Las… ils sont derrière nous, Les Flagey Piano Days. Véritable ode à la musique et à l’art, ils transcendaient les frontières du temps et de la culture pour offrir une expérience inoubliable à un public chaleureux et enthousiaste.

 Ils fêtaient l’inauguration du nouveau piano Steinway acquis tout récemment à Hambourg et étaient pour la première fois guidées par une célèbre et fringante pianiste, Anna Vinnitskaya. De quoi aimanter des spectateurs curieux et passionnés par l’excellence musicale. Ainsi, au deuxième jour, il nous a été donné d’écouter dans une salle pleine comme un œuf, trois œuvres moins connues.

Tout d’abord, La suite instrumentale  Kijé Op.60 de Sergei Prokofiev écrite à l’origine sous forme de musique d’un  film éponyme, produit par les studios de cinéma Belgoskino de Leningrad et sorti en mars 1934. Il s’agissait de la première tentative de Prokofiev en matière de musique de film et de sa première commande. Une œuvre qui balance entre   satire politique  et  épopée.

Histoire réelle, Kijé est un  personnage fictif * qui  fut tenu pour réel par l’administration russe, une histoire pleine d’absurdité !  Ceci  entraîna d’ailleurs une multitude de quiproquos très réels et parfois douloureux pour ceux qui en furent victimes . La nouvelle dont Prokofiev s’inspire fait partie d’ un recueil d’anecdotes paru en 1901 sous la plume de l’auteur Tynianov. Il s’agit, on s’en doute, d’une satire de la bureaucratie russe et l’empereur, irascible et capricieux, comme un évident portrait de …Staline. Au cours de la suite  on assiste ironiquement  à la naissance claironnante d’un petit fifre, suivie d’une Romance mélancolique ourlée des sanglots d’une colombe grise et triste. On assiste à un mariage villageois  ample et pompeux, sachant que tout est ridicule puisque le personnage soi-disant réel n’existe pas. Mais on verse avec bonheur dans la neige délicate, l’espace de vitesse et de liberté, d’une course vertigineuse en Troïka. La poésie est mariée aux instruments de musique: fifres et archets puis, la vie part en fumée, et nous quitte comme elle est arrivée, dans un enterrement ironique…

Un sublime et peu joué   Premier Concerto pour piano de Sergueï Rachmaninov, composé à l’âge de 18 ans prend la suite, porté par  l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et Anna Vinnitskaya, lauréate du Concours Reine Elisabeth 2007. Beaucoup de peps juvénile, après une ouverture spectaculaire qui vous frappe de plein fouet. Des cuivres éclatants des percussions de tonnerre et enfin le toucher magique de la pianiste de rêve pour réveiller l’âme de la musique.  Tantôt cajolerie tendre, tantôt abandon, et dans le sourire de la  pianiste, la secrète joie d’avoir ouvert les portes du cœur. Anna Vinnitskaya  en féé musicale, préside à un entrelac de sentiments sublimes comme sur une tapisserie précieuse. De magnifiques soli instrumentaux conversent avec  elle en toute fluidité.  La matière musicale est contrôlée, précise et suave, le regard suspendu aux mains du chef d’orchestre, Samuel Jean.  Tout aussi lyrique et passionnant se révèle pour finir la soirée sous la baguette de Samuel Jean « Aladdin »une musique de scène   faisant  revivre la magie des Mille et une nuits, créée par le danois Carl Nielsen pour accompagner une reprise de l’Aladdin du dramaturge  Adam Oehlenschläger au Théâtre Royal Danois en février  1919.

 Autant dire que Les Piano Days à Flagey sont chaque hiver un  événement d’exception  qui  réunit un bouquet d’artistes confirmés , chacun porteur d’une vision unique et d’indiscutable énergie artistique. Lors de cette édition 2024, avec des noms d’affiche  tels que  De Spartak Margaryan et Levi Stechtmann, en passant par les prodigieux frères Arthur et Lucas Jussen, les concerts ont fait fleurir virtuosité et authenticité devant des publics conquis.

La fusion d’influences et de styles a mis en avant la vitalité et de la créativité de ce festival bruxellois dont les divers concerts étaient souvent sold out.

Mais les Flagey Piano Days ne se contentent pas de ravir les amateurs de musique classique, ils célèbrent  chaque année également le jazz dans toute sa splendeur, grâce à des virtuoses tels que Yaron Herman et Stefano Bollani. Et avec la présence envoûtante du compositeur et pianiste australien Zubin Kanga, l’événement devient une exploration captivante des sonorités ultra-contemporaines.

En tant que lieu de rencontre entre les générations d’artistes et de passionnés, les Flagey Piano Days incarnent effectivement l’esprit de découverte et de renouveau. Ils nous invitent à nous immerger dans un univers où la musique, année après année, nous enivre et nous transporte, réchauffant nos cœurs au cœur de l’hiver, y semant le vif espoir du printemps. A l’an prochain ?

Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour Arts et Lettres

info: https://www.flagey.be/fr/activity/10393-anna-vinnitskaya-oprl

*Ainsi, par un caprice phonétique de la langue russe  sous le règne de Paul Ier prend naissance un être fictif dont l’entourage de l’empereur n’osera jamais révéler l’inexistence. On en profite aussitôt pour attribuer à Kijé une faute que personne ne voulait endosser, une fausse alerte qui avait réveillé Sa Majesté. L’empereur ordonne l’exil de Kijé en Sibérie. L’institution militaire russe, respectant l’ordre à la lettre, envoie donc vers la Sibérie une escorte sans prisonnier. Par la suite, Paul Ier, sujet à des crises d’angoisse, se méfiant de son entourage, cherche à promouvoir des officiers non issus de la noblesse. Kijé, en tant que militaire modèle aux états de service parfaits, sans attaches ni « piston » d’aristocrates ou de personnages haut placés, est d’abord gracié, puis nommé capitaine, enfin colonel chef de régiment. Une maison lui est attribuée, ainsi que des serviteurs!