Le mystère Sherlock Holmes de Thierry Janssen
L’imagination au pouvoir, le pouvoir de l’imagination. Il semblerait que Thierry Janssen, comédien dans la pièce, ait tout le loisir de devenir un véritable Holmésien depuis qu’il nous a livré son pastiche apocryphe du vénéré Sherlock Holmes écrit spécialement pour la circonstance. Il a en effet accepté d’offrir au théâtre du Parc une nouvelle production spectaculaire dans sa programmation 2012-2013, aussi réussie que le «Tour du monde en 80 jours » de l’année précédente. Ici, non seulement l’ingénierie fantastique des décors fascine le spectateur, mais un texte bardé d’humour et de parodies savoureuses vous tient en haleine, malgré quelques passages un peu enchevêtrés. Voici Sherlock Holmes à la recherche du temps perdu. Le voici bientôt comme un enfant lâché dans une forêt magique, Petit Poucet (!) à la recherche de ses racines, vaillant combattant de la monstrueuse figure paternelle, nostalgique absolu de l’amour maternel. Ainsi en décidait la très sévère éducation anglaise d’antan.
« Te crois-tu assez courageux pour vaincre tes propres démons? » demande Violet, la mère de Sherlock Holmes. Toute la question est là.
Entendez: drogues hallucinogènes aidant, nous assistons à une enquête mi-psychanalytique, mi-policière à propos de l’enfance du héros immortel. Voici un univers palpitant et symbolique - Maeterlinck notre prix Nobel de la littérature doit se retourner de jalousie dans sa tombe – fait d'atmosphères envoûtantes. Une île maudite prise dans les brumes, sise sur la Bouche des Enfers, bientôt cernée par les glaces à laquelle on accède à l’aide d’un passeur encapuchonné d’un sinistre manteau qui fait froid dans le dos lorsqu’il tend la main pour recueillir son obole. Le château macabre d’où fusent les incantations étranges de rituels sataniques ouvre ses grilles sur des scènes d’Alice au pays des Merveilles avec le Chapelier fou qui s’amuse à servir le thé. Les mets sont empoisonnés. Le gâteau aux carottes est la madeleine de Proust. Des passages secrets mènent droit aux Enfers débordants de flammes dévorantes. Un violon ensorcelé ou des salves de révolver aident à la concentration de l’illustre enquêteur.
Le crime, le sang, la vengeance, la jalousie mortelle : tout est fait pour terroriser et pour plaire à un public friand de mystérieux et de macabre. Les surprises de la machinerie du décor déferlent dans un rythme infernal, « à en avoir la chair de poulpe » selon le mot de l’inspecteur Lestrade, qui se gorge de lapsus drôlatiques. Mr. Lewis Carroll est l'ex-professeur de littérature du jeune Richard Blackmore, le jeune comte infortuné qui n’a jamais grandi suite à un violent traumatisme. La comtesse Margaret Blackmore, sa mère, épouse du défunt Arthur, cache un passé inavouable. Poignards et squelettes se poursuivent, les cadavres disparaissent. Le fantôme du père de Holmes erre sur la lande... Oswald, le majordome rondouillard flanqué de son Cerbère de toutou se retrouve sans tête. Surgissent des animaux chimériques faits de poil, plume, corne et écailles.... et même des allusions au Docteur Jekyll et Mr. Hide.
Le théâtre ainsi conçu s’empare voracement de votre imaginaire, que vous le vouliez ou non. Les jeunes et très jeunes adorent. Les moins jeunes se disent que l’accumulation de procédés a un côté satirique très désopilant. La scandaleuse Irène Adler se transforme en médium lascive et intéressée et Lestrade de Scotland Yard n’en a pas fini de jalouser l’intelligence du grand Sherlock Holmes qui possède cette mémoire étonnante et cette logique tellement prompte et … intuitive. Mais Sherlock Holmes doit soudain affronter le déferlement de ses émotions. « Tous ces souvenirs m'empêchent d'y voir clair. Je ne sais plus qui je suis. » Le voilà enfin humain! Grande innovation!
On adore Watson, son agilité de cabri, sa bienveillante patience et son amitié indéfectible, car Sherlock Holmes est plutôt rugueux malgré ses apparences de Dandy : « Seule la logique vous sauve de l’ennui». On peut presque comprendre l’irritation chronique devant tant de suffisance, de Lestrade l’enquêteur méthodiquement jaloux de Sherlock Holmes et dépourvu d’imagination. … Elémentaire, mon cher Watson !
L’aventure de la création de ce spectacle a dû être une véritable épopée pour l’équipe théâtrale au complet où l’imaginaire de chaque participant a pu s’ébattre en toute liberté sous les conseils judicieux de l’illustre metteuse en scène Jasmina Douieb. Cela se sent dans la production qui fourmille de splendides costumes, de surprises bouillonnantes, de références irrévérencieuses, de clins d’œil et d’humour. La musique de Peer Gynt suggère le cadre d’une légende où le fils quitte sa mère pour aller à l’aventure, les coups de tonnerre et les éclairs sont de la partie ainsi que les musiques d’épouvante, car tous les éléments participent à ce pandémonium savamment orchestré par … le Diable lui-même. Un feu d’artifice théâtral fracassant QUI FAIT EXPLOSER L'IMAGINAIRE.
Du 18 avril au 18 mai 2013
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