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Ensemble

Ensemble

Mon professeur de « maths modernes » – comme on disait à l'époque – avait dessiné au tableau deux pommes de terre, qu'il appelait « ensembles ». Il leur avait donné un nom: A et B. Il nous avait ensuite fait remarquer que ces pommes de terre ne se touchaient pas, qu'entre elles, il n'y avait que du « vide ». Cela n'a pas raté: j'ai levé mon doigt et j'ai demandé comment deux pommes de terre pouvaient être « ensemble » en étant si loin l'une de l'autre. Tarif: cinq pages de rédaction. Elles arrivent trente-trois ans en retard, zut alors...

Déjà je me dédouble.

Je t'ai laissé sur un sourire il y a quelques minutes à peine: je conduis, mes amies papotent, je leur réponds, elles sont intarissables, nous rions ensemble.

Nous sommes tout à notre joie. Retrouvailles, soirée entre filles « comme au bon vieux temps » - qui à la réflexion n'est pas si éloigné que cela - et je ne pense qu'à toi. Si tu savais comme je ressens l'éloignement, comme un fil de rien qui s'allonge à l'infini. Si tu pouvais sentir cela, ce goût de « comme je voudrais tant être restée », et si tu pouvais ressentir aussi comme je suis heureuse d'être avec vous, mes amies.

Et j'entends mes sœurs de ce soir annoncer la couleur. Il y a des cohortes d'hommes dont le nez va chatouiller, les oreilles tinter... Le trio infernal est de sortie: tiens-toi bien, samedi-soir-sur-la-terre: mes amies et moi allons refaire le monde de fond en comble, personne n'échappera au grand nettoyage de printemps. Vider les esprits, satisfaire les ventres, boire un peu, parler beaucoup, rire encore plus, dire du mal, vae victis... Et toi mon homme que je viens de quitter je t'imagine comme tu étais, jambes allongées dans le canapé en train de lire ton livre, mon Dieu comme ton sourire m'a enveloppée de douceur quand tu m'as dit « amuse-toi bien », ainsi donc je vais passer toute cette soirée à te regarder lire comme si j'y étais, alors que je suis ailleurs, tellement ailleurs, avec vous mes amies, dont les propos « no limit » pétillent déjà dans mon ventre?

Je n'ai pas vu passer l'apéritif. Nous étions trop occupées à faire notre revue de presse: tout ce que ni msn, ni facebook, ni nos portables n'avaient pu nous dire depuis notre dernière sortie. Trois complices qui règlent leurs montres avant un casse. Ainsi les conversations qui suivent pourront être chargées de tous les sous-entendus possibles et imaginables: c'est notre espéranto personnel.

Je t'avais demandé pourquoi tu ne profitais pas de la soirée pour sortir de ton côté toi aussi. Mais tu avais laissé fuir un « non » discret. Tu voulais lire, dormir, m'attendre.

M'attendre? Veiller jusqu'à ce que je rentre?

Pas spécialement, m'avais-tu dit tout bas. Juste être là, m'entendre rentrer, m'approcher, dire d'un ton voilé par la fumée – et peut-être un verre de trop – que je m'étais bien amusée, avant de me serrer toute froide contre toi tout chaud, et rester ainsi. Je te voyais comme je te quittais et déjà l'image de mon retour était là, à ma disposition.

Pour l'heure je m'amuse tellement. Nous jouons à saute-moutons de fou rire en fou rire, je m'amuse comme rarement je me suis amusée. L'alcool m'aide un peu, c'est vrai, il teinte nos propos de quelques mots d'esprit qui ne parlent qu'à nous, mais qu'importe, c'est notre soirée. Il n'empêche que je me demande ce que tu fais.

Monsieur de Balmain. Parfum frais et citronné, si chaud quand tu le portes. Tu es bien le seul homme que je connaisse à prendre une douche rien que pour le plaisir, juste avant de te plonger dans un roman. Mais j'adore cela et jamais je ne t'ai trouvé plus désirable qu'ainsi, ce soir, concentré sur ta lecture, le corps au repos, couvert d'un simple pantalon de toile et d'un sweat-shirt écru. Pieds nus comme en été. Oh oui, détourner ton attention serait un défi d'une extrême délicatesse, et je m'y serais employée avec de superbes lenteurs...

Et toujours nous papotons. Mes sœurs de soirée et moi portons l'estocade à tous les hommes de cette planète. Comme elles, je les abreuve de détails croustillants sur mes ex. C'est à peine si elles remarquent que je ne parle pas de toi. Juste des autres.

Car mon ventre ne m'a pas vraiment lâchée depuis l'apéritif. Le vide que j'ai ressenti en m'éloignant de toi, le vide que ton sourire a réchauffé quelque peu, ce vide se creuse plus fort maintenant, tandis qu'il envahit mes membres, gagne progressivement du terrain, comme un produit de contraste que l'on m'aurait injecté avant un examen médical, mais qu'est-ce que je raconte, moi, je ne suis pas au sous-sol dans une grande machine, je suis au resto...

...et je ris tant et plus. Mes voisines, mes amies, mes sœurettes, vous n'y voyez que du feu mais j'en aurais bien besoin, moi, de feu, tant je me sens glisser vers ma tempête intérieure qui s'appelle le manque de toi mon amour, sais-tu à quel point je peux être gaie et riante pour mes compagnes de table et tout à la fois tendue vers toi comme si j'étais défoncée à l'héro?

Oh mon Dieu, est-ce bien moi qui ai pensé cela? Oui je suppose alors que j'éclate de rire rien qu'à vous entendre mes deux amies mais ce sont vos voix qui me font rire, pas vos propos, enfin pas vraiment, je communie avec vos voix déchaînées, mais ma conscience se perd dans le manque que j'ai de toi mon homme, et je bénis vos cris à toutes les deux, car si à l'instant même j'entendais ta voix, toi qui es à l'origine de mon manque, responsable et coupable, je te violerais à l'instant.

De la musique autour de moi.

Vous m'annoncez « la dernière étape de la nuit ». Comme je m'y attendais je corrige mentalement: l'avant-dernière étape. Mais vous n'avez rien remarqué: le manque de toi achève de m'envahir et en même temps c'est mon manque perso, celui que j'apprivoise même si à chaque seconde il m'emporte plus loin de vous, et moi aussi sous les coups sourds de la musique, j'achève de vous rejoindre pleinement, je suis double vraiment, toute à notre fête et tout près de toi toute à toi. Vais-je redevenir une seule et même personne quand viendra le jour? Je me permets d'en douter. Je m'autorise à t'aimer. À te faire la confiance suprême.

Je viens de dire quelque chose de très important.

C'est mieux qu'une douche froide: je viens de plonger un instant sous la banquise. Le vide de toi achève de me faire reprendre conscience. Et dans le brouhaha j'achève de me rassembler.

Je sais maintenant.

Je suis la seule à pouvoir transfigurer le manque. Et le temps presse. Je vous plante là mes amies, à plus tard, rassurez-vous je vous expliquerai. Je rentre à la maison.

Tu ne dormiras pas, j'en suis sûre. Nous avons toujours été connectés, n'est-ce pas? Tu as dû ressentir ce que je ressens, je crois même que tu as eu mal quand j'avais mal.

Je crois, je sais que depuis que je suis partie, c'est à peine si tu as pu lire.

Oh, bien entendu, tes yeux ont virevolté sur les lignes. Les pages ont tourné. Mais je suis prête à parier que tu n'as rien retenu. Que tu vas devoir relire tout cela, plus tard.

Ton esprit était ailleurs.

Avec moi.

Nous étions dans le vide qui s'étendait à l'infini entre nous, entre nos âmes entre nos corps. Et l'un et l'autre sont appelés maintenant l'un vers l'autre, notre valse se termine, et comme deux corps célestes qui arrêteraient de tourner nous ne pouvons que nous rapprocher maintenant.

Je vais te retrouver comme je t'ai laissé, car c'est pour moi que tu t'étais fait si désirable, sans rien me dire. Tu m'as laissé m'en aller pour m'amuser, mais je reviens vers toi et notre manque à nous va mourir disparaître s'effacer car nous allons être un deux trois je compte jusqu'à trois j'arrive près de toi j'ouvre la porte dans l'urgence de te voir et: oui tu es comme j'imaginais tu n'es même pas surpris sais-tu donc ce que je vais te demander? Oui tu le sais, je lis dans tes yeux.

Fais-moi un bébé.

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