Le roi Lear
de William SHAEKESPEARE
Magnifique spectacle. La conception scénique de la pièce donne assurément libre cours à toutes les interprétations. Ce décor unique, vide et mouvant, fait d’immenses cordages d’un rouge dérangeant, forme une cage en entonnoir ouverte sur le public. Représente-t-il le terrible enfermement des liens familiaux, pareils aux barreaux d’une prison qui vous suivrait partout et vous étrangle, à force? Le plan incliné est-il celui d’un pont de navire, ou d’une tragédie familiale, qui sombre peu à peu, corps et biens ? N’évoque-t-il pas aussi la brutalité des conflits de filiation qui, comme la vie, ne tient souvent qu’à un fil … Parlant de cordes, l’ensemble ne met-il pas en scène aussi la hantise du gibet omniprésent, mode d’exécution sanguinaire de l’époque, en donnant couleur même aux costumes, faits de sable et de sang caillé ? A moins que très prosaïquement, on soit sur un podium pour le combat sans merci que se livrent les filles aînées du roi, hystériques et déchaînées par leur cupidité et leur orgueil. Je pencherais personnellement pour l’horreur du « Pit and Pendulum » d’Edgar Poe.
Si le roi Lear me fait décidément trop penser à l’élégant instrument de musique, plutôt qu’au roi celte Leir qui dans sa folie sénile et tyrannique déshérita sa fille préférée Cordélia, voici, mises à nu, les cordes sensibles d’un roi Lyre sur lesquelles soufflent la hantise de l’odieuse vieillesse et la folie avérée. Malgré son bannissement ignominieux, Cordélia pense juste et parle droit : « Venez accorder les dissonances de mon père aimé ! » Ainsi le « King Lear » de ce soir est un personnage menu, étonnant d’inconscience, de brutalité au début, transformé ensuite par les circonstances en sorte de Diogène hagard dont l’humanité finit par émerger au travers de terribles souffrances.
Si rien que la scénographie met déjà le spectateur en phase avec l’imaginaire, que dire de la langue d’une richesse inouïe qui a su traduire à merveille le texte original anglo-saxon. Que dire de l’intrigue aussi perfidement dangereuse qu’ un mortel labyrinthe. Que dire de ces personnages épiques, admirablement défendus par 11 comédiens gonflés de maîtrise. Alors le délicat clavecin à qui on demande d’accompagner la tempête fantastique et qui joue sans frémir, de la musique de Scarlatti semble être un objet incongru, surréaliste même.
« Par ruse, si pas par droit du sang, j’aurai des terres ! » prophétise Edmond : la double intrigue shakespearienne ne fait qu’augmenter l’horreur des crimes parricides et fratricides tandis que l’humour noir est omniprésent. Les scènes baroques et drolatiques abondent sur la langue du fou de miel et du fou de fiel tandis que surgissent çà et là des jugements bien pesés sur le monde. Ce spectacle très prolixe est donc une réalisation extra…ordinaire, comme les histoires d’Edgar Poe, qui tient le spectateur dans ses griffes jusqu’à la fin. Sur scène rampe à la fin, parmi les corps inanimés, le cauchemar épouvantablement intemporel des tragédies familiales et de l’aventure humaine si dérisoire. Toujours nous rendrons « responsables de nos désastres, le soleil, la lune et les astres ! »
Mise en scène : Lorent WANSON.
Assistanat : Anne FESTRAETS.
Décor : Daniel LESAGE.
Costumes : Patricia EGGERICKX.
Lumières : Xavier LAUWERS.
Musique : Domenico SCARLATTI, interprétée en direct au clavecin par Fabian FIORINI.
Avec:
Jean-Marie PÉTINIOT (Lear )
Delphine BIBET (Goneril )
Philippe JEUSETTE (Kent)
Sylvie LANDUYT (Regane )
Julien ROY (Gloucester )
Benoît VAN DORSLAER (Albany et le Fou)
Yvain JUILLARD (Edgar )
Lindsay GINEPRI (Cordelia)
Benoît RANDAXHE (Edmond )
Guillaume KERBUSCH (Oswald )
Loïg KERVAHUT (Cornouailles)
Traduction de Françoise MORVAN, avec la collaboration d'André MARKOWICZ
http://www.theatreduparc.be/spectacle/spectacle_2011_2012_00
Commentaires
50 degrés Nord: commencez à la minute 1.49!
http://www.rtbf.be/video/v_50-degres-nord?id=1605263&category=v...
Extrait de la note d’intention du metteur en scène Jean-François Sivadier sur Le Roi Lear
Le Roi divise son royaume en trois parts,
Qu’il destine à chacune de ses trois filles.
Avant de procéder au partage, il leur demande de lui faire,
Publiquement une déclaration de leur amour filial,
En échange de quoi, (et selon la qualité du texte),
Elles se verront attribuer une part plus ou moins opulente.
(Dis-moi combien tu m’aimes, je te donnerai ce que ça vaut.
Ton amour, ou du moins le texte qu’il t’inspire, sera récompensé).
Les deux aînées prennent la parole et reçoivent immédiatement leurs parts.
Le Roi demande à la cadette ce qu’elle peut dire de son amour pour obtenir
Un tiers du royaume peut-être plus intéressant encore que celui de ses soeurs.
L’enfant à qui l’on dit : « je te donne un cadeau mais embrasse-moi d’abord »
S’exécute sinon par amour, du moins dans le jeu de l’amour.
On peut mettre en doute la sincérité du baiser mais pas sa théâtralité.
Cordélia ne sait pas jouer la comédie.
Cordélia répond « rien ».
Dès la première scène de la pièce, celui qui a confondu l’espace privé et l’espace
public, l’intime et le politique, l’amour (relatif) pour le père et l’amour (par essence
indéfectible) pour le roi, celui qui a obligé ses filles à prostituer leurs sentiments, à
faire de leur amour une monnaie d’échange pour acheter ce qu’il leur offre, qui a
donné le champ libre au théâtre avec une épreuve conçue comme un exercice
d’acteur, celui qui a abandonné son pouvoir, son autorité, ses biens, le
gouvernement de l’Etat, tout en prétendant rester celui qu’on appelle le roi, Lear,
avec une question, a fait vaciller la représentation. La réponse de Cordélia achève
d’en détruire l’équilibre. Lear, on pourrait dire, sans jeu de mot, c’est tout le théâtre à partir de rien.
Le rien de Cordélia sonne comme une insulte, c’est un cadeau. Car si le roi possède
tout, il lui manque une chose essentielle : l’épreuve du manque. La connaissance
non pas de ce qu’il représente et de ce qu’il possède mais de ce qu’il est.
(…)Lear est une histoire de territoires et de corps. De places et d’identités. Le roi
descend du trône et le monde se déplace. Le roi dépose la couronne et personne ne
reconnaît plus personne. Le roi décide d’être partout et nulle part en même temps,
Kent transforme l’exil en liberté et chacun s’abîme : « Où suis-je ? Où sont les
autres ? Qui suis-je ? Qui sont les autres ? »
Etre et ne pas être c’est la question au centre de laquelle chacun a rendez-vous avec
lui-même.
Source : dossier de presse du Théâtre National de Toulouse Le Roi Lear de William Shakespeare - Mise en scène Jean-François Sivadier – février 2008
J'ai beaucoup aimé le théâtre. Le savez-vous: vous écrivez très, très bien. Et vous parlez de ses contemporains et des nôtres. Très bien aussi.
Amitiés
http://www.lalibre.be/culture/scenes/article/713752/lear-ou-le-nerf...
Une très belle question dans la pièce "Il y a t'il dans la nature quelque chose qui produise des coeurs durs? "
C'est la question principale après "Qui suis-je?" posée par Lear.
Unchain my heart! Hélas, où avais-je la tête? Parlant des cordes du décor ...parlons plutôt du coeur!
Cor, cordis: le coeur en latin , Cordelia pour la princesses celte! Et le Coeur délia!