Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

12272744683?profile=original« Les faux-monnayeurs «  est un roman d'André Gide (1869-1951), publié à Paris partiellement dans la Nouvelle Revue française de mars à juin 1925, et en volume chez Gallimard la même année (mis en vente en février 1926).

 

Gide rédige son roman, auquel il a commencé de travailler dès 1919 et dont l'idée est plus ancienne encore, entre octobre 1921 et juin 1925. Il s'agit, de l'aveu même de l'auteur, du seul «roman» qu'il ait composé, ses autres ouvrages de fiction étant des «récits» ou des «soties». Les Faux-Monnayeurs constituent pour Gide une sorte de testament littéraire: «Il me faut, pour écrire bien ce livre, me persuader que c'est le seul roman et le dernier livre que j'écrirai» (Journal des «Faux-Monnayeurs», 1927).

 

 

Première partie. «Paris». Le jeune Bernard Profitendieu, ayant découvert par hasard qu'il est un bâtard, quitte le foyer familial. M. Profitendieu, juge d'instruction, après une conversation avec son collègue Molinier - le père du meilleur ami de Bernard, nommé Olivier - au sujet d'une affaire impliquant des mineurs, rentre chez lui et trouve la lettre d'adieu de Bernard. Ce dernier vole, à la gare Saint-Lazare, la valise d'Édouard, écrivain et oncle d'Olivier. Vincent, le frère aîné d'Olivier, a eu une aventure amoureuse au sanatorium de Pau avec Laura, épouse de Douviers. Laura et Vincent sont maintenant à Paris et la jeune femme est enceinte mais Vincent ne l'aime plus. Il est désormais l'amant de Lilian Griffith que son ami Passavant, un écrivain à succès, lui a fait connaître. Édouard est venu à Paris car il a reçu un appel de détresse de Laura. On apprend dans le journal d'Édouard - trouvé par Bernard dans la valise - que celui-ci et Laura partageaient de tendres sentiments, mais que la jeune femme a pourtant épousé Douviers sur les conseils d'Édouard. Bernard décide d'aider Laura et lui rend visite. Édouard fait la connaissance de l'adolescent et l'engage comme secrétaire. Pendant ce temps, Passavant propose à Olivier de diriger une revue littéraire. Un vieux professeur de piano, La Pérouse, charge Édouard de rechercher son petit-fils Boris en Suisse.

 

Deuxième partie. «Saas-Fée». Bernard, qui a accompagné Édouard et Laura à Saas-Fée, en Suisse, écrit à Olivier et lui raconte leur rencontre avec Mme Sophroniska, sa fille Bronja et Boris. Édouard cause de ses projets littéraires avec ses compagnons et note la présence d'un certain Strouvilhou. Bernard avoue son amour à Laura mais celle-ci le repousse. Édouard décide de placer Boris dans la pension Vedel-Azaïs où Bernard est embauché comme surveillant. Olivier, quant à lui, est devenu le secrétaire de Passavant.


Troisième partie. «Paris». Georges, le jeune frère d'Olivier et de Vincent, écoule avec ses amis de la fausse monnaie. Strouvilhou, un anarchiste, est à la tête de l'affaire. Bernard devient l'amant de Sarah Vedel, la jeune soeur de Laura. Olivier tente de se suicider. Édouard et Olivier s'avouent et partagent enfin un amour qu'ils éprouvent depuis longtemps l'un pour l'autre. Édouard commence à rédiger son roman. Laura retourne auprès de son mari. Vincent tue Lilian. Boris apprend par une lettre que celle qu'il aime, Bronja, est morte. Les élèves de la pension Vedel, qui martyrisent Boris, imaginent une cruelle plaisanterie à l'issue de laquelle le jeune garçon, victime consentante en raison de son désespoir, est tué. Georges se repent et est pardonné. Bernard réintègre le foyer familial.

 

L'intrigue des Faux-Monnayeurs, tout comme celle des Caves du Vatican, le roman précédent de Gide, est fort complexe. Elle se présente comme une sorte de vaste système combinatoire dont les divers éléments finissent par se rassembler, au gré de coïncidences multiples. Peu soucieux de vraisemblance et de réalisme, Gide réalise une composition subtile et stylisée - l'écrivain Édouard veut présenter dans son ouvrage l'«effort pour [...] styliser la réalité» - qui remet ironiquement en question la tradition romanesque. L'entreprise gidienne participe des interrogations du moment relatives au genre romanesque et procède d'un refus identique à celui que l'on trouve exprimé en 1924 dans le premier Manifeste du surréalisme d'André Breton. A bien des égards, les Faux-Monnayeurs, roman qui porte en lui la contestation du roman, sont, selon la formule de Sartre, un «antiroman» et annoncent le Nouveau Roman.

 

Construction compliquée dont l'Art de la fugue de Bach offre une métaphore - «ce que je voudrais faire, c'est quelque chose qui serait comme l'Art de la fugue», dit Édouard -, les Faux-Monnayeurs requièrent une active collaboration de la part du lecteur. Gide note dans le Journal des «Faux-Monnayeurs» qu'il n'écrit «que pour être relu»; il précise qu'il entend «s'y prendre de manière à lui [le lecteur] permettre de croire qu'il est plus intelligent que l'auteur». Ainsi le système narratif propose souvent une sorte de duplication légèrement décalée des péripéties: trois adultères, deux duels et trois suicides sont par exemple relatés; Bernard écrit à Olivier qu'il est le secrétaire d'Édouard et Olivier écrit à Bernard qu'il est celui de Passavant; la nuit que passe Olivier avec Édouard est aussi celle que Bernard passe avec Sarah. Ce procédé de variation vaut aussi pour les personnages, souvent redoublés: il y a deux romanciers (Édouard et Passavant), deux grands-pères (le vieil Azaïs et La Pérouse), deux bâtards (Bernard et l'enfant de Laura). En outre, les faits parviennent au lecteur par le biais de multiples points de vue: «L'indice de réfraction m'importe plus que la chose réfractée», écrit Gide à R. Martin du Gard le 29 décembre 1925. A travers dialogues ou missives, les personnages deviennent temporairement narrateurs, si bien qu'un même fait peut recevoir divers éclairages, simultanés ou successifs: l'aventure amoureuse de Vincent et Laura est racontée par Olivier à Bernard, par Lilian à Passavant, puis dans des lettres de Bernard à Olivier, de Lilian à Passavant... L'intrigue se nourrit également de divers modèles littéraires. Avec Bernard Profitendieu, qui quitte le giron familial pour découvrir l'existence et accéder à la constitution de sa propre identité à travers les événements dont il est témoin, les deux professions qu'il exerce et les deux femme qu'il aime, les Faux-Monnayeurs tracent le parcours d'une initiation et rappellent le roman d'apprentissage. De plus, les différentes intrigues amoureuses qui se nouent octroient une large place à l'aventure sentimentale. Enfin, l'énigme de la bande des faux-monnayeurs, résolue grâce à la découverte progressive de divers indices, confère au livre des allures de roman policier.

 

Complexes tant par les faits qu'ils relatent que par les procédés narratifs dont ils usent, les Faux-Monnayeurs trouvent en partie leur centre dans le personnage de Boris - «Tout aboutit au suicide du petit Boris; directement tout y amène» (lettre à Martin du Gard, 9 juin 1925) -, de même que les Caves du Vatican avaient Amédée Fleurissoire pour «carrefour». Toutefois, Gide précise ailleurs que le coeur du roman est bien plutôt à chercher dans la construction en abyme sur laquelle il est fondé: «Il n'y a pas, à proprement parler, un seul centre à ce livre, autour de quoi viennent converger mes efforts; c'est autour de deux foyers, à la manière des ellipses, que ces efforts se polarisent. D'une part, l'événement, le fait, la donnée extérieure; d'autre part, l'effort même du romancier pour faire un livre avec cela. Et c'est là le sujet principal, le centre nouveau qui désaxe le récit et l'entraîne vers l'imaginatif» (Journal des «Faux-Monnayeurs»).

Roman dans le roman et roman du roman, l'oeuvre d'Édouard, qui s'intitule les Faux-Monnayeurs, tout comme celle de Gide - celui-ci refuse toutefois qu'on le confonde avec son personnage -, est au service d'une méditation sur la problématique frontière entre la réalité et l'imaginaire. Le roman d'Édouard aura en effet pour sujet «la lutte entre les faits proposés par la réalité, et la réalité idéale». Gide note dans son Journal, le 20 décembre 1924, une remarque qui pourrait s'appliquer à nombre de personnages des Faux-Monnayeurs: «Le monde réel me demeure toujours un peu fantastique [...]. C'est le sentiment de la réalité que je n'ai pas. Il me semble que nous agissons tous dans une parade fantastique et que ce que les autres appellent réalité, que leur monde extérieur n'a pas beaucoup plus d'existence que le monde des Faux-Monnayeurs.» En outre, le procédé de la mise en abyme permet au roman de se commenter lui-même. Ainsi, l'effort pour «styliser» la réalité que se propose de fournir Édouard, Gide le met en oeuvre dans les Faux-Monnayeurs. Le cadre romanesque, jamais décrit, réside entièrement dans le pouvoir mythique ou symbolique des noms de lieux. Les personnages sont eux aussi l'objet d'une sorte d'abstraction dans la mesure où ils n'existent que par leur voix: «J'ai cherché l'expression directe de l'état de mon personnage - telle phrase qui fût révélatrice de son état intérieur - plutôt que de dépeindre cet état» (Journal des «Faux-Monnayeurs»).

 

Les Faux-Monnayeurs sont le roman de la crise du roman mais aussi de la crise de la jeunesse, ou plutôt d'une certaine jeunesse, intellectuelle et bourgeoise, partagée entre ses valeurs chrétiennes et nationales et la tentation de l'anticonformisme et de la révolte. Plus largement, l'oeuvre aborde des sujets chers à Gide et déjà présents dans les romans antérieurs: la famille, la religion, le bien et le mal, la sincérité, la liberté et, on l'a vu, le rapport entre la littérature et le monde réel. Elle porte cependant plus loin que les ouvrages précédents deux composantes que ces derniers contenaient en germe: l'une, formelle, est le procédé moderne de la mise en abyme; l'autre, thématique, est l'expression directe de l'homosexualité.

 

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles