« LE CIRQUE INVISIBLE » AU THÉÂTRE SAINT-MICHEL
Les portes sur le rêve s’ouvrent, nous allons rencontrer deux créateurs d’irréel. À l'inverse du cirque traditionnel où la prouesse acrobatique, le divertissement et les numéros spectaculaires crèvent l’affiche, ici la recherche d’une esthétique et la poésie se donnent la main pour présenter une vision artistique, vivante et continue d’un couple de deux vedettes étoiles particulières : Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée. Fille et beau-fils de Charlie Chaplin.
Voici une œuvre en soi, pas un simple spectacle. Cette réinvention du cirque renoue délibérément avec le théâtre, l’illusion, le drame, la chorégraphie. Le chapiteau a disparu, tout se passe sur un plateau, après un lever de rideau pour un spectacle frontal. Musique, lumières, costumes, danse, mimes, paroles – plutôt rares – (hop !), prestidigitation contribuent à l’illusion qui se veut féerique. Le pas vers le monde burlesque et drôle d’Alice au pays des merveilles est vite franchi. On est de l’autre côté du miroir, pour plonger dans le fantastique et le surréalisme : les objets s’animent, les animaux se métamorphosent, les frontières disparaissent, l’univers poétique explose.
Les artistes cultivent le non-sens qui réveille l’émotion de chacun. Et pourtant, si peu de mots ! Chaque fois, une nouvelle installation visuelle, vivante et dynamique défie notre imagination, nos rêves et nos vaticinations. Et à chaque fois que la secrète intention de l’artiste se fraie un chemin dans notre imaginaire, c’est un sentiment de victoire qui nous inonde grâce à la découverte émouvante de l’autre. Comme dans la poésie de Raymond Devos. On redécouvre aussi cet héritage commun de sentiments et de mythes qui nous lie entre humains, quels que soit notre âge, nos origines et notre parcours.
De leurs fils de soie invisibles les artistes harponnent un peu plus notre cœur, et on le leur donne avec gratitude. Les spectateurs, par leurs rires, alimentent en continu ces artistes fabuleux et agiles qui opèrent sur le modèle d’emboîtement des poupées russes, tout en construisant surprise et émerveillement de plus en plus grands, à la façon d’un feu d’artifice. Les voilà devenus de vrais créateurs d’irréel, à travers leur propre être de chair et d’os car ils ne jouent pas un personnage, ils sont des magiciens qui appellent la magie et les métamorphoses sans fin. Le public est médusé par les innombrables tiroirs secrets soudains mis à découvert, le foisonnement de formes et de couleurs, comme dans un immense kaléidoscope. Et ils ne sont que deux !
Ce qui rend aussi leur art encore plus authentique, c’est l’autodérision, les ratés, une certaine humilité. Ciselage méticuleux de chaque proposition, soi n extrême du détail, variété du cadre musical, changements de costumes magiques et instantanés, tableaux vivants flirtant avec l’art plastique. On est ébahi par tant de beauté, par l’inventivité et l’humour de ces enchaînements à couper le souffle. Car on est enchaîné et on ne quitte le spectacle qu’à regret, les yeux pleins de possibles. Et comme pour un concert, les artistes nous offrirons de multiples bis, chatoyants d’émotion, devant une salle comble, debout pour applaudir.
Visiter leur site: http://www.karavane.pro/16/le-cirque-invisible/
http://www.karavane.pro/wp-content/uploads/le_cirque_invisible-dossier_fr.pdf Extrait :
« Un origami vivant. Avec son corps de petite fille, Madame Chaplin se transforme en origami vivant, contorsionnant ses membres caoutchouc dans des numéros qui défient les lois de conservation de la masse.
Emmitouflée dans un costume triangulaire qui tourne comme un cerceau, elle se fait soudain engloutir par un vorace cœur d'artichaut. Plus tard, elle revient dans un vertugadin qu'elle transforme en cheval de velours. Tour à tour, femme-ombrelle, femme-oiseau, femme-orchestre ou femme-vélo, l'acrobate crée un bestiaire digne de Lewis Carroll. Comme un clin d'œil à son père en prise avec les machines dans Les Temps modernes, Victoria dompte les mécaniques les plus étranges, de l'horloge sur patte au paravent mobile.
Face à cette équilibriste silencieuse, Jean-Baptiste Thiérrée joue le clown illusionniste aux coups foireux, aux accessoires bricolés et aux costumes excentriques, en rayures de zèbre ou tapisserie ancienne. On sourit quand il allume une bougie, croque dedans, mâchouille et fait soudain apparaître une flamme rouge dans son ventre. On glousse quand il fait chanter toute une chorale de marionnettes accrochées à ses genoux et à ses fesses et on s'étonne de voir apparaître sa ménagerie d'oies et de lapins géants convoquée par magie.
Finalement, pour du cirque invisible, c'est plutôt remuant et coloré! De quoi donner des ailes pleines de plumes roses à notre imagination. Peu importe notre âge.
Laurent Ancion » LE SOIR 2008
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