Pâques 1959 - Bukavu (Clinique d'Ibanda)
Entrée d'urgence en clinique le Jour de Pâques de cette année là, pour essayer d'enrayer le travail précoce d'une naissance au quatrième mois et demi de grossesse.
Je venais d'étrenner fièrement une "marinière" Un vêtement destiné aux femmes enceintes à cette époque. Une "marinière" que j'avais confectionnée avec tant de joie. Car, nous, les "coloniales" avions l'habitude des travaux d'aiguilles, comme beaucoup de femmes en ces années là.
"Coloniales", un mot que nous ne connaissions pas ... pas encore. Quand nous partions en Afrique, c'était pour faire "oeuvre civilisatrice". C'est du moins ce que l'enseignement de cette époque nous distillait et que nous appliquions avec conviction. Oui, nous étions très fiers de partager nos savoirs avec nos frères et soeurs Africains.
Dès mon arrivée à la clinique,le médecin a fait une première piqûre afin d'enrayer le "travail".
La seconde intraveineuse a été injectée le soir par la religieuse directrice de l'Hôpital.
Malheureusement, le produit est passé à côté de la veine. Je les ai petites et "difficiles"
Etrange coïncidence : en ce moment, à la télé, l'on parle justement de ce fabuleux médecin de Bukavu qui soigne les femmes violées et martyrisées !! Là où les violences sexuelles ont pris de proportions inouïes : on vient de citer le chiffre de 500.000 !!!
Des souffrances aigües ont traversé mon corps: du dimanche matin au lundi soir ... Dès mon arrivée à la clinique jusqu'à la naissance de notre petite fille "Marie". Qui m'a été enlevée sans que je puisse la voir.
J'ai fait une scène terrible jusqu'au moment où ma demande a été exaucée malgré l'avis négatif du Médecin. Je ne l'ai jamais regretté, bien au contraire.
L'enfant mort m'a traversée le 28 avril 1975, soit environ 16 ans après cette épreuve.
J'ai voulu contempler ton visage d'enfant,
Ton visage où la mort avait clos les paupières,
Mais ta peau reflétait des ondes de Lumières
Et mon corps, déchiré, refusait le néant.
Tu étais l'embryon d'un monde agonisant,
Dont le royaume d'eau, sans rives ni frontières,
S'étoilait d'un réseau de lèvres en prières,
Où se mirait l'orgueil aboli d'un vivant.
Des larmes de vermeil ont épuisé mon corps,
Je regardais le ciel à l'envers du décor
Et vouais au Seigneur les feux de mon silence.
Tu errais dans la nuit : un soleil sans pudeur
Eclairait le réveil de l'Ultime Douleur :
Mes yeux, anéantis, n'étaient plus que démence.
28 avril 1975. (Extrait du recueil "Intégrales" paru en décembre 1983 à compte d'auteurs)
En 1959, les antidouleurs n'étaient pas utilisés et il fallait souffrir en silence.
Notre petite Marie a été baptisée en urgence, car elle n'a vécu que quelques instants seulement et ce, hors de ma présence. Elle a rejoint ses trois frères ou soeurs qui l'ont précédée.
J'ai interrogé la Religieuse : "Qu'allez-vous en faire ?" Sa réponse m'a rassurée :
"Ne vous inquiétez pas, autour de la Clinique il y a un petit cimetière réservé "à ces enfants là".
Notre petite Marie dort à présent en cette Terre Africaine où le fameux Docteur Africain pour qui j'éprouve une admiration sans bornes, soigne avec tant de dévouement nos soeurs africaines si durement éprouvées.
Rolande Quivron (E.L. Quivron-Delmeira)