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Extrait de la nouvelle "Mauvaise fille"

      ..." C'est l'hôpital qui a appelé. L'hôpital psychiatrique.

      - Vous êtes bien la fille de madame P ? Elle nous a demandé de vous avertir qu'elle était parmi nous depuis ce matin, à Esquirol, pavillon C, chambre 213, et qu'elle souhaitait vous voir.

         Elle n'a pas été étonnée. Elle sentait venir la crise, dans la multiplication des appels téléphoniques, dans les imprécations dont le ton montait chaque jour, lui intimant de faire son devoir, de l'aider, elle, sa mère, à la débarrasser de l' angoisse dévorante, lui ordonnant de la guérir.

       Cette fois, la mère avait fait agir l'institution, à défaut de tribunal. Pour contraindre la mauvaise fille, la fille partie et émancipée, qui cherchait à échapper à son emprise.  « Dites-lui bien de venir le plus vite possible »...

    - J'arriverai mercredi, je ne travaille pas ce jour -là.

       A l'autre bout de fil, il y a eu un court silence. On s'attendait sans doute à la voir accourir, aux abois. Eh bien non, elle a quand même une vie, un emploi, des obligations. Pour elle, le monde continue de tourner, même quand sa mère entame son énième séjour chez les fous.

   - Vous demanderez le docteur Leclerc, c'est le chef de service. Je pense qu'il pourra vous recevoir.

      Oui, c'était bien une réussite. Impossible de se dérober. Elle était mise en demeure d'obéir, et par une instance supérieure. Des gens, importants, compétents, des chefs de service s'en mêlaient. Le médecin de famille ayant fini par décliner  l'ordre donné par la mère de lui ramener sa fille chaque fois qu'elle le désirait, c'était au tour de l'Hôpital de veiller à ce qu'elle file doux. Lui devait avoir le pouvoir de l'impressionner.

     Elle a reposé lentement le téléphone. Le soir tombait et pourtant il n'était que quatre heures et demie. Le plus mauvais de l'hiver, la mi-décembre. Les « fêtes » qui s'annonçaient, le froid, la grisaille humide, les gens fatigués, énervés. Les familles qui allaient se réunir, et manger, boire, acheter...

     Derrière les branches aux trois quarts dénudées qui encadraient la terrasse, les lueurs roses d'une ébauche de coucher de soleil, lointaines, affaiblies, mais bien présentes. Sur les dalles d'ardoise, dehors, quelques morceaux de pain, que les oiseaux avaient délaissés. En revanche, la boule de graisse qu'elle avait accrochée le matin même à un rameau avait disparu. La résille verte qui l'avait emprisonnée s'agitait doucement dans le vent du soir.

       Elle  a fermé tous les volets,  replié la maison sur elle-même, sur sa chaleur et ses lumières, dans la nuit glacée qui s'annonce. Puis elle s'est assise, dans l'obscurité de son bureau et a attendu que s'estompent les ondes maléfiques que lui envoyait le téléphone, que se calment les battements de son coeur, aussi. "...

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