Sans avoir à traverser la mer ou l’océan…
Superbe divertissement musical et grand spectacle, la comédie musicale « Evita » qui tourne de par le monde depuis de nombreuses années, tout comme « Cats », « Les Misérables », « The Phantom of the Opera » ou « Jesus Christ Superstar » est arrivée en Belgique. C’est une production en version originale anglaise de Bill Kenwright , “a monumental show” selon le Sunday Express, dont le West End attend la première avec impatience. Une sacrée valeur touristique donc pour le Kursaal d’Ostende, du 29 juillet au 10 août 2014.
On connaît bien sûr le film d’Alan Parker (1996) croulant sous les récompenses, qui a ému aux larmes, avec Madonna et Antonio Banderas dans les rôles principaux et qui remporta l’Oscar de la meilleure chanson originale. Sans parler du record battu par Madonna pour les changements de costumes dans le Guinness ! On s’est donc précipité pour réentendre les succès musicaux emblématiques du film: ”Don't Cry For Me Argentina”, “On This Night of a Thousand Stars” , “You Must Love Me” et “Another Suitcase in Another Hall” sans savoir d’ailleurs que la comédie musicale précédait le film.
Celle-ci a gagné des tas de prix dont un Grammy pour l’enregistrement du disque avec les artistes de Broadway, le Society of West End Theater Award pour la meilleure comédie musicale en 1978 et meilleur script et meilleure musique. La combinaison des partitions d’Andrew Lloyd-Webber et les textes sulfureux de Tim Rice forment un ensemble élégant et intelligent. Un savant mélange de glamour et de critique acerbe du pouvoir, surtout grâce au narrateur : un rebelle aux allures de Che qui voit tout et ne se lasse pas d’interpeller la femme aux origines simples qui a conquis les cœurs et joue de son pouvoir d’opérette pour devenir l’icône du petit peuple argentin.
(photo: credit of Robert Genicot)
C’est la chanteuse portugaise Madalena Alberto qui incarne la belle Evita, « The greatest social climber since Cinderella », et à qui l’artifice de la blondeur sied si bien. Un port et des tenues de reine, un très bel éventail de tessitures, un dynamisme de feu, une façon de jouer à la Liz Taylor dans « The Taming of the Shrew » ! Elle balance entre sainteté et manipulation pour accéder au pouvoir suprême. Elle séduit par la voix et la parole ...et par les aumônes de 100 pesetas qu’elle distribue aux enfants pauvres sans compter. Un vrai personnage de contes, presque codifié. Glissons dans l’histoire…
Ascension: la jeune actrice provinciale qui est montée à Buenos Aires rencontre le colonel Juan Perón ( Andrew C. Wadsworth) lors d'une vente de charité organisée afin de récolter des fonds pour les victimes du tremblement de terre dans la région de San Juan. Chassant sa dernière maîtresse, elle l'épouse le 21 octobre 1945. Elle contribue grandement à son élection comme président en 1946. Elle met en avant ses racines modestes afin de montrer sa solidarité avec les classes les plus défavorisées et crée la Fondation Eva Perón dont le rôle est d'assister les pauvres. Win-win situation : nombre d'hôpitaux ou d'orphelinats créés par la Fondation ont survécu à la mort prématurée d'Evita. Elle devient le centre d'un culte de la personnalité. Elle brigue la vice-présidence en 1951, ce qui irrite vivement les militaires haut placés qui ne souhaitaient pas voir une femme gagner de l'influence. En même temps on lui connait un côté moins reluisant. Elle est celle qui, après son « Rainbow tour » en Europe en 1947 - de l’Espagne à Zurich, hormis l’Angleterre mais en passant longuement par le Vatican - a facilité l’émigration et la fuite des Nazis et de leur or vers l’Argentine. Chute, l’ambassadrice auprès des nazis transformée en Madone mourra d’un cancer à 33 ans le 26 juillet 1952. Son corps embaumé disparaîtra après le coup d’état de 1955 pendant 17 ans nous dit l’histoire, quelque part non loin du Vatican en Italie...
Et toute cette histoire d’ambition et adoration démesurées est conté malicieusement par le personnage rebelle du nom de Che (Mark Powell) car en vrai, Evita n’a jamais rencontré le révolutionnaire cubain.
Revenons à l’interprétation de Mark Powell. Le "Che" est un chanteur nerveux, à la voix versatile, au timbre lustré avec une présence théâtrale constante, surgissant à chaque instant là où on l’attend le moins. Un chanteur de talent aux accents de vérité tant il semble improviser. Volerait-il la vedette à l’excellente Madalena Alberto dont les accents de sincérité ne font vraiment surface que dans la deuxième partie. On voudrait retenir plus longtemps dans sa fuite la voix pure et délicieuse de Sarah McNicholas (la jeune maîtresse évincée) qui parvient à faire de “Another Suitcase in Another Hall” un moment musical aux harmonies éthérées très émouvant. Et celle de la jeune enfant (dix ans au plus) qui entonne « Santa Evita» d’une voix assurée et lumineuse…
De splendides motifs musicaux relient les tableaux, le tango est omniprésent parmi les nombreux figurants, danseurs et chanteurs de l’ensemble. Il fallait souvent se faire violence pour quitter les solistes des yeux et se concentrer sur la chorégraphie parfaite et très dynamique de Bill Deamer. L’impression de sentir le temps fuir et même accélérer comme une rivière qui emporte tout, décors et danseurs…Le vertige de la chute ? A l’instar de la figure principale, le décor évoque inflexiblement le motif de l’ascension : escaliers, marches et balcons mouvants, changeants et fluides. A stairway to heaven? Le jour de la première, un accroc dans la machinerie informatique a causé un arrêt de 20 minutes du spectacle car la colonnade palatiale était restée soudain suspendue entre ciel et terre! Ni morts ni blessés… le spectacle a repris ensuite dans la bonne humeur et a été abondamment applaudi!
http://www.kursaaloostende.be/events/detail/326