L’orchestre National de Lille se produit à Gand
Jean Sibelius Pelléas et Mélisande
Robert Schumann Concerto pour violoncelle et orchestre
Piotr Ilyitch Tchaïkovski Roméo et Juliette
Kirill Karabits direction / Anne Gastinel violoncelle / de Bijloke, le 17 mars 2012
Nous ne sommes pas allés jusque Shanghai ni au bout de la Russie mais jusqu’à Gand, dans la très belle salle historique « de Bijloke » que nous avons découverte avec joie, pour aller écouter l’Orchestre National de Lille sous la direction de Kirill Karabits. Les concerts se donnent dans la grande salle magnifiquement restaurée de l’ancien hôpital du 13e siècle, sous une voûte d’époque impressionnante, en chêne massif amené par bateaux, via l’ancien port du Zwin et de Damme.
Il n’y a pas si longtemps, l’ONL était à au studio 4 de Flagey, une salle à la très belle acoustique également. Ce sont des gens du voyage ! Avec eux, dans le cœur historique de la ville de Gand, nous avons voyagé à travers la musique entre Sibélius, Finlande ; Schumann, Allemagne ; Tchaïkovski, Russie ; Kirill Karabits, Ukraine et Anne Gastinel, France.
En ouverture de concert nous avons écouté une interprétation très expressive de Pelléas et Mélisande de Sibélius, qui, après en avoir écrit une musique de scène, a su traduire l’intensité de l’œuvre de Maurice Maeterlinck (… Belgique) en une suite de neuf pièces courtes et suggestives. Pas plus de 30 minutes de bonheur musical, mais neuf tableaux très pittoresques et fort bien orchestrés par le jeune Kirill Karabits (°1976). Cela va de la majestueuse rondeur des tours du château, aux scènes agrestes, aux déchirements dramatiques qui se terminent dans le néant. Les cordes introduisent le thème, répété par un solo de basson. C’est l’envol de pizzicati comme une nuée d’oiseaux. L’avertissement lugubre ne se fait pas attendre : un long roulement de percussions. La voix pure de Mélisande nous parvient à travers un cor anglais, comme une cantilène. On est sur la plage « At the sea shore » avec le bourdonnement continu des altos. Entre instruments à vent et violons qui amplifient les thèmes, les sonorités sont denses, harmonieuses. Un plaisir de musiciens que les membres de l’orchestre partagent avec un public attentif et ému. Les percussions et les contrebasses se font ambassadrices des coups du destin. « Mélisande at the spinning wheel » présente une image dramatique de belle au bois dormant qui s’achemine vers le désastre. Les percussions introduisent avec force les instruments du malheur, et les contrebasses égrènent avec grâce – le geste des contrebassistes est pure élégance – l’implacable fuite du temps… et de l’amour. Trois notes répétitives, presque des soupirs, sont soutenues par l’harmonie majestueuse des violons et marquent les derniers instants de Mélisande, dans une complainte, douce, lente et intense. Le chef d’orchestre a dû contenir de la main les envolées romantiques des musiciens car il semble privilégier la douceur et une certaine retenue, avant toute chose.
La violoncelliste française Anne Gastinel interprétera avec tragique le concerto pour violoncelle de Schumann. L’orchestre expose des sonorités éclatantes et vibrantes lorsque le violoncelle se tait. Il faut dire que ce concerto fut composé pour l’anniversaire de Klara et que le morceau ne peut pas se complaire dans les méandres d’une âme torturée. C’est avec joie retrouvée que l’on écoute l'ouverture de Roméo et Juliette de Tchaïkovski. Rien ne manque : une musicalité parfaite, un chef d’orchestre de plus en plus passionné, une construction minutieuse de l’émotion et des antagonismes meurtriers. La harpe se prend pour une guitare, les couleurs chatoyantes de l’orchestre sont captives, suspendues dans la voûte séculaire de la salle de concert. De brefs silences prédisent des élans joyeux, des ricochets de cordes, un rythme parfois presque guerrier et syncopé dans le thème de la haine et de la discorde. Et aussi la sérénité de l’amour indestructible qui défie l’éternité, qu'il soit passion ou tendresse. Kirill Karabits tressaute, se démène et emmène dans son sillage les musiciens avec vigueur, il est le chef de la tempête. Mais toujours, l’horloge régulière du destin bat la mesure: les éternelles contrebasses. Les cuivres reprendront le thème une dernière fois, de façon plaintive. La harpe s’éteint sous la puissance de formidables écrasements de timbales, cymbales et grosse caisse qui n’en finissent pas de gronder. Une musique magnifiquement taillée, comme un diamant, par le jeune chef d’orchestre ukrainien.
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