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Le chien couleur de feu

Le chien couleur de feu.

Derrière la vitre à moitié recouverte de buée, Jeannot leva sa petite main et tirant sur la manche de son vieux pull, essuya un rond de buée pour mieux voir à l'extérieur de la maison de pierres et de bois. Il faisait à peu près bon maintenant. Il avait ajouté quelques buches qu'il avait trouvé dans la petite remise à côté de la cuisine. Il n'en restait plus beaucoup et Jeannot se demandait comment il allait faire pour chauffer la maison et l'eau de la soupe maigre si maman ne se réveillait pas. Comment sortir dehors avec toute cette neige qui lui arrivait au nombril et puis, comment ramener du bois sec maintenant que la neige avait envahi l'abri à bois par la porte arrachée à cause de la tempête ?

La neige ne tombait plus, ou presque. Les quelques rares flocons ressemblaient plus à des plumes qu'à cette montagne de neige qui avait recouvert le jardin, le chemin, l'abri à bois et la petite cabane où le père rangeait ses outils. Le père de Jeannot était parti à la fin de l'automne pour aller travailler en ville, qu'il avait dit.... qu'il avait criait plutôt, et Jeannot avait eu un peu peur de ce père en colère qu'il n'avait jamais vu de cette façon. Comme maman pleurait en le regardant préparer son sac de randonnée taillé dans une vieille veste en cuir, Jeannot avait un doute sur ce travail loin de la maison. Il y avait maintenant deux pages entières du calendrier rempli de croix pour rayer chaque journée qui passait à attendre, à ramasser quelques maigres pommes mais aussi des grosses châtaignes bien à l'abri dans une niche qui piquait les doigts. Dans le gros saloir en terre cuite, il restait quelques morceaux de cochons et une demi douzaine de tranches de lard, mais c'était tout. Jeannot avait faim mais comment manger le lard ? Comment faire cuire les châtaignes sans l'eau du puit ?

Jeannot retourna dans la petite chambre où dormait sa maman et lui caressa la joue. Il faisait froid dans ce coin de la maison car la cheminée ne suffisait pas à chauffer cette pièce et la grande cuisine.

C'est sans doute pour ça que maman avait la joue froide, pensa-t-il.

  • Maman j'ai faim, dit-il doucement dans son oreille.

Mais elle ne répondit toujours pas. Cela faisait deux croix que Jeannot avait dessiné sur le calendrier, et maman dormait toujours. Il posa ses fesses sur le coussin rouge posé sur le plancher de bois, ramena ses genoux sous son menton et pleura doucement. Pourquoi maman dort-elle si longtemps, et pourquoi papa est-il parti travailler si loin ? Autant de questions sans réponse et autant de raison d'avoir froid sans comprendre ce qui arrivait entre les murs en pierre de cette maison perdue dans la montagne.

Jeannot s'endormi.

Une douce chaleur envahi son cou, Jeannot ouvrit les yeux et cria de surprise. A qui était ce gros chien de la même couleur que les écureuils qui sautaient de branche en branche pendant l'été ?

Le chien s'assit devant lui et grogna doucement. Il s'approcha et lécha la figure du gamin, puis se dirigea vers sa mère et ouvrant grand sa gueule lui attrapa le bras. Jeannot hurla mais le gros chien continua à tirer sur le bras et doucement sa mère glissa par terre. Avec force mais délicatesse, comme la chatte attrapant ses petits, le chien couleur de feu tira le corps devant la cheminée. Puis, il prit une buche de la remise dans sa gueule et la laissa tomber dans le feu, parcourant la maison plusieurs fois. Après ce pénible travail, le chien se coucha devant la table en regardant la porte.

Dehors le jour était levé et un soleil timide commençait à pointer ses rayons sur la cîme des douglas qui entouraient la maison. De la neige, encore de la neige, tout était blanc, blanc et triste.... Même si la neige est belle, quand on a faim et presque froid, rien ne semble beau. Jeannot tira son pull sur sa petite main et essuya un peu de buée qui avait commencé à givrer sur la vitre de la cuisine. Le chien grogna doucement puis se leva et posa ses fesses sur le plancher. Les oreilles dressées, il avait entendu ce que les humains n'entendent pas, ou plutôt, ne savent plus entendre.

    • Qu'as tu à rouspéter ? lui demanda Jeannot.

Le chien continua à grogner doucement sans prêter attention au gamin qui essayait de comprendre ce que l'animal voulait dire.

Tout ce blanc, pensa Jeannot en regardant à nouveau par la fenêtre, ça fait mal aux yeux.... Sauf ce point bleu à l'emplacement où devait-être le chemin. Un point bleu ? Un point bleu qui bouge comme si … Puis un autre point bleu, puis un marron et vert... enfin peut-être, ils sont si loin.... Plus le gamin regardait et plus les points devenaient gros, jusqu'à ce qu'il comprit que c'était des enfants mais plus grands que lui ! A moins que ce ne soit... des hommes ? On dirait bien, pensa t-il ! Le chien se leva et aboya mais sans essayer d'ouvrir la porte. Cela aurait pourtant était facile, il lui suffisait de poser son museau sur la poignée à bascule et le tour était joué ; il avait bien réussi à descendre sa mère devant la cheminée et à ramener des bûches.

Il aboya encore une fois - Oua ! Puis deux fois - Oua, oua ! Jeannot, qui regardait les points bleus et marrons, vit la première silhouette lever un bras, puis la deuxième porta un objet à sa bouche et souffla. Le son d'une corne de chasse emplit la forêt..... Curieusement, tout redevenait plus joyeux, cette musique semblait redonner vie aux arbres, à l'abri, à la cabane ! Maintenant, les hommes étaient tout près et Jeannot reconnu le père Antoine, l'éleveur de brebis de la vallée, puis un autre homme qu'il ne connaissait pas et enfin un barbu dans sa veste marron et verte. Ce dernier leva un bras, puis l'autre et se mit à les croiser en criant :

  • Jeannot ! Jeannot !

  • Papa !

C'était bien lui, enfin, mais pourquoi les deux autres hommes ? Et pourquoi le chien aux poils couleur de feu ? Les trois hommes entrèrent dans la petite maison de pierre.

Maintenant, de grandes flammes jaunes et rouges montaient dans la cheminée. Une douce odeur de soupe envahissait la pièce et Jeannot laissa couler une larme, cette bonne odeur lui rappelait des temps heureux. Un des deux hommes en habits bleus frottait sa mère avec un liquide jaune qui sentait bon les fleurs du jardin, peut-être même un peu plus fort.... C'était presque trop fort comme odeur, mais cette friction avait redonné du rose aux joues de sa mère ! Il s'approcha, posa sa main sur son front, il était moins froid. Le feu et l'eau des fleurs, pensa jeannot. Son père s'approcha doucement et, le prenant par la main, l'amena vers le chien.

    • Viens Jeannot, je vais te présenter Apache ! C'est lui qui est venu nous cherchez dans la vallée. Quand il est rentré dans la maison, tu dormais les coudes sur la table. Il a compris que quelque chose n'allait pas. Alors il est resorti par le soupirail de la cave et il est descendu au village. Antoine connait bien son chien ! Il a compris qu'il se passait quelque chose d'anormal dans la montagne. Moi, j'étais sur le chemin du retour quand il est arrivé chez son maître. Il m'a attrapé par la manche et m'a tiré vers le chemin de crête. C'est là que nous avons compris qu'il s'agissait de notre maison, de notre famille.... Alors nous sommes allés chercher le guérisseur, au cas où, et nous avons pris le chemin vers le sommet.

    • Et maman, qu'est-ce qu'elle a eu ? Pourquoi a-t-elle dormi pendant deux jours en me laissant tout seul ? Pourquoi tu es parti si longtemps ? Pourquoi tu es revenu ?

Que de questions ! Comment un adulte pouvait-il faire comprendre à un enfant de cinq ans que souvent, presque toujours, quand il n'y a plus assez d'argent dans une famille, personne ne t'aide en ce début du vingtième siècle. Les aides, le chômage, tout ça n'existait pas encore, alors il fallait bien que l'un des deux se dévoua pour partir travailler ailleurs et ramener des sous (comme disait les anciens) afin de continuer à acheter le cochon, le sel, la farine, les habits et les petits soldats en plâtre que son père avait rapporté dans son gros sac en cuir. Sa mère avait eu, lui a t'on dit, une maladie dûe au manque de nourriture et le froid de la chambre avait fait le reste. Seulement voilà, en bas dans le village alors que les cloches sonnaient les douze coups de minuit du 24 décembre, le chien Apache avait compris que là haut, un petit bonhomme et sa maman avaient besoin de lui.

Aujourd'hui, cette maison de pierres existe toujours, mais plus personne ne l'habite, elle sert de refuge aux promeneurs, pendant les grands vents, et aux écureuils couleur de feu, comme Apache, le brave chien de la vallée.

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