus sentie seule. Paul se mélangeait aux sons de naï pour me dire: “Quelle vie extraordinaire j’ai eue! Moi, le roi de l’inattendu… »

Le roi de l’inattendu m’avait laissé cet été, deux clés, dont l’utilité, j’allais plus tard la comprendre : la musique et l’écriture.

10 avril 2006

 



 

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