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Pauvreté (4)

administrateur théâtres

“La ménagerie de verre”: oeuvre forte! A l’affiche au Public!

November 9, 2018Image result for klimt 

L’œuvre expiatoire de Tennessee Williams? Son mea-culpa pour son propre parcours? Un appel vibrant à la compassion? L’amour-haine du rêve américain? Mais qui ne choisirait pas l’amour?

Laura, c’est le personnage principal, malgré l’omniprésence de sa mère. Elle est une bouleversée. Bouleversante. “Les bouleversées se reconnaissent de loin. A leur démarche un peu aérienne, un peu en déséquilibre. Il y a aussi en elles comme une urgence, un état d’urgence permanent qui les fait asseoir au bord des chaises, en bordure des lieux, comme s’il fallait courir très vite. Comme si un état d’alerte permanent les habitait.
La gestuelle est toujours gracieuse. Le temps jadis, celui de la jeune fille en fleurs continue comme un halo flou, à ourler de toutes parts la silhouette. On les reconnait aussi à cette façon de garder la main sur le cœur. Une main seulement. Mais qui semble le tenir. Qui semble prendre appui aussi.  Et puis elles ont ce regard qui fixe quelque chose ou quelqu’un qui n’est pas dans le champs de vision. ”  La comédienne  force le public, par son jeu admirable et son honnêteté,  à regarder l’Autre en face, les yeux dans  les yeux, sans détourner le regard. C’est ainsi que joue Sarah Lefèvre.

La mise en scène de Thibaut Nève donne  une somptueuse amplification au texte.  Elle  mêle les éclats de verre et les éclats de voix, l’angoisse économique et le monde du rêve.  Le plateau est le lieu où se tressent l’amour et la haine, où se dresse une figure maternelle omnipotente et possessive et à la fois complètement fragile et désemparée. Elle  incarne  une tyrannie de castratrice géante  dont les  pieds sont d’argile et les lunettes faites de l’écume des jours. Sa fille, Laura est totalement investie par le pathétique de la situation et livre une interprétation d’une justesse extraordinaire. Tout comme le fils Tom, incarné par un impétueux William Clobus parfait dans son rôle, qui est déchiré entre son jeune rêve d’aventures et ses obligations  familiales alimentaires et Jim, le sauveur, ou pas, pareillement vrai-semblant!  Du cinéma, craquant de charme traduisant  le rêve américain bon teint dans un emballage franco-français Beverly Hills High ! …Irrésistible.  Non il n’est pas un jeune loup aux dents longues! Il y croit! Et la jeune-fille, malgré sa déception sentimentale, se métamorphose bel et bien! Il est tout-à-fait dans la ligne du personnage de Brandon au grand cœur: “Would have, could have, should have… “  De quoi plaire aux ados d’alors! C’est Louis Sylvestrie. 
Du très grand théâtre intemporel. La mise en scène aurait pu verser dans le monde de Dorothea Lange. Mais ce n’est pas le cas. La mère courage est une femme d’action et de verbe, saisissante d’énergie et de colère. Nommons la : Patricia Ide.

 

https://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=556&type=1

LA MÉNAGERIE DE VERRE

De Tennessee Williams. Traduction : Isabelle Famchon.
Mise en scène : Thibaut Nève Avec : William Clobus, Patricia Ide, Sarah Lefèvre et Louis Sylvestrie

DU 07/11/18 AU 31/12/18Image result for la ménagerie de verre le public

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A CHRISTMAS CAROL “I HAVE endeavoured in this Ghostly little book, to raise the Ghost of an Idea, which shall not put my readers out of humour with themselves, with each other, with the season, or with me. May it haunt their houses pleasantly, and no one wish to lay it.” Their faithful Friend and Servant, C. D. December, 1843.

 On traduit?
…Je me suis efforcé dans ce petit livre bourré de fantômes, d'élever le fantôme d'une idée, qui ne devra surtout pas mettre mes lecteurs de fâcheuse humeur vis-à-vis d’eux-mêmes ou des autres,  ni les induire à maudire l’esprit festif de Noël, ou à me détester moi, l’auteur.  Puisse cette lecture  hanter avec bienveillance leurs demeures, et que personne ne veuille lâcher le texte sans en avoir consommé l’esprit.  Votre fidèle ami et serviteur, Charles Dickens, décembre 1843.

Fidèle ami des grandes causes humaines, Thierry Debroux  a fait de ce court récit souvent abordé dans le secondaire  par la lecture en anglais simplifié, une splendide amplification poétique où pointe sans cesse une joyeuse  ironie. On peut presque parler d’une  – comédie musicale  – qui a mis la salle entière debout, dès la première.  Celle-ci applaudissait avec frénésie une troupe d’acteurs éblouis,  rappelés dix fois, une troupe chargée d’anima, et que l’on aurait bien  cru voir  sortir tout droit de l’Opéra de quat’sous! Coaching vocal : Daphné D'HEUR.

L’équipe est  irrésistiblement entraînante et sûrement  inoubliable :  autour de  Guy PION, il y a Gauthier JANSEN, Béatrix FERAUGE,  Claude SEMAL, Nicolas OSSOWSKI, Fabian FINKELS,  Anthony MOLINA-DIAZ, Sacha FRITSCHKÉ, Julie DIEU, Pénélope GUIMAS, Jeanne DELSARTE. Avec sur les planches, des enfants, lumière de l’avenir. En alternance Léon DECKERS ou Ethan VERHEYDEN; Maxime CLAEYS, Andrei COSTA ou Jérémy MEKKAOUI; Laura AVARELLO, Ava DEBROUX ou Lucie MERTENS; Laetitia JOUS, Clara PEETERS ou Babette VERBEEK. Un défilé de bonne humeur et d’espoir, une tornade de talents créatifs, cadeaux de la maison, le théâtre Royal du Parc!

C’est donc l’histoire d’un rebirth sous la neige. « Le Noël de Monsieur Scrooge » met en scène le processus de transformation d’un cœur abominablement sec et coriace, indifférent à autrui, passionné d’argent,  en une âme généreuse et enfin repentante et heureuse qui renoue avec la vie. Le pardon, dit-on dans les chaumières,  est la clé du bonheur d’ici-bas ...et de l’au-delà, pour ceux que cela intéresse! Il suffit peut-être, comme le dit la chanson de la finale, … d’écouter le vent! « The answer is in the wind…»  Un certain vent dont on ne sait  ni d’où il vient ni où il va…! Le mendiant du début - un craquant  personnage vautré au début du spectacle  dans le fauteuil de l’écrivain - invite les cœurs à se lâcher et  garantit que « les contes de fée sont faits pour apprendre que l’on peut vaincre les monstres!» C’est un jeune Garou, au charme éblouissant qui chante à la lune : Fabian FINKELS.  

Dans ce conte de Noël, le ciel est toujours présent : le décor est sous coupole céleste. La ligne du ciel évoque St Paul’s Cathedral ou Big Ben, les infâmes cheminées crachant fumée de charbon quand la misère  réussit à  se chauffer! Tombe la neige, même s’il y a du smog, façon purée de pois. Mais la déco de la fête tant attendue est là.  Les bougies  brillent aux  fenêtres des maisons bourgeoises et des antiques magasins « so British »:  TAILOR, FURNITURE, BAKERY, CANDLES…  Hélas,  le terrible temple du négoce de l’argent, la $CROOGE COMPANY, à droite du plateau, rassemble tout ce qu’il y a de plus Anti-Christmas Spirit. Vous connaissez sûrement des adeptes! Le maître des lieux c’est l’Avare, Richard III, Méphisto,  and last but not least : Scrooge.  Car le  comédien génial qui est derrière ce sinistre personnage hautement toxique, c’est  le très estimé Guy PION, toujours aussi magnétique  dans ses maléfices. Par dérision, son nom est prononcé  "Scroutch" par les esprits farceurs (Claude SEMAL).

Time is money ! Mais voilà le temps  aboli… En attendant que ce soit l’argent ? On peut toujours rêver!  Quoi qu’il en soit,  la mise en scène est fort habile. Sous forme de doubles des différents âges du triste sire, elle ravit par sa fraîcheur et sa subtilité. Cadeau de l’inventivité fantastique et rythmée de Patrice MINCKE.  Le temps est aboli… Magie théâtrale ou nuit magique ? L’an 2017 vient jusqu’à narguer un Scrooge totalement abasourdi! Ou bien est-ce nous-mêmes, que Dickens vient narguer? Magie du texte! 

Mise en scène illustrative. Des gosses misérables battent le pavé. L’époque est douloureuse, le pain est rare, la maladie  fait des ravages. Les cimetières regorgent de morts prématurées.  Mais le décor n’en reste pas là ! Le savoir-faire légendaire  de Ronald BEURMS une fois de plus fait voyager le spectateur de la cave au grenier, dans les airs et par-dessus les toits. …Dans les cœurs aussi ,  du plus noir: celui  bouclé entre les murs de ses coffres-forts (Guy PION)  …au plus tendre: celui d'une étoile entre deux tresses blondes (Ava DEBROUX, 7 ans). Dès sept ans, le désespoir peut certes résonner dans les consciences!

La scénographie acrobatique trace les contours de l’histoire faite d’une série d’apparitions d’esprits chargés de remettre le Drôle dans le droit chemin. Suspense garanti, on croit qu’à chaque étape qu’il a enfin compris… Eh non, c’est raté ! Quelle  patience il a, cet « esprit de Noël » qui a tout d’un «Père Noël » (Claude SEMAL) y compris les rennes, …particuliers, il faut en convenir, mais très convaincants!

A grands renforts de chansons de gueux, de fables et fantasmes, l’action progresse et réchauffe les cœurs. Qui oserait  grincer à la fin du spectacle, le sourire pincé et le verre à la main « Oui... ! C’est …gentil ! » ? Non! C’est tout simplement merveilleux, tant l’énergie des créateurs est présente, touchante, palpitante même, tant l’humanité se découvre avec audace, sans craindre les esprits blasés qui n’auront  de toutes façons rien compris. Chapeau !  Et puis il y a tous ceux et celles qui, comme Scrooge, auront secoué leur manteau d’indifférence, balancé  leurs aprioris dévastateurs, quitté  l’ivoire de leur confort et rejoint le cœur ré-enchanté , la liesse du renouveau d’humanité et son formidable potentiel. Voilà un anniversaire que  le monde se doit de fêter,  au risque de mourir …à minuit  sonnant!  Mieux vaut naître non? 

http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/62/49.html

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Les pauvres sont ceux qui, par eux-mêmes, sont incapables d'assumer pleinement et librement leur condition d'homme dans le milieu où ils vivent. Quels que soient l'époque, la région, le type de société, dénuement, dépendance, faiblesse, humiliation accompagnent la condition des pauvres ; en outre, ceux-ci sont dépourvus de tout ou partie de moyens, variables selon les milieux, de tenir un rang social : argent, vigueur physique, capacité intellectuelle, qualification technique, science, honorabilité de la naissance, relations, influence, pouvoir, liberté et dignité personnelles. La précarité, sinon la déchéance, sont leur partage. Ils sont anonymes, isolés même dans la masse ; ils n'ont aucune chance de se maintenir ou de se relever sans l'aide d'autrui. Vivant au jour le jour, et dans l'attente perpétuelle de lendemains meilleurs, ils sont aussi accessibles à toutes les espérances, à toutes les illusions, à tous les mythes, que prompts au désespoir et à la révolte. Applicable à tous les types de société, cette définition inclut tous les frustrés, tous les laissés-pour-compte, tous les marginaux, tous les asociaux, à côté des chômeurs, des mal payés, des infirmes et des ratés. Elle n'exclut pas non plus ceux qui, par idéal ascétique, mystique et charitable, ont voulu délibérément vivre pauvres parmi les pauvres. L'histoire des pauvres est donc étroitement liée à l'évolution du milieu, sous tous ses aspects, social, économique, technique et mental.

Les problèmes, cependant, ne sont pas simples. Les mots pauvre, pauvreté sont ambivalents et ambigus. Le second recouvre une notion exprimant simultanément une vertu et une abjection ; il désigne aussi des réalités sociales nuancées. Ainsi, par pauvre, il faut entendre des types sociaux forts divers et le mot comporte, sinon des synonymes, du moins des équivalents nombreux. Historiquement, géographiquement et socialement, la condition du pauvre, essentiellement relative, comporte des degrés séparés par des seuils économiques, biologiques, sociaux.
À ces difficultés d'analyse s'ajoutent celles de la documentation. Les pauvres sont les muets de l'histoire ; leur passé s'inscrit en contrepoint de celui des autres couches sociales et constitue, en quelque sorte, l'envers du tableau.


Les pauvres dans les sociétés à prédominance rurale

Dans l'Antiquité
À lire la Bible, les pauvres apparaissent dès les premiers temps de l'humanité, avec Abel, Isaac et Joseph, victimes de l'envie de leurs frères, et avec la malédiction de Cham. L'histoire antique a été écrite, dans le silence, par les pauvres des peuples asservis et par des millions d'esclaves jusqu'au-delà de la chute de Rome. " Le pain et les jeux " étaient autant des moyens de faire avorter les germes de révolte que des manifestations ostentatoires de l'évergétisme hérité du monde hellénistique. Sans doute, la génération d'Antonin le Pieux connut-elle des institutions philanthropiques, mais c'était au IIe siècle après J.-C., alors que s'infiltraient des principes, insolites, de charité, appelés à transformer, lentement et non sans avatars, la condition des pauvres, et à la réhabiliter, au moins spirituellement.
Déjà, la religion juive avait inspiré aux anawim l'ascétisme d'une pauvreté volontairement humiliée devant Jaweh, dont les Esséniens, puis Jean-Baptiste sont des exemples. Des modèles analogues se rencontrent, à haute époque, dans les religions hindoues et se retrouvent dans l'islam, surtout en ses premiers siècles ; la tradition s'en était prolongée dans la communauté chrétienne de Jérusalem et parmi les ermites d'Égypte et de Cappadoce.

Au haut Moyen Âge

En Orient plus tôt qu'en Occident, les calamités naturelles firent refluer vers les grandes villes, Alexandrie, Antioche, Césarée, Constantinople, les foules d'indigents, en faveur desquels s'élevèrent les voix prophétiques de Clément d'Alexandrie, de Grégoire de Nysse et de Jean Chrysostome. Ce dernier avance le nombre de cinquante mille indigents dans la capitale impériale vers 400. Plus tard, Justinien dut légiférer sur leur sort. Moins nombreuses, mais aussi graves, semblent avoir été les misères pour lesquelles agirent Ambroise à Milan, Grégoire le Grand à Rome et Césaire en Provence. En se diluant dans la vie rurale, la société romaine à son déclin y transféra une pauvreté que la brutalité des moeurs mérovingiennes aggrava. L'identité s'établit entre pauvres et travailleurs des champs livrés à l'exploitation des puissants ; Grégoire de Tours décrit cette situation dans son Histoire des Francs au VIe siècle ; l'hagiographie montre que la réputation de sainteté naît des bienfaits aux pauvres ; seules les aumônes aux indigents inscrits sur les " matricules " et les hôtels-Dieu ouverts par les évêques, " défenseurs des pauvres ", accordent aux malheureux les secours réclamés par les décisions réitérées des conciles.
L'ordre carolingien est éphémère. Si la pauvreté est alors moins une indigence qu'une dépendance, la protection due aux faibles par les puissants se mue en coutumes abusives et s'inverse en violence. Les calamités naturelles aggravant leur détresse, les pauvres s'attroupent à la porte des aumôneries monastiques où se font des distributions de vivres et de vêtements. Ces rassemblements préludent à d'autres mouvements, annonciateurs peut-être d'une certaine conscience collective, destinés à imposer le respect des faibles protégés par la " paix de Dieu ". Les assauts de la misère étaient durs au XIe siècle, et le rapport entre l'accroissement démographique et l'extension des défrichements demeurait assez négatif pour expliquer le manque de travail et le désarroi des " jeunes " vers 1100. Les communautés villageoises ne suffisent ni à nourrir, ni à retenir tous " leurs " pauvres. Certains rejetés ou fugitifs, rebelles ou exclus, criminels en puissance ou en acte, " déguerpissent " et grossissent la cohorte des prédicateurs populaires et des ermites (Pierre l'Ermite, Robert d'Arbrissel) : affranchis des contraintes, ils trouvent là des sortes de structures d'accueil inspirées par le revival de la confraternité charitable attribuée à la communauté apostolique de Jérusalem. Cependant, la plupart des pauvres des campagnes bénéficient d'aumônes, de legs et de petits " dispensaires " locaux fondés parfois par d'humbles gens, dont les testaments commencent à émerger de la masse des archives. Mais, déjà, à la troupe des pauvres des campagnes vient se superposer celle, complexe et trouble, des pauvres des villes renaissantes.

Les pauvres dans la ville

À son début, au XIIe siècle, le développement urbain recrute des pauvres à la campagne et, on l'a dit, la ville, à son tour, sécrète la pauvreté. Elle offre, ou plutôt les pauvres croient qu'elle offre, des possibilités d'embauche, et l'on vit, aux derniers siècles du Moyen Âge, s'organiser des marchés du travail, la place de Grève à Paris, par exemple, où les manoeuvriers, de bon matin, offraient leurs bras à la journée. Plus sûrement, aux périodes de guerre, comme la guerre de Cent Ans, la ville, à l'intérieur de ses remparts, attire les réfugiés du " plat pays ". Dans l'anonymat de leurs bas quartiers, les plus grandes cités permettent aux faillis, aux exclus, aux bâtards, prostituées, condamnés et bannis fugitifs de se refaire une vie. Tavernes, champs de foire, porches des églises, distributions d'aumônes des confréries, des " tables " ou " plats " des pauvres sont des lieux de rencontre où se nouent des solidarités horizontales spontanées, voisines et parfois génératrices de complicités. Le mouvement s'est accéléré après la peste de 1348 avec les troubles et les crises économiques des XIVe et XVe siècles. Paris en fut au temps de Villon un modèle achevé. Ainsi, la galerie des pauvres s'enrichit, si l'on peut dire, de figures nouvelles, et la terminologie qui les désigne désormais en langue vulgaire est d'une truculente variété.
Cependant auprès des visages des truands, caïmans, vagabonds, qui composent les " classes dangereuses ", on ne peut oublier les pauvres traditionnels qui " méritent l'aumône. Les voilà plus nombreux, mendiant "à grant rage de faim pour Dieu " (Gerson) : veuves sans ressources et chargées d'enfants, malades, enfants trouvés ; ce sont les " maintes misères cachées " des " pauvres honteux ", impossibles à compter, qu'un maréchal de Boucicaut, sous Charles V, s'efforçait secrètement de soulager. Que les mendiants valides ne doivent pas être condamnés en bloc pour refus de travail, c'est une découverte des villes les plus industrialisées de ce temps, telle Florence, l'insuffisance du salaire ou le chômage justifiant des secours : c'est la pauvreté laborieuse. Certains frères mendiants, dominicains et franciscains, eurent ce discernement. Professant la pauvreté absolue pour se rapprocher du Christ et voués par destination à l'apostolat urbain, les Mendiants devaient naturellement comprendre l'infortune des pauvres involontaires. Les théologiens et les canonistes du XIIe siècle leur avaient ouvert la voie ; vers 1230, le " vol " de l'indigent en extrême nécessité était légitimé. Cent ans plus tard, à Florence, la parole d'un Taddeo Dini et les aumônes des confréries (Or San Michele) affirmaient la nécessité du partage et du don personnalisé.
Pour dénombrer les pauvres et distinguer leurs catégories, les recensements fiscaux, en usage dès le XIIIe siècle dans les villes méridionales, répondent imparfaitement : leur importance numérique, de 30 à 40 p. 100 de la population, amena les autorités municipales à se saisir de ce problème d'ordre public. Les pauvres devenaient une masse disponible pour des démagogues ambitieux : on le vit partout vers 1380. Les institutions charitables étaient débordées. Sans en exclure l'Église, souvent à sa demande, les communes contrôlèrent la gestion des hôpitaux, les distributions, les déplacements des mendiants. Sans souscrire aux condamnations du pauvre par les humanistes, qui omettaient de voir en lui un homme, les franciscains de l'observance (avec Bernardin de Feltre) amenèrent les villes italiennes à instituer les monts-de-piété, dont les prêts à intérêt modique respectaient la dignité du pauvre laborieux. À une expansion économique éphémère, vers 1500 succéda une recrudescence de la pauvreté. Pour rationaliser l'assistance, on regroupa les petites maisons en hôpitaux généraux. Le foisonnement des libéralités individuelles fit place à des bureaux des pauvres ou aumônes générales, alimentés par des cotisations obligatoires. Ainsi, surtout dans les pays protestants, le sort des pauvres, passé de la charité privée au contrôle urbain et étatique, tomba dans le domaine de la " police des pauvres ".

Les pauvres dans l'État mercantiliste

Pendant les trois siècles modernes, la pauvreté paraît liée aux avatars de la démographie et de l'économie. Le chômage, les dévastations (guerres de religion, guerre de Trente Ans, Fronde), l'endettement, les saisies judiciaires, en Angleterre la substitution des pâturages aux labours ont lancé beaucoup de vagabonds sur les routes ; si la ville les accueille, elle leur propose des tâches éphémères, sans qualification, et les loge, en marge des riches, sous les combles des maisons, dans des masures sinon dans les " cours des miracles ". La morale pour beaucoup n'existe pas : absence de mariage, naissances illégitimes, abandons d'enfants ; des indigents ne connaissent des églises que le porche où ils mendient. La criminalité et l'insécurité règnent la nuit en ville et le jour sur les routes. Le banditisme est endémique en certains secteurs comme les pays méditerranéens. Des révoltes éclatent lors des disettes. La pauvreté a fourni ses troupes à la guerre des Paysans en Allemagne, à la rebeyne lyonnaise de 1529, aux révoltes anglaises de 1536 à 1780, en passant par celles de 1607 et 1630, aux " va-nu-pieds " normands, aux Bretons insurgés contre le " papier timbré ", enfin aux émeutes frumentaires du XVIIIe siècle. Les simples miséreux, inoffensifs, sont plus nombreux ; mais les " présences inquiétantes " et les " menaces obsédantes " inspiraient aux contemporains une méfiance générale. Dieu lui-même aurait difficilement reconnu les siens ! Il fallait la vertu de Pierre Fourier, de Vincent de Paul et de Louise de Marillac pour voir le Christ en ses " membres souffrants ". Pour la plupart des chrétiens, le pauvre était l'instrument du salut de son bienfaiteur, car " l'aumône éteint le péché ". Même pour les plus charitables, le pauvre, anonyme, reste, derrière le Sauveur, un être impersonnel. La réprobation de la pauvreté était formelle chez ceux qui, liant la tradition biblique et l'idéal humaniste, associaient le malheur au péché et le succès à la bénédiction divine. Les pauvres n'y auraient pas trouvé leur compte, sans le ressourcement d'une charité pérenne.
Pour tous, le sort des pauvres est un mal à soulager, surveiller, réglementer, encadrer. Éternels mineurs, les pauvres attendirent longtemps qu'on cherchât les causes de l'infortune. Considérant l'utilité sociale, le mercantilisme voit dans le seul travail la solution du paupérisme. Mendiant et vagabond sont répréhensibles ; depuis Élisabeth Ière, les lois anglaises sur les pauvres sont des modèles de répression. Les villes gagent des " chasse-coquins ". L'ordre public et un souci de rééducation postulèrent la mise au travail et le renfermement des pauvres. Partout, peut-être en Espagne dès le XVIe siècle, des chantiers préfigurent les ateliers de charité, sous le nom d'hôpital, de workhouse , de spinhuis ... ; des rafles y rabattent les vagabonds. D'autres sont envoyés aux galères.
La plupart des pauvres, exempts de ces rigueurs, végètent et bénéficient des pratiques séculaires de la charité. D'ailleurs, la " police des pauvres " n'était pas unanimement approuvée. De Vincent de Paul au milieu du XVIIe siècle à Massillon en 1705, des protestations s'élevèrent en faveur de " ceux qui sont réduits à feindre d'être malheureux ". " Ne vaut-il pas mieux donner à de faux besoins que courir le risque de refuser à des besoins véritables ? " Bossuet célébrait " l'éminente dignité du pauvre ". Vauban conseillait une justice fiscale qui soulagerait les pauvres. Jean-Baptiste de La Salle fondait des écoles pour leurs enfants.
Vers 1700, la pauvreté est objet d'enquêtes. Les dénombrements fiscaux (rôles du vingtième) révèlent, au cours du siècle, la proportion des non-imposables, donc des pauvres. Les économistes cherchent les causes de la pauvreté et sont près de l'imputer, au-delà des circonstances conjoncturelles, à l'organisation sociale. Le travail producteur reste, pour eux, la loi naturelle suprême. Le pauvre qui s'y soustrait est un délinquant ; sa pauvreté, un vice. " Au grand banquet de la nature, il n'y a pas de couvert vacant pour le pauvre " (Malthus). On prête à Voltaire d'avoir stigmatisé la charité pour son aveuglement. Au siècle des Lumières, certains n'étaient pas assez éclairés pour muer leur sensiblerie en une vraie sensibilité à toute misère. L'Encyclopédie reconnaît le droit au travail, mais traite l'aumône en pratique superstitieuse génératrice d'oisiveté. Au contraire, l'État, guidé par la philanthropie, doit organiser la bienfaisance. Le principe d'utilité marie postulats philosophiques et exigences économiques. Les pauvres doivent s'y conformer et l'État y veiller. Malgré de bonnes intentions et d'incontestables réalisations, les pauvres ont peu bénéficié du despotisme éclairé. En France, à la veille de 1789, Turgot développe les ateliers de charité et, sous la Constituante, le comité de mendicité n'innove pas.

Au temps de la révolution industrielle

En Angleterre puis sur le continent, en France d'abord, à Rouen, de nouvelles pauvretés apparaissent avec l'usine. Leurs problèmes en furent perçus au milieu du XIXe siècle. Les doctrines économistes du XVIIIe prévalaient encore. La persistance du régime électoral censitaire prouve l'" incapacité " légale des pauvres. Mais la misère ne consiste pas dans cette infériorité politique ; elle réside dans l'insuffisance de salaire par rapport à la longueur de la journée de travail, dans la précarité de l'emploi, l'insalubrité du logement, la déficience de l'hygiène, dans le désarroi moral et la dépendance. De la prolétarisation, peu prennent conscience. Les descriptions d'un Villeneuve-Bargemont, d'un Villermé, d'un Lamennais, les protestations de quelques évêques et les efforts d'un Frédéric Ozanam sont aussi lucides que sont virulentes les analyses socialistes de Proudhon et de Marx.
Au milieu du XIXe siècle cette pauvreté ouvrière restait un phénomène urbain, limité aux industries mécanisées (textile, métallurgie). Ses victimes se recrutaient dans les campagnes, où les formes ancestrales de pauvreté, liées aux caprices de la nature, sont aggravées par la concurrence des marchés. L'exode rural, sur de nouveaux chemins, engendre, par millions, un nouveau type de pauvres : les émigrants d'Europe centrale, d'Italie, d'Irlande, vers les Amériques ; leur trafic au XIXe siècle a remplacé la traite négrière du XVIIIe siècle et préludé à l'exil des " personnes déplacées " du XXe. La science quantitative fait alors la tragique découverte d'une véritable marée de pauvres, de toutes catégories et de toutes nations, dont les notions de Tiers et de Quart Monde sont l'actuelle expression. L'histoire des pauvres n'appartient pas qu'au passé.

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♦ Contre toute régression du traitement de misère

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Le vrai secours aux misérables, c’est l’abolition de la misère. Victor Hugo (1802-1885)

 

Mais que me dites-vous des misérables de la rue

A quoi sert d’en parler pour tant les décrire à distance

Avec un ton bien attristé pour calmer la conscience

Ne jugez rien à leur place s’ils vous sont inconnus

 

Que diriez-vous si on ne vous accordait plus de nom

Cette prime attention qui déclare votre existence

Que seriez-vous alors à subir telle inconséquence

L’être sans consistance, régression puis dérision

 

Qui va donc décider ce qu’est le peuple de la misère

Sans le connaître et ainsi masse informe parjurée

Ce tout en moins d’humanité par code de société

Mais qui porte l’indignité ? Ma question est colère

 

Chaque être de la rue a ce besoin d’être reconnu

Pour ce qu’il est et non comme de la triste clientèle

Pour les hypocrisies de la pitié consensuelle

Et de l’absolution de tout au printemps revenu

 

Assez du grand fatalisme pour plier tout soupçon

De charité en déficit ou d’absence cruelle

Pour repousser encore et de façon perpétuelle        

Tout espoir en cour des miracles et des illusions

 

Assez du misérabilisme, des litanies amères

De chaque hiver, feu l’esprit des actes réfléchis       

Je me dégage tout entier de toute démagogie

De ces réquisitions de compassion et de prière

 

Assez de ces chiffres pour tant de misère accrue

Pour crier l’urgence comme dans une autre époque

Comme on ressort les ostensoirs des drames baroques

L’état civil des anonymes et les guichets des exclus

 

Assez de l’abus des gens généreux quand les affronts

De ces religieux intégristes de la richesse qui stocke

Ses valeurs de vanité augmentée par l’art du médiocre

Par l’outrance, l’indécence, l’escroquerie sans nom             

 

Assez des pouvoirs verticaux qui en aucune manière

Ne veulent changer leurs procédés de gouverner

Tout ça pour déglinguer les premiers droits en humanité

Pour donner de l’insulte à ces esprits lanceurs de pierre 

 

Assez de réclame pour ce qui ne change et continue

D’envoyer des gens dans la rue sans rapport au mérite

Et même à la malchance que l’on accuse bien vite

Comme c’est ne rien comprendre vraiment de leur vécu

 

Mais que me dites-vous de ce problème sans solutions

Alors que ça crève les yeux ce qui fait la méprise

D’une société d’iniquité et de l’inlassable bêtise

Du monde du luxe sans complexe, quelle prétention !

 

Mais que me dites-vous qui ne serait pas ordinaire

Des plaideurs crient aux voleurs, mais jugez la diversion  

Qui a donc le butin de la nommée confiscation

Qui fuit et qui reste, quel côté faut-il qu’on préfère ? 

 

Les cadors des fortunes ne sont que la raison corrompue

Dans des rôles pathétiques, fardés, grise mine

De toute idée solidaire que jamais ils n’imaginent

Avec l’aisance de leur cynisme travesti au-dessus

 

Rien de rien ne viendra de ces gens là sans question

Pour les choses humaines, et vis-à-vis du sens même

Il faut se dégager de leur addiction aux faux problèmes

De leur obsession d’un blanc seing à leurs viles possessions   

 

Ne traitons que de vraies affaires et du temps sévère

Pour tous ces gens de notre sensible proximité

De plus en plus de misère traitée par charité

L’admettre c’est faire repartir notre monde en arrière

 

Je voudrais d’autre logique de misère combattue

Le choix radical de l’action pour son abolition

Assez des discours de traîne où meurt l’ambition

Assez de trêve hypocrite pour croire tout résolu

 

Mais que me dites-vous du grand déficit pour la nation

Raison du tout en moins et de tous ces blasphèmes

Aux droits légitimes de vie réelle, digne et saine

Assez de ce tort aux franchises gravées sur nos fronts

 

Contre toute mauvaise logique, que faut-il faire ?

L’évidence ne fait-elle pas le devoir de réfléchir

Avec la ferme résolution des efficacités pour agir

Traiter des causes de misères n’est-elle pas première ?

 

Ne parlez pas de morale sauvée ou soutenue

Au bout de misère secourue, pensez à l’origine

Le non-sens d’un tas de contrats quand on les examine

Lucide et franc, hors de céder à leur déconvenue

 

Mais que me dites-vous l’urgence, force d’exception

Les années passent en restrictions en ce rien qui ne change

Du mal en pis, la société se fait des fables qui l’arrangent

Du temps de rêve pour penser que chacun est bien bon

 

Pour l’année deux mille treize, et parmi vos vœux sincères

Y mettrez-vous celui d’aucun calendrier avec des dates

Pour des urgences par cause de misère scélérate

Y mettrez-vous le vœu de fin de telle société guerrière

 

Y mettrez-vous le vœu d’aucun misérable dans la rue

A commencer par rendre à tout être nom et parole

Du sens à vivre, partout, au-dessus de toute épaule  

J’espère ce secours pour demain : la misère vaincue

 

 © Gil DEF - 29.12.2012     

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