A l’approche du printemps 2015, le Klara festival, une émanation du festival van Vlaanderen se mobilise. Il est plus que jamais temps de cultiver son jardin musical, surtout qu’il est sous le thème le plus heureux qu’il soit : l’amour passion et l’amour compassion.
Orchestres, ensembles et chefs prestigieux vont se produire à Bozar, Flagey, au Singel et au Concertgebouw Brugge mais aussi dans d’autres lieux.
Cette 11e édition du festival dure 16 jours, du 06/03 au 21/03/2015, accueille 32 concerts, est présente sur les ondes pendant 2 semaines et demi de direct à la radio, concerne 14 millions d'auditeurs dans le monde entier, attend pas moins de 635 artistes et 20 000 visiteurs dans 11 lieux différents.
La chance nous sera donnée de voir et d'écouter René Jacobs, Stef Kamil Carlens, Teodor Currentzis, Serge Verstockt, Guido Belcanto, Hilary Hahn, Piotr Beczala, l'Orchestre royal du Concertgebouw Amsterdam, George Petrou, Julia Lezhneva, Shanti! Shanti!, Alexander Melnikov, Isabelle Faust, le RIAS Kammerchor berlinois, le Brussels Philharmonic, l'ensemble Kaleidoskop, ainsi qu'I Solisti del Vento. Mais bien d’autres encore !
La manière dont le Klarafestival aborde le thème « If love could be » est caractéristique : exploration des limites, regard neuf sur le répertoire, mise en œuvre d'associations inédites avec, en figures de proue, les couples mythiques Tristan et Iseult, et Roméo et Juliette.
Let it be!
Rien de plus envoûtant pour commencer que l’illustre René Jacobs et le Freiburger Barockorchester présentant « Il Barbiere di Siviglia », une œuvre de de Paisiello, musicien italien invité à la cour impériale de Catherine II de Russie. A la suite de la première à Saint-Pétersbourg le 26 septembre 1782, cette œuvre fourmillant d’éclats de rire et de légèreté - c’est un bijou d’opéra comique - a été jouée ensuite à Vienne, Naples, Prague, Versailles puis a parcouru l’Europe entière, y compris Bruxelles pour franchir l’Atlantique au début du XIXe siècle et se retrouver à Mexico et enfin en version française à La Nouvelle Orléans! Si populaire qu’elle fût, l’œuvre fut néanmoins longtemps éclipsée par celle de Rossini créée en 1816. Mais la revoici à Bruxelles, en 2015, la route est longue et le plaisir, inaltérable. Voici du théâtre chanté sur la scène de Bozar dans un écrin de musique festive.
L’œuvre est courte, la Grande Catherine exigeant que tout soit rendu en une heure trente, les récitatifs sont très brefs… Il n’y a pas de sous-titres à l’époque. « Ce que je devrai ensuite vous recommander, c’est la concision. Veuillez ne composer que peu, très peu de récitatifs, car ici ils ne comprennent pas cette langue. » lui écrit-on ! C’est donc à la musique de traduire l’histoire bien connue de la pièce de Beaumarchais et mise en livret par Giuseppe Petrosellini en 1782. Les différents personnages sont attachés à des orchestrations très pittoresques jusqu’à des bruits d’orage et des sons de cloche et les jeux mélodiques sont extrêmement vivants, colorés et passionnés.
Après une ouverture délicate et savoureuse avec René Jacobs à la direction, le style comique et la finesse dans la mise en place des situations sont mis à l’honneur. Avec son sens infaillible du rythme, René Jacobs donne un tempo virevoltant aux péripéties amoureuses. Il gère les tensions avec délicatesse et précision. Les gradations dynamiques sur instruments anciens font merveille.Toute cette comédie joyeuse et chantante se déroule presque comme une farandole tout autour du noyau des musiciens groupés autour d’un pianoforte. Le continuo de mandoline et violoncelle soutient malicieusement les mélodies.
Certaines scènes restent gravées dans la mémoire par la fraîcheur de leur interprétation. Ainsi les confidences du Figaro bon vivant (Andrè Schuen) au Comte Almaviva (Topi Lehtipuu) lui narrant avec verve son pittoresque périple en Espagne. De même, le chant d’amour du comte juché sur une chaise sous un balcon et l’apparition au fond du plateau de la belle soparano Mari Eriksmoen, norvégienne à la pulpeuse tresse blonde. Elle est vêtue d’une courte jupe noire à godets et doublure rouge sur chemisier virginal. Elle a une allure folle et une voix d’or qui interprète autant la naïveté de la jeune Rosina que les subtils mouvements de son âme amoureuse éprise de liberté.
Le baryton italien Pietro Spagnoli interprète Bartolo de façon magistrale. C’est le père jaloux, avare et autoritaire, entouré d’une domesticité dont l’une baille et l’autre éternue. Pietro Spagnoli propose un personnage très équilibré, entre une belle musicalité qui souligne l’amour d’un père pour sa fille et le personnage de théâtre ridicule qui n’est pas sans rappeler les malheureux pères de chez Molière dont se jouent inévitablement les amants victorieux. Mais le plus drôle est sans doute l’inénarrable Don Basilio (Fulvio Bettini), sorte de curé à lunettes et à béret basque qui est le maître de chant de la belle Rosina et qui n’est pas à une trahison près, du moment qu’il peut monnayer ses services contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Timbales et violons tremblent lors de son apologie de la calomnie, Don Basilio, apôtre de l’hypocrisie, chante comme un diable personnifié sous ses habits compassés. La colère de la belle qui risque d’être réduite en esclavage dans un mariage forcé, est commentée par un orchestre écumant de rage, de grondements, de chuintements, de sifflements et de bouillonnements intenses. Et le duo des retrouvailles entre le Comte et Rosine est un morceau de volupté et de plénitude lumineuse. La soirée est acclamée par un public complice de l’action et amoureux de cette musique retrouvée.
Le Klara festival promet d'être un sommet d'excellences.
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