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La femme de mes amis.

 

 

Le premier de mes amis que j’ai tué se nommait Frédéric Dieu, cela ne s’invente pas, comme on dit. Il était l’amant de Sophie dont j’étais devenu amoureux. Elle était très séduisante, elle le savait, et se collait contre le corps de son partenaire.

Je lui ai demandé :

- Pourquoi, tu ne veux pas que nous sortions ensemble ?

- Je suis fidèle, Pierre. C’est avec Frédo que je sors.

Le jour des funérailles de Frédéric, nous étions quelques uns à être présents.

Sophie et moi, nous sommes allés directement chez elle. Elle était nerveuse : une vraie pile électrique. Elle n’a retrouvé sa sérénité qu’après que nous nous soyons aimés. La mort est un aphrodisiaque puissant. Peut être le plus puissant. Ils le savent ceux qui ont pour maîtresse une veuve, récente de préférence.     

Peu à peu, je me suis détaché d’elle. Je dois le reconnaitre, les jolies femmes m’excitent lorsqu’elles sont l’épouse d’un autre. Celle de mes amis de préférence. Je ne comprends jamais ce qu’elles peuvent leur trouver.

Le second, c’était Richard, un ancien condisciple lui aussi. Très ambitieux, il avait épousé la fille d’un industriel dont il était devenu l’un des collaborateurs, Colette. Elle s’en était rendu compte très rapidement.

Elle m’avait dit un soir :

- Il coucherait avec son patron si ça pouvait aider à sa carrière.

- Et avec toi ?

- Lorsque ça se trouve.

- Et qu’est-ce qu’il trouve lorsque ça se trouve ?

J’avais trop bu peut être. J’avais les yeux fixé sur sa poitrine. Elle avait trop bu, elle aussi. C’est l’excuse que chacun de nous avança plus tard. Elle posa la main sur ma cuisse.

 Lorsque Richard est entré. Colette s’est redressée. Elle m’a jeté un regard qui me disait tout le regret qu’elle ressentait.

J’ai pris ma décision à l’instant. Il fallait que Colette soit veuve. Un banal accident de voiture.

- Tu te rends compte, Pierre. Une voiture l’a renversé dans une rue déserte. La police ne m’en a avertie que le lendemain matin.

- Tu n’avais pas été surprise par son absence ?

- Cela lui arrivait, parfois. Oh, Pierre !

Elle était blottie contre moi. Elle pleurait tandis que je lui entourais les épaules.

- C’était atroce. J’en tremble encore.

En effet, elle tremblait encore et pour la calmer, je lui ai dit en mettant la main sur sa poitrine :

- Laisse-toi aller, Colette. Pleure si tu en ressens le besoin.

Elle est restée veuve durant un an. Le temps de faire son deuil. En tant qu’ami de Richard, ma présence ne surprenait personne, je lui servais de garant.

Nous étions quelques amis, des anciens condisciples, qui nous rencontrions souvent. Nous passions de nombreuses soirées ensemble. Parce que j’étais célibataire, c’est à moi que leurs épouses, souvent, se confiaient. Elles disaient parfois des choses que je trouvais ahurissantes. J’avais toujours cru qu’il n’y avait que des garçons à même de tenir des propos salaces dont leurs femmes, parfois, étaient le sujet. Les femmes aussi se faisaient des confidences  très intimes quant à leur mari, je l’ai appris avec surprise.

Il y avait, à quelques kilomètres d’ici, un endroit où se rendaient des messieurs en état de besoins physiques. Je précise : un bordel. Je m’y suis rendu un soir afin de ne plus tromper ni mes amis ni leur femme lorsque je voulais satisfaire mes pulsions. Ce fût un désastre.

- Ce sont des choses qui arrivent plus souvent que tu ne l’imagines. Va, rentre chez toi. Ta bourgeoise s’occupera de toi bien mieux que je ne pourrais le faire.

La tenancière de la maison, une personne très bien,  souvent croisée sur la place du marché le samedi matin, avait eu plein d’attentions à mon égard. J’étais sûr qu’elle me parlait d’expérience mais je n’avais pas de bourgeoise, comme elle l’avait dit vulgairement. Et je ne manquais pas de moyens non plus.

Seulement, et cela me peinait pour eux,  je ne désirais que la femme de mes amis. Et seulement, lorsque mes amis n’étaient plus.

Peut être que les tuer m’excitait également ? Ou davantage ?

On peut tuer sur un coup de tête lorsqu’on aime passionnément. L’amant de sa femme, ça peut se comprendre. Ou sa femme, elle-même, bien que cela  je ne l’ai jamais compris.

Tuer comme je le faisais exigeait de la réflexion, de la préparation, beaucoup d’intelligence. Ceux qui ont déjà tué pourraient en témoigner. Je ne nierai pas que ça ajoutait au plaisir des sens un zeste d’adrénaline qui comblait le couple que nous faisions peu après.

Je n’en ai jamais dévoilé la raison à mes maîtresses successives. Cependant, au fond de moi-même, je savais l’attraction que pouvait exercer sur certaines la partie la plus obscure de nous-mêmes.

Après la femme de Richard, ce fût Evelyne. Celle que nous avions baptisée la ‘nunuche’. Elle ne l’était pas autant que la plupart d’entre nous le prétendaient. A voir le visage creusé de son mari, mon ami Jacques, le matin à l’heure où les citoyens normaux se rendent au bureau, on pouvait imaginer que ses nuits n’étaient pas destinées à dormir pour se remettre des fatigues du jour. C’est le jour, au contraire, qu’il se remettait au bureau des fatigues maritales de la nuit.

Après avoir bu un certain nombre de bières avant de rentrer chez lui, il s’était égaré sur un des quais du fleuve et, la tête la première, il était tombé à l’eau.

Evelyne était veuve, beaucoup trop jeune. Une malédiction frappait les épouses de mes amis. 

Elle se laissa conquérir par moi trois semaines après la mort de Jacques. De devenir la maîtresse d’un des plus anciens amis de son mari la soulageait. Elle avait le sentiment de lui être restée fidèle. Il n’y avait aucune réticence à parler de lui à son amant. D’Evelyne aussi, je me suis détaché.

Ces femmes qui étaient si proches à la fois de mes amis et de moi auraient pu constituer un club intime où elles auraient parlé de moi et de leur époux décédé. Elles préféraient garder leur secret, je suppose. Leur secret, c’était moi. Au-delà de l’amitié qu’elles se portaient, chacune pouvait penser que son secret était le plus précieux.

J’étais déçu de ne pas être reconnu comme l’amant de ces femmes si sages du temps de leur mari. Pourquoi ne pas le dire, j’étais déçu tout autant sinon plus, de ne pas être reconnu comme celui qui avait fait disparaitre leur mari. Cocufier quelqu’un, c’est bien, cela vous valorise auprès des dames, mais le tuer froidement était autrement méritoire.

Un soir un ami me dit :

- J’ai besoin de le dire, Pierre. Je n’en ai plus pour longtemps. Je ne peux pas le dire à Louise.

Nous étions assis au fond de la salle du Réjane, une taverne que nous fréquentions déjà du temps de nos études. René était atteint d’une maladie insidieuse et fatale.

- Tu la connais, Louise. Elle ne peut pas rester seule, ne serait-ce qu’une nuit : elle a peur. Elle ne sait pas de quoi mais elle a peur. Dans quelles mains va-t-elle tomber ? Promet-moi de t’occuper d’elle. Elle est belle et bien faite, tu n’auras pas à le regretter.

- Je te le promets René

Honnêtement, je ne pouvais pas refuser. Mais ça ne résolvait pas mon problème. Au décès de René, à l’aide de ses précieux conseils, je devins très vite l’amant de sa veuve.

Cependant parmi mes amis restants, on se douta bientôt qu’une étrange relation se constituait dès les premiers jours de leur veuvage entre de jeunes veuves, que leur mari et ami venait de quitter définitivement, et moi.

 Malgré une amitié de toujours, nos liens devinrent plus distants. Ils craignaient qu’une sorte de fatalité ne me poursuive dont ils risquaient de faire les frais. Lorsque nous nous rencontrions, ils regardaient tour à tour leur femme et moi.

Eux exceptés, personne ne parlait de moi. Le journal local disait quelques mots dans la page consacrée aux notices nécrologiques. Alors que moi, j’en avais de plus en plus conscience, c’est en première page que je désirais figurer. Le texte, accompagné d’une photo, je l’aurais volontiers rédigé moi-même.  Les lecteurs, et les journalistes, sont ce qu’ils sont. Il leur fallait un mort plus spectaculaire.

La psychologie d’un serial killer, c’est dans ce constat qu’il faut le rechercher. Ce n’est pas romantique peut-être, mais c’est humain. Je décidai d’agir.

La femme d’Edgar, le seul de nos amis qui avait mal tourné était une vraie beauté. Elle était fascinée par le monde de la nuit. Pour elle, je me mis à fréquenter les endroits louches, il en existe dans toutes les villes. Edgard était enchanté de ce qu’un de ses condisciples ait des goûts similaires  à ceux de sa femme et les siens.

Une nuit, avant même de monter dans sa voiture, et sous les yeux de sa femme, je lui plantai un couteau dans le dos. Cécile se mit à crier, elle fuyait en criant tandis que j’attendais la police.

J’avais vu juste. Le quotidien local me consacra une page entière le lendemain, puis durant de nombreux jours, une ou deux colonnes surmontées d’une photo.

Aux assises, les femmes dont j’avais occis le mari étaient là. J’avouai les crimes que la police ignorait. Chacune de ces femmes qui avaient été, faut-il le dire, mes amies avant d’avoir été mes maitresses, était persuadée que quoi que je dise, c’est pour chacune d’elle que j’avais tué mu par un élan irrépressible.

 

 

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Commentaires

  • Du nouveau mélangé à des choses connues pour en faire un "sérial killer" pas du  tout mal fagoté. Au contraire.

    L'histoire d'un Barbe Bleu à l'envers en somme. Après tout, pourquoi pas !

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