Le bâtiment des moines.
A l'étage, le dortoir, au rez-de-chaussée, salles d'étude, salle du chapitre et sacristie.
Nous avons laissé Royaumont au bord de la ruine. Abondonner une abbaye royale érigée par Saint-Louis ! est-ce possible ?...
Allons-y voir de plus près.
Oui, approchez-vous...
Mais, après tout, Royaumont est proche de Versailles, d'Ecouen, de Chantilly, comme de la capitale, la situation est donc privilégiée.
Forêts, Thève et Ysieux, deux affluents de l'Oise, qui alimentaient les "beaux champs" de Royaumont, c'est du capital. Qui s'en va dormant...
Mais à d'autres revers ma fortune est tournée.
Dès le jour que Phoebus nous montre la journée,
Comme un hibou qui fuit la lumière & le jour,
Je me lève, & m'en vais dans le plus creux séjour
Que Royaumont recèle en ses forêts secrètes,
Des renards & des loups les ombreuses retraites.
Mathurin Régnier (1573-1613), Satire XV.
Régnier, qui jeune se vit imposer la tonsure et qui, l'âge venant, retrouva la piété, se recueillant en notre abbaye. Entre temps,
autres moeurs...
Il disait avoir
..." vécu sans nul pansement,
me laissant aller doucement
A la bonne loi naturelle."
Volontiers libertin et railleur. Partisan par ailleurs du mariage des prêtres.
"Que les prêtres du temps puissent se marier,
Afin que nous puissions, nous autres,
Leurs femmes caresser ainsi qu'ils font des notres."
Alors tel un Molière inspiré, des directeurs de conscience Mathurin sermonna les tartuferies.
Dans ses "Conseils de Cloris à Philis" - si - Régnier n'hésitait pas à éprouver
"La foi n'est plus au coeur qu'une chimère vaine,
Tu dois, sans t'arréter à la fidélité,
Te servir des amants comme des fleurs d'été."
Et à la question de la fausse ingénue, le vert Régnier, qui serait mort du "mal de Naples", répondait :
"Comment ne pourrions-nous avoir divers amants ?
Je connais maintes femmes à qui tout est de mise,
Qui changent plus souvent d'amant que de chemise."
Une demoiselle sur le domaine privé du Prudhomme ?!
Caloptéryx éclatant pris sur le vif à Royaumont.
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Charles Baudelaire
(Les fleurs du mal, Harmonie du soir)
à qui il arrivait de fustiger
Le mauvais moine, mauvais cénobite.
Je badine et m'éloigne de mon sujet... quoique "L'amour est capable de tous les excès" comme disait l'abbé Prévost, qui, dit-on, faillit mourir d'apoplexie en notre abbaye.
De l'abbaye j'évoquais donc son petit capital...
Abondance ne nuit pas, n'en déplaise à l'Etroite Observance. L'abbé commendaire l'a bien compris lui.
Richelieu, Mazarin puis les Lorraine aussi. Adorer le veau d'or que nenni, mais y élever le veau gras ne peut qu'agréer au roi et à sa cour.
Le tombeau du prince Henri de Lorraine, comte d'Harcourt,
commandé en 1711 au sculpteur Antoine Coysevox.
Installé dans le transept sud de l'abbatiale.
Le général de Louis XIII expire dans les bras de la Victoire !
Trompe l'oeil figurant le bronze
au pied du mausolée glorifiant
les hauts faits d'arme du général.
Les convers, de moins en moins nombreux, continuent à vaquer et à entretenir, notamment la manse de l'abbé commendaire.
Le dernier d'entre eux, Henri Eléonore François Le Cornut de Ballivières, excusez du peu, se désole de la dureté du lieu... et se fait construire un petit palais à la façon du Petit Trianon... à l'aube de la Révolution.
Sa modestie n'est pas comprise... il doit s'exiler !
Exit les moines.
Le bâtiment des latines (à gauche) :
les eaux usées passent par le canal, creusé au XIIIe siècle, qui le traverse.
En 1791, l'abbaye est déclarée bien national et vendue.
L'acquéreur est... marquis. Jean-Joseph Bourguet de Guilhem de Travenet, oui ma chère... tranformera l'abbaye en filature, c'est plus bourgeois et, ma foi, de bon rapport. Le potentiel hydraulique est là, l'église honnie est détruite l'année suivante. Mais la bonne pierre avec laquelle elle fut construite bien réemployée, notamment pour élever les bâtiments de l'ouvrier.
Le sprirituel est évacué au profit de l'industrieux marquis.
En 1815, l'usine et son matériel sont rachetés par le belge Joseph van der Mersch. Elle devient même un haut-lieu des plaisirs du bourgeois louis-philippard et du goût romantique. Les logements deviennent "cottages". On s'amuse et les journaliers filent.
En 1850, en pleine Ruée vers l'or, on y imprime des châles "à la Californie". Un produit très en vogue. A Creil-Montereau, noin loin de là, les faïenceries Lebeuf Milliet & Cie proposeront des assiettes "Aux mines d'or". Les modes et le merchandising (le mot n'existait pas encore, mais la pratique si) vont et se défont.
Mais la ruée va et reflue, et ainsi va le coton à l'eau. Les Ets Van der Mersch ferment en 1860...
L'eau du canal qui fournissait l'énergie à l'industrie.
C'était au temps où le coton filait.
... pour retourner dans l'escarcelle des Oblats de Marie-Immaculée qui confient les bâtiments aux bons soins des Soeurs de la Sainte-Famille qui font restaurer l'abbaye.
Saint-Louis et ses mânes soient loués !
Mais la patrie, mauvaise mère, devient laïque, quelle impiété !
Ses représentants votent la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ce dernier vend... à un riche industriel, Jules Edouard Goüin qui, fort heureusement, à le goût des vieilles pierres.
Pendant la Première Guerre Mondiale, voila notre abbaye qui devient le Scottish Women's Hospital. De bon secours.
La salle capitulaire devint hôpital,
avec la chaufferie et le réfectoire, à droite, derrière la galerie du cloître.
A suivre...
Michel Lansardière (texte et photos).
Commentaires
Retour apprécié Suzanne sur cet article déjà "ancien". Des travaux de rénovation, qui ont duré de janvier à juin 2016, ont redonné un coup de neuf à Royaumont pour cette nouvelle saison.
Cher Michel
Votre présentation est remarquable.
Je vous envie d'avoir pu méditer en un tel lieu.
Je me suis bien amusé en écrivant ce billet, même s'il m'a donné du fil à retordre.
Bien content que le plaisir fut partagé.
Merci Nicole.
Je n'oublie pas bien sûr Suzanne, Sandra, Nada, Jacqueline N. et Jacqueline G. ni Robert dont les appréciations ont sur moi un effet puissamment stimulant. Si j'osais je dirais même qu'A&L c'est mon viagra !
Merci Liliane.
Le petit coté polisson (cent fois remettre sur l'ouvrage...) me distrait de ma vie de moine !
Belle suite en vérité, qui donne une trame à l'histoire....
Merci Françoise pour ce commentaire encourageant. Cela me permet dès aujourd'hui de proposer une suite à cette visite.
Toujours aussi intéressant et agréable à lire. Merci Michel
Pour votre soutien, Jacqueline G., Jacqueline N., Nada et Suzanne, merci.
Comme souvent quelques petites retouches s'imposeront,
et, dès que le temps me la permettra, la suite viendra.
Aujourd'hui Royaumont a retrouvé un rayonnement international, un centre ouvert de paix et de culture. Je crois que c'était sa destinée.
Merci Béatrice.