Créé six ans après Les Noces de Figaro, cet opéra de Cimarosa est entré dans la légende pour avoir été entièrement bissé le soir de sa création à Vienne à la demande de l’Empereur Léopold II. Une curiosité : Stendhal était amoureux fou de cet opéra qu’il avait découvert à Ivrée (Italie) le 1er juin 1800 au cours de la seconde campagne d’Italie à laquelle il participait comme “cadre administratif” puis comme sous-lieutenant de dragons. Ensuite, parcourant l’Europe à la suite de la Grande Armée napoléonienne, il n’a jamais manqué de le revoir partout où il a pu être donné, notamment à Dresde le 28 juillet 1813, alors qu’il était intendant de la province de Sagan, peu avant la formidable défaite de Leipzig. « Je ne trouve parfaitement beaux que les chants de deux seuls auteurs : Cimarosa et Mozart » …En attendant Rossini, sans doute, puisque cette œuvre de Cimarosa se situe comme un trait d’union entre Mozart et l’opera buffa de Rossini.
Critique sociale et miroir du 18e siècle comme l’étaient la série de six peintures intitulées « Mariage à la Mode » par William Hogarth, l’intrigue est très simple, légère et réaliste. Comme nos Musicals modernes? Il Signor Geronimo, négociant en drap, souhaite marier sa fille aînée Elisetta au comte Robinson. Mais lors de la première rencontre, celui-ci tombe éperdument amoureux de sa plus jeune soeur Carolina, aussi méprisée par sa prétentieuse sœur aînée qu’une Cendrillon. Carolina est amoureuse et mariée secrètement avec Paolino, un humble employé doué de belle intelligence. Ils espèrent secrètement que l’organisation du mariage d’intérêt de la sœur aînée suffira pour que les amoureux soient pardonnés. Le père, sourd et aveugle aux choses de l’amour, a en effet une préoccupation principale, celle d’anoblir sa maison et de veiller à sa cassette, quitte à envoyer sa cadette au couvent. Il porte le syndrome, les habits et les manières du Bourgois gentilhomme de Molière… Patrick Delcourt, formidable dans ce rôle, entouré de ses laquais qui vaquent docilement, pliés en deux pour mieux courber l’échine. La chasse au mari est ouverte et la tante Fidalma (on découvre avec bonheur Annunzita Vestri) ne se prive pas de fantasmer sur Paolino ! A la fin, une fois les amoureux découverts, la journée folle se termine par les noces de trois couples bien assortis, grâce à la bonté d’âme du Comte qui voit le bonheur de celle qu’il aime avant le sien et se résout à épouser Elisetta dont le caractère et les traits du visage s’adoucissent miraculeusement. Même Fidalma la duègne aux bons offices … trouve chaussure à son pied. All is well that ends well! L’alternance de sentiments et de comique donne à l’ensemble une force théâtrale extrêmement porteuse. … En attendant Feydeau, comme ceux dirigés par George Lini, un maître tailleur dans le genre Humour et Sentiments. Le deuxième acte est fait d’un délire de portes qui claquent. Succulente mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera… dans un décor à la fois sobre et brillant de Jean-Guy Lecat.
Bouleversante, cette scène où Le Comte, campé par un Mario Cassi tout de suite attachant, déclare sa flamme prima vista à une Carolina abasourdie devant l’énormité de l’imbroglio qu’il va falloir démêler… C’est une exquise Céline Mellon, pleine de fraîcheur et de tendresse. La musique qui sous-tend la scène tient , elle aussi, de l’évocation des éblouissements du coup de foudre. Comme si une union d’esprit particulière liait secrètement Mario Cassi et le jeune chef d’orchestre, Ayrton de Simpelaere, dans une déclaration d’amour faite à la fois avec tous les accents de vérité et les pétillements de l’humour. Notons que le comique est partout. Des citations en situation au clavecin émaillent la partition, et produisent une source supplémentaire de comique … musical et spirituel, avec des allusions à Aïda ? La chevauchée des Walkyries ? La marche nuptiale? La 5e de Beethoven… Tout fait farine au moulin des amoureux!
Inoubliable et renversante de drôlerie, cette magnifique scène où Le Comte décline à Elisetta (Ah ! Sophie Junker) toutes ses mauvaises habitudes, son sale caractère et ses pires défauts, espérant qu’elle le rejettera afin qu’il puisse épouser Carolina, mais Elisetta, bien sûr, reste de glace. Il avoue enfin qu’elle lui est insupportable et quitte les lieux! Aussi cette course-poursuite au son des cors de chasse! Le rire est dans la salle. Les maquillages, c’est du pur Permeke! Les éventails en prime !
…With flying colours
Mais revenons à ce jeune chef que les médias encensent à chaque occasion, depuis qu’il a pris son envol à Moscou lors de la demi-finale piano du « Concours international Tchaikovsky » en 2015 où il a dirigé les « Solistes de Moscou ». Nous avons eu le plaisir de le voir diriger avec brio l’opéra participatif Jeune Public « la flûte Enchantée » de Mozart en début d’année, et une création : « Folon » de Nicolas Campogrande , en mars dernier. Lors de cette première de l’opéra « Il matrimonio segreto », Ayrton de Simpelaere a pleinement réussi le défi qu’on lui offrait, faisant preuve d’une grande maîtrise de la balance, d’une concentration et d’une précision extraordinaires dans son interprétation musicale. … Une habitude ancrée dans l’exigence personnelle. Dès l’ouverture, les dynamiques se créent comme par enchantement, le velouté des vents raconte les effusions de joie, la finesse des cordes est omniprésente, les accents, les legatos, s’enchaînent avec grâce. Le grain de la musique est lisse et lumineux. Une ouverture avec trois mesures de Flûte enchantée et le reste est bonheur. Flying colours aussi pour la direction des solistes dont la diction est un véritable délice. La palette de ses couleurs orchestrales aligne chaque nouveau climat sur les couleurs et les voix rutilantes des personnages. Les costumes 18e siècle, y compris les coiffures monumentales, déclinent elles aussi toutes les nuances du bonheur: du vert tilleul pour Elisetta, les safrans épicés de Vidalma, les shocking blue du Comte, les ors et gris du marchand, les flamboyantes lueurs de braises de Paolino au bras de la délicate Carolina, une symphonie de sentiments délicats bordés de rose rouge. Le développement des très nombreux morceaux d’ensemble, harmonieux malgré les différences très intenses de sentiments, dynamisent la partition et sont savourés par un public conquis par une mise en scène et des éclairages distingués ( signés Franco Marri) , un sens de la beauté, qui n’est jamais gommé par la bouffonnerie du genre. Oui, même la caricature est plaisante. Bon, les tenues que l’on découvre sous les peignoirs et les bonnets de nuit à la fin du deuxième acte, ont de quoi surprendre, une dernière estocade du comique de situation? Peut-être pas du meilleur goût, on oublie!
Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres
https://www.operaliege.be/spectacle/il-matrimonio-segreto/
“ IL MATRIMONIO SEGRETO “ (Le mariage secret)
- COMPOSITEUR : Domenico Cimarosa (1749-1801)
- LIBRETTISTE : Giovanni Bertati
- ANNÉE DE CRÉATION : 1792
- LIEU DE CRÉATION : Vienne
- NOMBRE D'ACTE : 2
- LANGUE ORIGINALE : Italien
Commentaires
https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/un-mariage-secret...
"En ce qui concerne la partie musicale, c’est un plaisir garanti que de retrouver la musique de Cimarosa, pétillante, mousseuse, d’un rythme échevelé, moderne dans sa conception, avec ses finales impressionnants. Il faut beaucoup de talent, et une précision sans faille, pour jouer cet opéra, des qualités que le tout jeune chef belge Ayrton Desimpelaere (28 ans !), assistant musical de Speranza Scappucci ici-même, et le formidable Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège ont à revendre !"