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L'Homme au sable

L’Homme au Sable.

Une petite station balnéaire, perdue dans les brumes du Nord...Il y a là un homme. Regardons-le, seul au milieu de cette plage abandonnée. Une simple silhouette grise sous le vent humide d'Ouest.. Il ne fait rien, marche lentement,  s'arrête, regarde, à gauche, à droite, puis, hésitant, reprend sa route. Et tous les jours, du matin au soir, vous pouvez le voir.Parfois il s'abaisse, semble prendre quelque chose pour la mettre aussitôt en poche...Vous vous demandez ce qu'il fait là, toujours seul, face à l'océan obscur,...Vous aimeriez bien savoir, mais bientôt les bourrasques salées de novembre vous fouettent le visage, alors vous abandonnez. Vous n'êtes pas très courageux.

Je le connais depuis longtemps, cet homme sans nom...Vous savez, il est là parce qu’il  aime sentir crisser le sable sous ses pieds. C’est un vrai obsédé du gravier aussi,  mais ce qu’il préfère, vraiment, c’est le sable. Il rêve de dunes vierges, d’ergs désolés et de déserts de sable rouge, aspire aux dépeuplements topazes,  aux silences dorés des chrysolithes sauvages. Il s’absorbe.

Chez lui, à la ville, il a rempli son appartement de sable : il a disposé une mince couche de ce sable sur les moquettes, les meubles et jusqu’au lit.Vous savez, c'est un homme qui a choisi. C'est rare, un homme qui choisit, et ça, vous ne l'ignorez pas... il a choisi de marcher sur le sable et ce ne sera pas une marche arrière. Il l’aime tant l’entendre,  ce petit crissement du sable sous ses pieds, il aime tant  en recueillir le soir dans ses chaussettes, avec le petit côté un peu douloureux du frottement sur sa peau sèche. Car le sable l’empêche de croire encore au mythe de la terre ferme.

Parce que s’il aime ce qu’il aime, il sait aussi détester ce qu’il déteste. Il est entier, notre homme, et la terre, surtout ferme, ça, il n’aime pas. Il ne transige pas. Avec les grains de sable, c’est autre chose : il peut s’imaginer enfin vivre, glisser, tomber, peut-être même se tuer (même s’il n’a aucune envie d’aller jusque là, son amour pour la Substance Jaune l’amène à montrer plus de courage qu’il n’en a en réalité).

En un mot, il se sent  stabilisé dans l’instable, soutenu dans le trouble, fixer dans le mouvant.

Bref, son amour incalculable se porte naturellement sur les plages de sable fins…Et personne n’est sur une plage comme lui, adorateur des sédiments sablonneux. Personne n’est capable d’y sentir comme il sent- même pas vous, même pas moi, - alors forcément, il est seul, et ne voudrait d’ailleurs ne pas l’être.

Si vous étiez resté, vous auriez pu, le voir, le soir, rentrer dans son petit hôtel solitaire faiblement éclairé entre de hauts immeubles. Il demande toujours une chambre avec vue sur  mer (on le connaît depuis longtemps déjà et il suffit qu’il demande pour être exaucé). Là, il dépose tout le sable qu’il a pu récolter et le regarde jusque très tard dans la nuit. Ainsi, les lueurs roses de l’aube le trouvent exténué, la tête dans ces petits tas, le sable s’écoulant doucement de ses mains entrouvertes. 

Alors il part à nouveau, comme toujours, depuis si longtemps, qu’on a même oublié le temps où on l’a vu arriver la première fois, il part sur le rivage de sa rêverie silencieuse (là où vous l'avez vu la première fois) ; il s'y rend avec précaution et délicatesse, doucement, tendrement mais aussi avec avidité. Discrètement, sur la digue en bitume, il jette un peu de ce sable aimé devant ses pieds, à chaque pas, un peu de sable pour entendre encore ce petit bruit qui le maintient en vie (Vous n'aviez jamais remarqué ? Vous n'aviez jamais entendu ?)

Alors, sur la plage, il regarde le sable, sans arrêt, posément pour mieux le pénétrer et le comprendre, ce sable insaisissable, ce sable qui s’enfuit au loin, ce sable immortel  que le vent frais du large soulève, sable sur sable.

Alors il le sent, son ami de toujours, il le sent lui frapper les chevilles, le griffer, voire le mordre. Mais il sait que c’est de l’amour, l’amour du sable. Cet homme aime la sécheresse, croyez-moi, c’est évident pour ceux qui le croisent. Mais il y a une chose qu’il ne supporte pas et qui le fait souffrir : son amour n’est pas pur car il endure une restriction souffrante :  il n’aime pas le sable humide.

 

 

C’est pour cela qu’il déteste la marée montante.

Mais ça, vous le saviez déjà.

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