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JEAN-CHARLES COURCOT : RENCONTRE

JEAN-CHARLES COURCOT : RENCONTRE

Etabli en Thaïlande depuis une quinzaine d’années, Jean-Charles Courcot s’adonne à sa passion d’écrire sur la petite plage de Bangkao à Koh Samui, une île du Sud où il est un farang, un étranger bien intégré. Nous l’avons rencontré sur place pour qu’il nous parle de sa passion et qu’il évoque son parcours d’écrivain. Un parcours qui a embrassé une carrière de créateur de mode, metteur en scène, scénographe, librettiste et romancier. Il vient de faire paraître son 17e roman, Appelez-moi Personne. Rencontre.

 

Comment se fait-il, Charlie, que tu te retrouves sur cette petite plage de Bangkao, sur l'île de Koh Samui en Thaïlande, pour écrire tes récits de voyage ?

J’ai choisi cette petite plage de Bangkao et cette maison de pêcheur en bord de mer parce que le village est resté authentique, pas envahi de touristes, et les Thaïs qui y vivent ont gardé leur fraîcheur, leur naturel accueillant et leur gentillesse. C’est la première raison.  Et puis, ayant vécu longtemps à Paris quand j’étais créateur de mode, puis à Saint-Tropez quand j’ai créé mes magazines, je recherchais le calme, la quiétude, la sérénité que j’avais perdue. J’avais été un homme pressé, je ne voulais plus l’être à Koh Samui. C’est la deuxième raison. Enfin, la troisième et non la moindre : de ma petite maison, je vois Koh Tan où j’ai vécu les huit premières années de mon exil volontaire et vital. C’était un petit paradis de 7,5 km2, peuplé de 23 habitants. J’ai été le 24e et seul « farang », seul étranger à partager leur vie d’insulaires : les naissances, les décès, les fêtes, leurs repas, leurs rires et leurs colères, mais seulement suggérées.

 

On parle ici thaï. Comment se passent tes échanges avec les Thaïs ? T'es-tu mis au thaï, une langue aux cinq tons fort difficile pour nous, Occidentaux ? 

J’ai eu la chance de tomber sur le neveu des premiers propriétaires du bungalow où je résidais, qui était en vacances chez sa tante. Il suivait des cours d’anglais des affaires à l’université de Surat Thani et avait la passion de faire connaître sa langue. Durant ses trois mois de vacances, il m’apprit les mots les plus usuels, l’accent, les nombreuses plantes médicinales de Koh Tan, la flore, la faune… Il m’apprit la pêche au filet, la pêche aux coquillages, les balades en longue-queue pour visiter les îles voisines et surtout Koh Tan où il est né, sa forêt primaire, ses trésors cachés, ses légendes et la raison pour laquelle les chiens ne sont pas les bienvenus. Quand il est retourné à ses études, je me débrouillais en thaï suffisamment pour me faire comprendre et pour comprendre ce que les îliens me disaient.

Or, je me suis vite rendu compte que la médisance n’était pas qu’une coutume européenne. Les Thaïs pratiquent ce jeu parce que pour eux, c’est un jeu ancestral, confirmé par Claude Lévi-Strauss : ils adorent se ficher de la tête de ceux qui viennent de les quitter. Cela m’a complètement bloqué. J’avais en partie fui l’Europe et ses sales habitudes, ce n’était pas pour me retrouver sur un tas de sable de quelques kilomètres carrés et subir ces mêmes usages, tout festifs soient-ils ! Je ne voulais plus rien comprendre. Je n’ai plus prononcé un mot thaï depuis ce jour-là. Je leur parle en français, j’ai appris des mots aux petits Thaïs en français. Je regrette, mais ce blocage est définitif…

 

Combien de récits de voyages as-tu écrits dans ce petit bungalow blanc-bleu et quel est le dernier paru ? Il s'intitule Mon nom est Personne : un clin d'œil au western de Tonino Valerii, avec Terence Hill et Henry Fonda ?

L’écriture pour moi a toujours été une passion, avant le stylisme et la peinture. J’écrivais en « amateur » - mot qui contient l’amour - quand les rencontres m’ont fait me diriger vers la création en matière de mode, un job que j’ai exercé durant vingt-cinq ans. Estimant que j’avais fait le tour de la question et obtenu de grands succès internationaux et de cruelles déceptions, j’ai voulu reprendre à plein temps, en « pro », ma passion : l’écriture de romans, de comédies musicales, de journaux et magazines, de récits et traités. Je dois en avoir exécuté une bonne vingtaine en tout. Le dernier paru s’appelle Appelez-moi Personne, clin d’œil effectivement à Mon nom est Personne, mais contrairement à Terence Hill, mon héros à moi n’est pas sympathique. Je voulais m’exercer dans l’écriture de ce style : écrire 250 pages sur un type qui vous a déçu, qui a trompé son monde, trahi votre confiance, et qui s’avère être un sale type ! J’espère y être arrivé, les échos sont plutôt bons et l’on a même comparé l’intrigue aux films de Lelouch où les destins se croisent et s’entrecroisent…

 

A propos de parution, comment se passe l'écriture de tes romans et où les fais-tu paraître ?

Lorsque j’étais éditeur de mes propres journaux, ma maison d’édition s’appelait « Arts & Îles ». J’ai gardé ce nom qui m’était cher et j’ai édité mes œuvres sous ce label, car après avoir été édité par trois éditeurs différents et les difficultés à rendre des comptes à 11 000 km de distance, j’ai trouvé préférable de passer par l’énorme machine « Amazon » qui imprime vite et bien, et diffuse dans le monde entier. Leur mauvaise réputation en France nuit à la diffusion, mais je n’ai rien trouvé de mieux. Grâce à ton article, les ventes vont s’envoler ! Je l’espère du moins ! Blague à part, éloigné de mes relations médiatiques, il m’est difficile de faire la promotion de mes romans.

 

Étant de la vieille école, c'est-à-dire avant l'Internet, je pensais que l'écriture manuscrite était l'art du romancier. Mais tu es passé à l'ère électronique : tu composes tes récits à l'ordinateur. Raconte-nous tes moments d'écriture et de relecture, voire de partage avec les autres.

Je suis aussi de cette même école et avant l’usage inconditionnel de l’ordinateur, j’ai noirci des kilos de cahiers à spirale Prince de Galles plutôt que Pied de Poule, je trouvais ça plus chic, ou des feuilles volantes tapées à la machine, le chic du chic pour un écrivain, jusqu’à l’apparition au siècle dernier de l’ordi. Quel gain de temps pour l’écriture, les corrections, la mise en page, exactement comme une mise en scène d’une pièce de théâtre ! L’envoi des textes relus et corrigés par le net aux « éditeurs dans le coup » évite d’envoyer des tonnes de papier aux « grandes maisons d’éditions traditionnelles » qui les brûlent au bout du bout de votre impatience à recevoir une réponse.

Avec le temps, l’expérience, mes nombreuses lectures, j’écris de plus en plus vite. Je peux ainsi consacrer plus de temps à la relecture, aux corrections. Je peux choisir quelques amis premiers lecteurs et leur confier mon écrit pour leur demander leur avis. Je peux aussi lire à haute voix sur la terrasse de ma maison Blanc Bleu à quelques auditeurs sélectionnés, et, dans mon « gueuloir » – cher à Flaubert –, vérifier leur état de veille : si leurs yeux restent bien ouverts, c’est bon ; s’ils clignent et se ferment, je dois revoir ma copie, car ils se sont endormis.

 

Jamais de difficulté avec la grammaire ou l'orthographe ? Car il y a des fautes que l'ordinateur ne corrige pas.

Le principal fauteur de fautes de grammaire ou d’orthographe, c’est moi. L’ordi a bon dos. Je suis souvent impatient d’aller au bout de l’idée pour ne pas perdre le fil… au détriment d’une analyse scrupuleuse de la bonne écriture et de l’orthographe. C’est un choix que j’ai fait. Il m’est toujours possible de revenir sur une phrase mal alambiquée, le nombre de relectures permet de corriger au maximum. J’ai une amie, écrivaine elle-même, belge de surcroît, qui a relu avec moi Appelez-moi Personne, c’est le must ! Elle écrit très bien, c’est un personnage digne d’un roman.

 

Dans une vie passée, tu as été grand couturier de mode et aussi journaliste, lit-on sur la quatrième de couverture de tes récits. On se souvient de ton roman Mort tragique d'Ivan Forester. Il a beaucoup de toi, cet Ivan-là ?

Je tiens à préciser que j’écris essentiellement des romans, non des récits, même si je puise dans ma vie passionnée de créateur de mode, de metteur en scène de théâtre, de comédies musicales, d’éditeur, de journaliste, de librettiste, de costumier, de peintre et décorateur, une grande partie de mes « histoires » : cela reste des romans. J’imagine donc une histoire, un scénario, je fais appel à mes souvenirs, j’arrange les uns avec les autres, le vrai au rêvé, je trouve une bonne chute ; je manipule le tout, je secoue. Parfois un personnage m’échappe, il vit sa propre vie et devient un héros à part entière. J’adore quand mes personnages de fiction prennent leur envol. Ils m’étonnent, ils sont vivants. Ils vivent. J’ai mis du temps à écrire Ivan Forester, c’était 25 ans de ma vie aussi. Dont il fallait tirer un roman.  Les récits, sauf exception, m’ennuient. J’aime Chateaubriand, son préromantisme, ses voyages imaginaires aux Amériques entre autres ; j’aime Hemingway, parce qu’il a écrit avec son sang, ses guerres et ses addictions ; j’aime Hugo, parce qu’il écrit merveilleusement bien avec ses innombrables digressions – je suis en train de relire Les Misérables que j’adore ; j’aime Rimbaud et ses poésies qui me font pleurer de sensibilité, voire de sensiblerie, en fait, j’aime pleurer ; j’aime Prévert et ses poèmes lapidaires, Louis I, Louis II… Ivan Forester est le livre qui pourrait s’apparenter le plus à la forme d’un récit : les grands faits sont vrais. Les petits sont arrangés. Trafiqués. Sensualisés. Courcotisés en un mot.

 

J'ai commencé à te lire dans un récit de voyage intitulé L'or c'est l'art. Un épais roman sur la Guyane française préfacé par Claude Lévi-Strauss peu avant sa mort. Pourquoi as-tu écrit cette initiation au « toutisme » et pourquoi ce mot ? 

J’ai fait mon service militaire en Guyane, le plus loin possible de chez moi. Contrairement à mes amis qui se faisaient pistonner pour l’effectuer le plus près de chez eux, et comme ils étaient malheureux chaque fin de week-end quand ils devaient rentrer en caserne ! S’il fallait partir, autant partir pour de bon et découvrir d’autres pays et se frotter à d’autres épidermes… Je me suis fait aider pour partir loin par le président du Sénat, Gaston de Monnerville, ancien député guyanais. J’apprenais aux enfants des gradés du camp du Tigre, près de Cayenne, le français. J’étais libre comme l’air. Dans un paysage en surchauffe ! Chaud, il l’était !

Équatorial, l’enfer vert des forçats des bagnes – Cayenne, Saint Laurent et l’île du Diable −, une forêt primaire, l’une des plus riches de la terre, 97% vierge, avec de l’or et des hommes devenus enragés par l’appât de cet or. Et des Indiens riches de milliers d’années d’histoire, d’une civilisation que les Européens ont tout fait pour détruire, eux et leur civilisation. Alors, oui, pendant deux ans je me suis attaché à ces rescapés. Ils m’ont beaucoup appris. Leur seul dieu, c’est la Madre, la Nature. J’ai voulu être leur voix, les sauver de ces terribles mercenaires prêts à tout pour survivre à leur propre misère, prêts à empoisonner leurs cours d’eau par l’afflux de mercure, à ne pas hésiter à les mitrailler comme du vulgaire gibier.

S’il n’y avait pas ces orpailleurs manipulés par les terribles esclavagistes qui polluent cet Éden, si l’État ne nationalise pas ces mines d’or en préservant ses droits et ceux de tous ses citoyens, cette Guyane pourrait être une France ultra-marine paradisiaque où seuls 3% ont été pollués par l’homme… et où tout est possible pour recommencer à zéro, fort de l’expérience des blancs et de la sagesse incommensurable des Indiens. C’est là que le toutisme est né. Je vais écrire un opuscule sur cette idée, mon dernier écrit, mon testament. Claude Lévi-Strauss y a été sensible. C’est remarquable cette lettre envoyée quelques jours avant sa mort et reçue quelques semaines après.

 

L'ethnographie présente dans tes récits de voyage t'a toujours intéressé ?

J’aime aller au bout des choses. Savoir ce qui s’est passé avant. Le pourquoi d’une situation. C’est dans l’histoire lointaine qu’on explique le mieux notre présent. J’ai toujours été passionné par l’étude des sociétés traditionnelles extra-européennes, dites exotiques, par rapport aux sociétés européennes dites civilisées. J’ai lu et relu les cinq tomes de Jean M. Auel, Le clan de l’ours des cavernes, La vallée des chevaux, Les chasseurs de mammouths, Le grand voyage, Les refuges de pierre, mais je n’ai pas lu le 6e, Le pays des grottes sacrées que je n’ai pas trouvé en français. J’ai adoré, je les relirai. La lecture de notre préhistoire me remplit d’humilité.

J'ai poursuivi la lecture de tes romans avec La malle de Goa qui se passe en Inde, au sud de Bombay. Là encore, tu avais fait escale pour te refaire une santé avant d'arriver ici...

La Malle de Goa a été écrite là-bas à Goa. J’ai attrapé une saloperie de mal qu’on appelle la chondrocalcinose : mon corps produisait trop de calcium qui se greffe aux articulations. C’est une maladie rare. Qui fait horriblement souffrir. Et qu’on ne sait pas guérir. On essaye de la soulager. J’ai essuyé les plâtres de la recherche pour tenter de me soigner. Des médicaments nouveaux ou détournés de leur fonction. J’ai fait un AVC suite à la prise de ces médecines exploratoires. On m’a soulagé à coups de morphine et de cortisone pendant des années, au point d’en devenir addict et de prendre 20 kg. J’ai arrêté cette drogue brutalement, sans précaution, et je fus en manque.  À 4 h du matin, j’ai appelé mon médecin et lui ai dit que s’il ne me trouvait pas rapidement une solution, il aurait ma mort sur la conscience. Le lendemain, j’avais rendez- vous avec un chirurgien de l’hôpital de Giens, spécialisé dans tous les problèmes articulaires, qui voulut bien m’opérer à la condition de lui jurer de changer complètement mon mode alimentaire. Le mal était monté de la cheville gauche à la hanche gauche. J’ai tapé dans sa main, craché par terre et j’ai juré. J’ai déménagé aussitôt l’opération de la hanche terminée et je suis parti en Inde, à Goa où un ami m’attendait pour me présenter sa nouvelle fiancée, une Suédoise canon. J’ai quitté Saint-Tropez et mes activités pour Goa. Changement total de mode alimentaire. Depuis, plus de bobos. La Malle de Goa m’a été inspirée par le superbe roman de Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien et contre l’homophobie indienne et tibétaine et l’hypocrisie britannique. Libres de mœurs, les Indiens vivaient leur sexualité en toute liberté. La reine Victoria, s’étonnant de voir les vigoureux militaires haut gradés s’acoquiner avec des indigènes sans religion, institua une loi, valable pour tous les ressortissants britanniques, qui infligeait la peine de mort pour toute infraction aux bonnes mœurs ! La question de visa pour l’Inde étant devenue difficile, j’ai émigré en Thaïlande entre deux moussons.  J’ai découvert Koh Tan et suis tombé en amour de mon tas de sable.

 

Parlons à présent de ton dernier roman qui va paraître ou qui est paru. Il s'intitule comment ?

Mon nouveau roman, qui est en relecture et correction, s’intitule Le Rigodon final. Carl Laventure s’est retiré de la vie active sur une petite île, Koh Tan, huit ans plus tôt pour s’adonner à sa passion : l’écriture de romans. Il vient de faire éditer son dix-septième roman, Appelez-moi Personne, dont les premiers échos de vente semblent très prometteurs. Il reçoit un mail mystérieux d’une certaine Marie Vermeille qui le félicite. Elle habite le sud de la France. Un nom inconnu, alors que les termes du message sont ceux d’une personne qui paraît en savoir plus long qu’elle ne l’écrit. Après une réponse de remerciement, Carl reçoit un second message de Marie qui lui fait savoir qu’elle passera bientôt sur son île afin qu’il lui dédicace son livre. Flatté et excité de rencontrer cette femme qui n’hésite pas à faire onze mille kilomètres pour une dédicace, il lui répond qu’il a hâte de faire sa connaissance. Rendez-vous est pris « Au Bout du Monde », le meilleur restaurant de Koh Tan. Quand elle arrive, il reconnaît son grand amour de jeunesse, celle qu’il avait baptisée Marieke, en hommage à Brel. Elle a son âge, un an de moins, 66 ans. Elle a gardé sa beauté d’antan, son charme, son sourire. Il a plutôt bien vieilli. Lors du déjeuner, tous les souvenirs ressurgissent. Leur première rencontre à une boum dans une villa de Malo-les-Bains. Les premiers regards. C’était en février, en pleine période de carnaval. Entre chaque souvenir, ils vont se retrouver « Au Bout du Monde » où les restaurateurs les reçoivent, les installent, leur préparent leur déjeuner. Carl raconte leur fol amour. Marieke réagit. L’une et l’autre sont apparemment incapables de se souvenir de la raison de leur rupture…

 

Une dernière question que je ne t'aurais pas posée et à laquelle tu aimerais répondre ?

Ce sont mille autres questions que j’aurais aimé que tu me poses, mais nous allons les garder pour une autre fois, un autre repas sur ma terrasse, car le temps et l’avenir nous appartiennent. Je suis heureux de notre rencontre.

 

Plus d’informations sur www.jeancharlescourcot.com

Propos recueillis en Thaïlande par Michel Lequeux

 

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