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Ligne (2)

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J'aime les graphismes

De notre monde qui zappe.

On a perdu la couleur

Des cathédrales

Et la grisaille des façades

Qui avait fait le plein

Pour trouver un jeu continu

De reflet au fil des lumières,

Des saisons et des nuages qui passent

C'est bien, non ?

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Mais pourquoi notre monde

Ne sait-il pas tout faire avec des courbes

Ne serait-ce pas moins rigidifiant

Structurant, contraignant, formateur ?

Ne serait-ce pas plus souple,

Organique, chaleureux, formeur ?

Où est la droite dans la nature ?

Dans l'horizon et les cristaux,

Parfois les roches, c'est tout...

N'est-ce pas un signe ?

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Petit Précis de Curiosités euclidiennes

Petit Précis de curiosités euclidiennes

 

La Ligne.

 

 Calcul zéro de la ligne (section sèche)

 

La ligne est infinie, sans largeur et sans épaisseur. C’est une succession de points sans masse. Ils sont invisibles ; seul, leur nombre les rend perceptible. La ligne est surface intangible et volume impalpable. Elle est un cube si on veut, ou un cône mais un cube ou un cône plat d’où l’origine est absente. Ce cube peut-être circulaire mais toujours comprimé. Il peut donner l’heure ou l’horaire des trains. Parfois, la ligne est coupée par des voies de traverses aussi minces et sans poids que le cube ligneux.

 

Il faut se méfier des lignes qui vont trop loin dans le flux infini. Il vaut mieux les arrêter dans leur élan. Les briser. En faire des éclairs, déterminer un pôle négatif et positif sur un champ aléatoire ou en faire des asymptotes. L’asymptote, justement, est  ligne en tant que formule du désir ou de l’action humaine. Car la ligne est aussi culturelle et en ce sens en voie de disparition. La ligne devient sous-ligne, lignoise, lignette, lignite, ligne insignifiante qui indique l’absence et le néant.

J’aime les lignes, car elles n’existent pas.

Elles sont impossibles.

 

On pourrait en parler à l’infini de la ligne infinie. On pourrait encore dire qu’elle ondule, qu’elle courbe en se courbant, qu’elle forme, informe et déforme, se moquant de ses ennemis, le temps et l’espace. Car contrairement à ce que l’on s’imagine habituellement, lorsque pris en en voiture dans les embouteillages, ou la nuit lorsqu’insomniaque, il vous arrive d’y penser, la ligne est au-delà du temps et dépasse l’espace. En cela, elle est avant tout est destin, carrée, losange ou rectangle, c’est selon. Objet de croyance, on ne vénère pourtant que des segments de droite, car, on le sait maintenant, elle est atypique, incertaine et problématique.

 

 

Indéterminée, source par conséquent d’angoisse pour certains qui voudraient en faire un être exclusivement mathématique, elle nous permet de vivre dans le conditionnel car la ligne, elle est partout sans jamais être nulle part, devant nous un moment, elle disparaît de notre vue, s’éloigne comme fuit l’horizon, à la vitesse de notre course. On n’aime pas les lignes pourtant on ne peut vivre sans : chacun trace au moins une ligne. Ou il en hérite. C’est toute un système juridique nouveau, des procédures originales qu’il serait nécessaire de voter afin de rendre efficace la puissance de la ligne. Car l’efficacité, c’est ce que nous voulons tous. La ligne, en ce sens, est indissociable d’un problème politique essentiel.

 

 

Tout cela pour  ne pas dire en fait ce peu de chose que notre sensibilité ne connaisse déjà : la ligne n’est pas dessin, vit sans matière, seulement le contour mouvant et sensuel, naissance et achèvement dune source instable, refus de la parenté, du centre et justement de la lignée. Elle est le contraire du narcissisme puisqu’elle n’existe qu’en toujours s’évadant d’elle-même. Voilà, on en arrive là, la ligne n’a rien de l’être, elle est toute existence.

 

La ligne, sans couleur et sans relief, s’épuise à vouloir être ce qu’elle est : un moment, la ligne est un moment hors du Tout (Eternité comprise).

 

Une ligne à haut coefficient métaphysique

La ligne, on aime ou on n’aime pas. Il n’y a pas d’entre deux, d’atermoiements vagues,  sûrement parce que la ligne est un prétexte facile, un pré-texte léger qui se laisse aller, fluide et continu, sans fatigue et surtout sans justification. La ligne s’affirme dans sa simplicité même. Elle ne signifie rien d’autres que ce qu’elle est. C’est pour cette raison qu’il y a des affinités avec la poire. La poire ne dit rien d’autre que ce qu’elle dit, ce qu’elle nous dit, ce qu’elle nous a dit, ce qu’elle nous dira.

La poire, la ligne, deux naïvetés composées.

Toutefois comme la parenté entre la géométrie et la nature est évidente pour tout un chacun, il est inutile de persévérer dans une voie qui n’apprendra rien à personne. Il nous faut revenir impérativement à la ligne. Car on n’y échappe pas, à ce moment sans durée et sans lieu.

Car il y a de la nécessité dans la ligne (nous aurons à revenir plus précisément sur ce point lorsqu’il nous faudra bien envisager le rapport intime qui unit ligne, nuage et nécessité) : Elle possède la nécessité du non lieu. Oui, encore une chose que l’on a jamais dite de la ligne, qu’elle est non-lieu, quitte de toutes responsabilités, libre de toutes les charges qu’on voudrait faire porter sur elle ; processus sans procès, on peut s’amuser d’elle et elle de nous.

C’est pourquoi elle se rapporte ontologiquement  au langage. En effet, la ligne est une parole sans fin. Par exemple : est-il nécessaire d’encore répéter que la ligne, c’est le jeu dansant des motifs et des occasions, des courbures du vivant et des intersections sèches, qui se coupent et se recoupent, des plans qui définissent ou qui occupent, des arcs fermes, stables, tendus et des tangentes, fines, distinctes et sans cercle. Non, bien sûr.

Et pourtant…

Il ne faut évidemment pas s’y tromper : il y a danger à faire le jeu de la ligne qui est d’abord, et surtout avant tout, hybridation, démultiplication, à la fois générée et générative, horde mobile et impérialiste, meute sautillante et régulière, mais aussi discontinue, spasmodique, erratique et nomade.  La conséquence est claire pour tous, depuis longtemps : la ligne a besoin d’un champ et ce champ est aléatoire. On dira : mais quel est ce champ ? Et pourquoi doit-il être aléatoire ? La question du champ dépasse en l’englobant celle de la ligne. La question du champ porte sur le support. La question du champ ne se pose pas pour l’instant, pas dans l’immédiat de l’instant en tout cas. On pourra, plus tard, si on veut, et uniquement si on le veut, dégager le problème du champ de l’embarras où il nous met. Quoiqu’il en soit, nous devons à cette fin d’abord en finir absolument avec la ligne (quoique champ et ligne soient de l’ordre de la réciprocité vague)

 A nouveau, la ligne nous contrarie et nous force à penser son au-delà comme sa condition.

En tout cas, si j’avais quelque chose à dire de la ligne, ce dont je ne suis pas vraiment convaincu, je dirai qu’on ne peut l’envisager comme frontière, comme une limite qui courrait entre ce qui s’achève et ce qui commence, ou entre ce qui s’achève et ce qui s’achève ou encore, même si on pousse un peu trop les choses, entre ce qui commence et ce qui commence.

Ne pas oublier : la ligne, c’est le dynamisme du vide.

En ce sens, elle entretient une relation honteuse avec les nuages, la nécessité ou la contingence, sujet de notre prochaine étude.

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