À Michel Lansardière
À propos de la légende de Rabbi Nahman de Bratzlava
Dans une chambre, solitaire,
Un homme qui riait, riait,
Comme nul ne le fit jamais.
La cause parut un mystère.
Or cet homme portait en lui
Les drames de tous ses semblables,
Devenus cibles vulnérables,
Résignés, se sentant détruits.
Réaction spontanée, le rire
Éclate en des moments joyeux.
Ceux, dont le sort est douloureux,
Ont perdu le goût de sourire.
Pour ne pas se sentir pécheur,
Le croyant juif devait, parfois,
Se trouvant dans le désarroi,
Chasser la tristesse et la peur.
Face aux atteintes à déplorer,
Il se disait que rien ne dure,
Que viendraient des grâces futures.
Rire l'empêchait de pleurer.
27 mars 2013
Commentaires
Rire nerveux et sardonique
Qui fais grimacer la douleur,
Et dont le timbre satanique
Est la musique du malheur,
Rire du paria farouche,
Quand, d'un geste rapide et fou,
Il met le Poison dans sa bouche
Ou s'attache la corde au cou ;
Rire plus amer qu'une plainte,
Plus douloureux qu'un mal aigu,
Plus sinistre qu'une complainte,
Rire atroce aux pleurs contigu ;
Sarcasme intime, inexorable,
Remontant comme un haut-le-cœur
Aux lèvres de la misérable
Qui se vend au passant moqueur :
Puisque, dans toutes mes souffrances,
Ton ironie âpre me mord,
Et qu'à toutes mes espérances
Ton explosion grince : « À mort ! »
Je t'offre cette Fantaisie
Où j'ai savouré sans terreur
L'abominable poésie
De ta prodigieuse horreur.
Je veux que sur ces vers tu plaques
Tes longs éclats drus et stridents,
Et qu'en eux tu vibres, tu claques,
Comme la flamme aux jets ardents !
J'ai ri du rire de Bicêtre,
À la mort d'un père adoré;
J'ai ri, lorsque dans tout mon être
S'enfonçait le Dies iræ,
La nuit où ma maîtresse est morte,
J'ai ri, sournois et dangereux !
« Je ne veux pas qu'on me l'emporte ! »
Hurlais-je avec un rire affreux.
J'ai ri, - quel suprême scandale ! -
Le matin où j'ai reconnu,
À la Morgue, sur une dalle,
Mon meilleur ami, vert et nu !
Je ris dans les amours funèbres
Où l'on se vide et se réduit ;
Je ris lorsqu'au fond des ténèbres,
La Peur m'appelle et me poursuit.
Je ris du mal qui me dévore
Je ris sur terre et sur les flots,
Je ris toujours, je ris encore
Avec le cœur plein de sanglots !
Et quand la Mort douce et bénie
Me criera : « Poète ! à nous deux !, »
Le râle de mon agonie
Ne sera qu'un rire hideux !
Maurice Rollinat (17846-1903)
Le rire parfois cache un sanglot, rire de façade, parure du désespoir et arme contre les sots et les méchants.
Un grand merci pour ce beau texte.
Bien amicalement,
Michel Lansardière