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Un destin américain ( 16 ) : A Horaing

Au printemps revenu quelques menus travaux m’attendaient chez Marienka. La nature sortait timidement de son sommeil. Les bourgeons commençaient à verdir le paysage squelettique de l’hiver et redonner aux arbres avec des minuscules feuilles naissantes la vie qui semblait les avoir quitté pour toujours. Mais non , pas d’inquiétude inutile, les saisons se succèdent et il n’en manquera aucune à jalonner mon passage. Fort de cette certitude renouvelée et de cette énergie réveillée au printemps nouveau, je trempais un pinceau et redonnais un peu d’éclat à une vieille porte de grange. Nous évoquâmes ensemble l’histoire de Judith à Lille, sa désillusion mais aussi l’expérience qu’elle avait tirée de son passage chez oncle Félix et tante Anna. De toute évidence il me venait à l’esprit que notre vie serait peuplée d’expériences et que sans elles nous n’aurions aucune signification, aucune raison d’être. Marienka savait que Judith avait rencontré un garçon à Lille. Elle lui avait écrit cette rencontre parmi tout le reste mais ma tante poussa un soupir à cette évocation.
Un beau soleil d’après-midi vint envelopper de sa chaleur nouvelle notre conversation sous la serre où les couleurs chatoyantes de la vigne vierge donnèrent à toutes ces péripéties lointaines pour nous deux des accents de déjà-vu, de naturel. L’exceptionnel se mit à devenir banal, complètement inclus dans la marche d’un temps programmé et bienfaisant. Je devais prendre congé maintenant car je savais être de trop dans sa rêverie quotidienne à cette heure-ci. Porté par ma dernière envie de la saluer et de tapoter la vitre de sa chambre, je me retins pour la regarder. Un enfant peut difficilement comprendre pourquoi « un grand » reste dans son lit à se remémorer son passé, en souffrir avec régularité, vivre dans ce refuge complètement artificiel et sans consistance à ses propres yeux, où les actions sont freinées par un avenir qui ne veut plus se dessiner et que seul un passé invisible agite encore un corps presque mourant. Elle était là, couchée, inerte presque. Je la vis les yeux fixés au plafond comme lorsque l’on cherche à comprendre une histoire compliquée . Elle avait une boite entre les mains. Une boîte en fer. Tiens me dis-je, voilà son secret, la tante mange des biscuits ou des chocolats en cachette. Rien de surprenant , ce devait être de famille ! Quand soudain elle l’ouvrit et en tira des photographies. Elle prit l’une d’elles et la baisa à plusieurs reprises, la posa sur sa poitrine, s’étendit et ferma les yeux. Mes doigts proches de la vitre ne la tapotèrent pas comme s’ils avaient compris plus vite que mes yeux. Tout mon jeune être venait de recevoir cette sublime image qui ne m’a jamais quitté d’une grande personne entre parenthèses, vivant le présent grâce à une photographie secrètement dissimulée. Je pensais : que deviendrait-elle sans elle ? Qui était sur cette photo ? Tant d’amour pour un bout de papier ! Je m’éclipsais sans faire de bruit avec la joie d’un enfant qui vient de démasquer « un grand « . Habituellement c’était le contraire. Je jubilais donc. Ce spectacle n’était que pour moi seul, personne d’autre ne le connaissait . Je comprenais maintenant ces yeux absents , perchés dans un au-delà tout proche et ce petit sourire compatissant quand il me tendait un quartier de tarte comme pour m’annoncer un futur tout proche à ma porte. Je découvris aussi que la curiosité était bonne à vivre quand elle était teintée de l’espièglerie à démasquer un secret.

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