C’est l’ouvrage du sociologue français Claude Lévi-Strauss publié en 1967. Ce livre constitue le deuxième volume des "Mythologiques", et la suite de "Le cru et le cuit". Alors que le premier volume traitait des mythes se rattachant au feu et à la cuisine dans le continent sud-américain comme mythes du passage de la nature à la culture, ce deuxième volume, élargissant le champ de la recherche, est axé sur les mythes se rapportant au miel et au tabac. Si le miel et le tabac relèvent toujours du domaine alimentaire, ils échappent au domaine culinaire, le miel, "élaboré par des êtres non humains, les abeilles", se situant en deçà de la cuisine, puisqu'il est comestible tel quel, et le tabac constituant un au-delà de la cuisine, puisqu'il doit se consumer entièrement pour qu'on en absorbe la fumée. Il s'agit donc de l'opposition d'une infra-cuisine à une méta-cuisine. L'auteur commence par l'étude de la mythologie du miel.
Si la collecte du miel s'entoure d'une telle richesse de rites et de mythes, c'est que le miel, aliment des périodes de disette et chargé ainsi d'une grande valeur émotionnelle, est bien plus que le miel: en lui
s'inscrit pour l'homme le risque de la disjonction totale de la culture, de l'indistinction de l'humanité et de l'animalité, comme en témoignent les variantes du mythe de la fille folle de miel, où toujours la séduction d'une fille par un animal particulièrement expert dans la collecte du miel, sème la perturbation dans le groupe social. Dans ces mythes, où les bêtes parlent ou prennent forme humaine, le miel représente la puissance séductrice de la nature, et de l' amour en dehors des règles qui président à la distribution des femmes dans la communauté. Cette puissance séductrice de la nature représente un risque de dissolution pour la société, et c'est pourquoi la collecte d'un aliment riche d'une telle charge émotive s'entoure d'une mythologie et d'un rituel dans lesquels l'analyse structurale reconnaît une progression vers la formalisation et l' abstraction par rapport aux mythes de la naissance de la cuisine, qui constituaient une logique du sensible: en effet, si les mythes de la naissance de la cuisine utilisaient des catégories sensibles comme le sec et le mouillé, le brûlé et le pourri, etc., la mythologie et le rituel se rapportant au miel ne peuvent se contenter de catégories sensibles en face de la menance de dissolution qui vient de la puissance séductrice de la nature. Les rituels entourant la collecte du miel à travers la forme des récipients, les instruments à percussion qu'elle utilise, les critères pour distinguer les arbres à miel, établit une série d'oppositions: plein-creux, sifflé-frappé, contenant-contenu, exclu-inclu, interne-externe, dépassant en pouvoir de généralisation les oppositions sensibles. Ce progrès vers la formalisation met en évidence l'impossibilité pour la pensée sauvage de trouver dans le sensible même le moyen de penser la menace de dissolution de la culture par la puissance séductrice de la nature. Le progrès de la pensée vers l' abstraction viendrait donc de la nécessité toujours présente de redessiner la frontière entre l'humanité et l' animalité en face de la séduction de la nature. La formalisation des mythes et des rites qu'opère l'analyse structurale est lisible selon trois codes: le code alimentaire, le code sociologique, le code astronomique. Ces trois codes sont convertibles et traduisibles l'un dans l'autre: en effet, si l'alimentation est le rapport le plus proche que l'homme ait avec la nature et la contemplation des astres le plus lointain, la périodicité des constellations indique la régularité des saisons et le retour de la disette pendant la saison sèche, où le groupe social est le plus menacé dans sa survie, période, précisément, où la collecte du miel prend toute son importance.
De façon symétrique et inverse, les mythes et les rites concernant le tabac indiquent le risque d'une culture coupée totalement de la nature: dans plusieurs mythes d'origine du tabac, le tabac doit être volé à une société d' amazones qui, vivant seules dans une île, ne peuvent procréer et figurent donc le risque d' extinction de l'espèce humaine. De plus, le tabac est souvent consommé à des fins rituelles, médicales, magiques ou religieuses: nourriture, il peut être aussi toxique ou émétique, devenant par là une anti-nourriture. Pouvant être stimulant ou narcotique, il est ainsi symétrique du miel, qui, dilué et fermenté, donne l' hydromel. L'analyse structurale vérifie cette symétrie à l'aide de l'étude de nombreux mythes qui, par leurs redondances, permettent de déduire une grammaire qui les rend lisibles.
Ainsi, les mythes d'origine du tabac, liés d'une part à ceux d'une société de femmes stériles, d'autre part à ceux de l'origine des pouvoirs chamaniques, toujours acquis à travers une série d'épreuves, de dangers, de deuils qui en font une véritable quête, ces mythes côtoient toujours une anti-nature qui, risquant de disjoindre la société de la nature, la frapperait de stérilité et la condamnerait à mort. Les rites et les mythes concernant le tabac visent donc à penser et éviter sur le plan symbolique cette disjonction de la société et de la nature. Ils présentent par là une homologie avec les mythes et les rites entourant la collecte du miel, qui exprimaient le danger de dissolution de la société par la nature, la même propension à dépasser les catégories sensibles par la formalisation des oppositions. Lévi-Strauss rejette du côté de la contingence de l'Histoire les limites imposées à ce progrès et qui ont interdit la naissance d'une pensée scientifique véritable. Ainsi, l' analyse structurale constitue-t-elle une méthode qui, en s'incliant devant "la puissance et l'inanité de l'événement", s'interdit l'intelligibilité de l'Histoire, mais qui n'échappe cependant pas à toute dialectique, puisqu'elle situe à l'origine des progrès de la pensée humaine la difficulté de penser à la fois l'animalité de l'espèce et la mort de l' espèce.
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