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Le Messianisme juif est un courant d'idées surgi à l'intérieur du peuple juif à l'époque du second Temple et caractérisé par la croyance en la venue d'un descendant de David, qui, envoyé par Dieu en vue de délivrer les Juifs du joug des païens, ramènerait les exilés et rétablirait le culte du Temple, cependant qu'une ère de perfection morale et de félicité se trouverait établie pour Israël et l'humanité tout entière.

Le titre de Messie (de l'hébreu Masiah) signifie l'«Oint», car les rois d'Israël étaient investis dans leur fonction par le rite de l'onction. Le messianisme présuppose un certain nombre d'idées bibliques: l'idée de l'élection de David et la perpétuation de sa dynastie à laquelle d'autres nations seront soumises. Puis, après le schisme entre Juda et Israël, l'espoir qu'un jour cette situation se trouverait dépassée et qu'un descendant de David règnerait à nouveau sur un empire hébreu réunifié. Enfin est intervenue une nouvelle conception du roi porteur de dons charismatiques, plein de zèle pour la justice et le droit (Isaïe,IX, 1-6, et XVI,4-5). Le second Isaïe (XIV,1), parlant de Cyrus, s'exprime en ces termes: «Ainsi parle le Seigneur à son oint (Li-Mesiho).» Le prophète entend par là que ce roi non israélite a été choisi par Dieu pour un grand dessein et une grande mission, mais le terme n'a pas encore dans ce contexte un sens proprement messianique. Le vocable de Messie en tant que désignation du libérateur eschatologique n'existe pas dans les textes bibliques et n'apparaît qu'à l'époque du second Temple.

Le messianisme a partie liée avec l' apocalyptique, laquelle prétend révéler les secrets de la fin des temps, introduit l'idée de deux éons successifs et élargit au niveau cosmique l'antithèse entre Israël et les nations: saints et pécheurs, lumière et ténèbres. La fin des jours comprend indissolublement un élément catastrophique mêlé à un élément eschatologique. C'est dans ce contexte qu'apparaît la figure mystérieuse du «Fils de l'homme» (Daniel,VII, 13). Pour l'ancien judaïsme, l'idée du salut eschatologique est plus importante que celle du Messie. Ainsi, dans le Livre de Tobie (XIII), est-il question de la reconstruction de Jérusalem, du rassemblement des exilés, de la lumière qui éclairera les gentils, sans que le Messie soit mentionné.

La figure du Messie lui-même est très plastique. Déjà le Livre de Zacharie mentionnait deux figures messianiques: le roi messianique et le grand prêtre (Zacharie,IV, 14). Les écrits de Qumran majorent la figure du grand prêtre eschatologique issu de Lévi aux dépens de celle du descendant de David et y joignent celle d'un Messie prophète.

Pour le judaïsme rabbinique, le Messie est le roi qui opérera la rédemption et gouvernera Israël, en même temps que l'instrument par lequel le royaume de Dieu sera établi sur la terre. Il accomplira les promesses des prophètes, combattra et vaincra les ennemis d'Israël, en même temps qu'il viendra révéler le sens ultime de la Torah. À côté du Messie fils de David apparaît la figure du Messie fils de Joseph voué à mourir au combat («Sukkah», 52a), dont l'idée a été pour le moins revivifiée par la révolte de Bar-Kokhba. Cela dit, on rencontre dans les écrits rabbiniques des vues très diverses sur le Messie et sur l'époque messianique, qui reflètent les tensions entre les aspects particularistes et les aspects universalistes de l'idée. Les conceptions messianiques donnaient lieu aussi à des affrontements entre les interprétations restauratrices et les interprétations utopiques de l'économie messianique et/ou eschatologique.

C'est sans nul doute à partir de ce contexte qu'il faut comprendre les débuts du christianisme: ce dernier n'était alors qu'un mouvement messianique juif, qui par la suite conquit les masses païennes de l'Empire romain. Il semble que le christianisme primitif ait réclamé assez rapidement le titre de Messie pour Jésus. Il faut sur ce point distinguer entre les Évangiles synoptiques et le kérigme de la prédication postpascale. Il n'est pas évident que Jésus lui-même ait affirmé le caractère messianique de ses prétentions. C'est ainsi qu'il se nomme souvent «Fils de l'homme» (Matthieu, V, 11; Marc, VIII, 27-31). Il pense être le Fils de Dieu, qui a une relation spécifique avec son Père (Matthieu, VII, 21; Luc, II, 42 et X, 22). Il est à remarquer toutefois que le titre de Christos (Messie) n'est pas prononcé par lui, mais toujours par d'autres personnes, par exemple Pierre (Matthieu, XVI, 16; Luc, IX, 20). Les Évangiles rapportent que les Juifs voyaient en lui leur futur libérateur sur le plan politique (Jean, VI, 15; Marc, XI; Luc, IX, 23), alors que lui-même se considérait comme le serviteur souffrant (Marc, VIII, 31; Luc, IX, 22). Ce n'est qu'au niveau de la prédication postpascale que Jésus est qualifié de Messie (Actes, II, 36; III, 15; etc.) et de rejeton de David (Actes, II, 30), affirmation qui donne naissance, en retour, aux généalogies évangéliques cherchant à fonder la filiation davidique de Jésus. Le christianisme primitif s'est donc efforcé simultanément de démontrer que Jésus accomplissait toutes les espérances messianiques annoncées dans les anciennes prophéties et de soutenir qu'il les dépassait dans un sens proprement spirituel. Et c'est là précisément qu'il faut placer l'origine de la dénégation juive à l'égard du christianisme naissant. Le christianisme conçoit la rédemption comme un événement dans le domaine spirituel et dans l'invisible, événement qui se joue dans l'âme de l'individu et qui produit une transformation secrète à laquelle rien ne peut correspondre dans le monde. Au contraire, pour le judaïsme sous toutes ses formes, la rédemption est un événement qui se produit d'une manière ouverte et publique sur la scène de l'histoire par la médiation de la communauté et qui ne peut être pensé sans une telle manifestation visible du royaume de Dieu.

Les guerres incessantes entre Byzance et les Perses au VIe et au VIIe siècle donnèrent naissance à de nombreux écrits messianiques, dont le pseudépigraphe Livre de Zérubabel est le plus connu: on y décrit en détail comment l'apparition du roi messie sera précédée de l'avènement d'Armilius (déformation de Romulus), l'empereur satanique de Rome qui conquerra le monde entier à l'exception des Juifs. Ceux-ci, d'abord dirigés par le Messie fils de Joseph, qui sera tué au combat près de Jérusalem, finiront par triompher sous la conduite du fils de David, lequel fera entrer le monde dans l'ère messianique.

Les mouvements messianiques réapparurent de façon sporadique durant le Moyen Âge (ainsi, à Bagdad, au XIIe siècle, avec David Aroy ou, à la même époque, au Yémen, ou encore, en 1295, à Ávila en Espagne), se heurtant aux réticences du judaïsme institutionnalisé, qui se trouvent bien exprimées dans le Code de lois de Maimonide (chap. XI et XII de la jurisprudence royale). Le choc produit par l'expulsion des Juifs d' Espagne (1492) et les spéculations kabbalistiques de l'école de Safed provoquèrent la grande explosion messianique de Sabbataï Zevi au XVIIe siècle, explosion dont les implications historiques et intellectuelles se font sentir aujourd'hui encore sur les Juifs de la modernité. Au XIXe siècle, la Haskala (le mouvement des Lumières) et la réforme juive interprétèrent le messianisme comme un mouvement de diffusion du monothéisme prophétique rendant caduques la notion d'un Messie personnel et les connotations nationales et politiques de cette idée. L'échec de l'assimilation des Juifs à la civilisation européenne conduisit le sionisme, par une réaction légitime, à revaloriser les aspects nationaux de l'idée messianique sous une forme préalablement sécularisée. De nos jours, beaucoup de Juifs religieux voient dans l'État d'Israël les prodromes de la rédemption ('athalta de-ge'ulla).

 

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