Des coups sourds résonnent dans le vide d'une cave sordide, ils se répercutent sur le revêtement des planchettes des armoires, sur les murs gris, des petits poings de chair et d'os, qui heurtent le métal froid de la cage inhumaine dans laquelle il se débat, s'ensanglantant la viande, se meurtrissant dans l'espoir futile de briser sa prison, trop forte pour un enfant de six ans. Il n'avait pas compris le déroulement des événements, trop brusques. Le monsieur était souriant, avait l'air sympathique et sincèrement ennuyé d'avoir perdu son chien. Il lui avait demandé s'il l'avait aperçu, lui avait demandé de l'aider à le retrouver. Dans sa tête, la voix de sa maman, comme un signal d'alarme subconscient lui avait soufflé dans l'oreille qu'il ne devait pas y aller, que c'était dangereux, mais trop doucement ou elle n'avait pas trouvé les mots pour qu'il écoute. Puis il avait été trop tard, quand le monsieur avenant avait changé de visage, l'enfermant dans ses bras puissants et lui avait mis un mouchoir, imbibé de chloroforme, sur la bouche. Il s'était réveillé dans ce caisson, par la fenêtre, percée de trous lui permettant de respirer, duquel il apercevait l'incandescence d'un néon, blafard, s'entrecoupant par intermittence, qui lui faisait un peu mal aux yeux, mouillés de larmes, et depuis il tapait pour que quelqu'un l'entende, pour ne pas être seul avec la peur, il frappait sur sa cage, car son instinct animal lui disait de le faire. Bang, bang, bang... Lundi, 10h30, un matin comme tous les autres pour Raymonde, préposée à l'accueil du supermarché de quartier, comme tous les autres, jusqu'à ce qu'un homme, qu'elle avait vu entrer sans y attacher plus d'importance que ça, les clients se ressemblent tous à la longue, s'approche dans l'allée fruits et légumes à gauche de son comptoir, tenant à la main un enregistreur. Comme un walk-man, mais sans les écouteurs, dont le bruit, mis au maximum de puissance, produisait un son irritant, un bang, comme une balle de tennis rebondissant par terre ou contre un mur, sur un rythme soutenu, comme Steve McQueen dans la Grande évasion. Elle se leva de sa chaise et se rendit d'un pas leste jusqu'au gêneur, pour qu'il arrête ce tintamarre. L'homme se mit à brailler des phrases incohérentes, à propos d'un enfant, qu'il fallait qu'ils sachent, que cela ne pouvait plus durer, qu'il ne le supportait plus, qu'il avait agi parce qu'il fallait que quelqu'un agisse, et d'autres propos semblables, marmonnés ou trop étouffés pour qu'elle comprenne. Elle dut appeler la sécurité, qui une fois sur place rattrapa l'individu, qui avait pris la fuite, beuglant, vociférant, qu'ils neutralisèrent avec difficulté, le plaquant au sol, lui enserrant les mains et les pieds au moyen de liens de contention solides. Une dizaine de minutes plus tard, trois policiers du commissariat, situé à proximité, vinrent s'enquérir de l'affaire et l'emmener, toujours très agité, cherchant à défaire ses entraves qui, merveille de la technologie moderne, se resserraient d'autant plus qu'il appliquait de force contre celles-ci. Les clients attérrés de ce charivari inhabituel, regardaient la scène, tels ces conducteurs passant près d'un accident, scrutant la tôle fracassée à la recherche d'un bout de tripes, ou se dépêchant de s'éloigner, ne tenant pas à être mêlés à quelque chose, quel que soit ce quelque chose. Lundi, 11h, une voiture banalisée s'arrête d'un crissement de pneus sec devant le commissariat de la rue des Tulipes noires, petite rue au demeurant tranquille. Le conducteur descend, claque la portière, ouvre du côté passager. Ses deux collègues extirpent le forcené, qui s'est fortement assagi depuis son arrestation, ne produisant que de vagues mots sans suite, semblant se parler à lui-même, et l'emmènent, les pieds détachés, le tenant par les bras, par précaution, jusqu'à l'intérieur. Là, ils se signalent à l'accueil, expliquent sommairement la nature des faits et emportent l'homme, jusqu'à l'une des pièces attenantes, pour procéder à son audition. Ils l'assoient sur une chaise, fouillent ses affaires pour trouver ses papiers d'identité, recherchent la présence de substances psychotropes, qui expliqueraient son accès de "fièvre acheteuse" de tout à l'heure et posent sur le bureau l'enregistreur, qu'ils écouteront avec soin, si besoin est, dans le cadre de l'enquête. Des hommes en uniforme passent, des bruits de téléphone, de portes, des voix, il regarde les murs, les affiches, les classeurs derrière le policier assis en face de lui, qui attend, regarde ses papiers, ouvre son portable, document-type : procès-verbal, l'enregistreur un peu cheap et au son légèrement criard, qu'il avait un jour acheté dans une solderie, mais qui lui avait permis d'enregistrer les pleurs du gosse, ses coups de poings contre la paroi de son vieux frigo à la cave, le cadenas rouillé qui tressautait sous les impulsions, mais qui tenait bon, on savait construire du bon matériel dans le temps. Cela avait encore été assez simple, le tout avait été d'oser franchir le pas, de bien sentir sa proie, un enfant pas trop pourri par la télé, qui soit assez naïf pour se laisser approcher et se laisser convaincre par ses bobards. Cela avait été, hihihi, un jeu d'enfant de l'enlever. Le policier écoute la bande, fronce les sourcils, il réécoute, me regarde ennuyé, il me demande ce que cela signifie, pourquoi j'ai fait tout ce chahut au magasin. La raison de l'esclandre, c'est que je voulais qu'on m'écoute, que je n'en pouvais plus du chaos de ma vie, partie en vrille. Il me parle, il veut savoir ce qu'il y a sur la bande, me pose des questions qui me flottent dessus, je me contente de le regarder, l'oeil absent, il n'a qu'à chercher, c'est lui le policier, après tout, il n'a qu'à bosser, je ne vais lui mâcher la besogne. Mon téléphone sonne, je décroche, je regarde l'écran de l'ordi, j'ai lancé une recherche dans le fichier au nom du triste sire que j'ai devant moi, qui continue de me nier superbement, mais on a l'habitude des taiseux, son passé parlera pour lui. Un dossier apparaît, mince, fait de petites choses, trouble de l'ordre public du à l'ivresse, bagarres dans des bars, crash-down alcoolique, cellule de dégrisement après qu'une patrouille l'ait trouvé étalé dans les géraniums d'un commerçant. Tentative de suicide par le gaz, après que sa femme l'ait quitté à l'issue d'un divorce houleux, emportant les gosses comme prise de guerre, ce qui lui avait snipé le moral. Pour se raccrocher à quelque chose, il s'était lancé à corps perdu dans le travail, alignant les heures supplémentaires comme Von Richtoffen les avions ennemis, jusqu'à l'écoeurement, jusqu'au burn-out inévitable. Un petit tour chez les psys, pour soigner sa dépression et sa santé, malmenée par la malbouffe, frôlant la flatline. En fait juste un pauvre type, avachi dans son siège devant moi, aux contours flous et fuyants, armé d'un enregistreur à la mords-moi-le-pif, dont je ne comprends pas un foutre mot. De la buée se forme sur la vitre, je n'arrive plus à voir à travers, il fait chaud, j'ai du mal à respirer, je pense à ma maman, elle est toujours là quand j'ai peur, quand je me suis fait mal, mais là, elle n'est pas là et j'air peur, peur de ne pas m'en sortir. Le combiné plaqué contre l'oreille, j'écoute tout en acquiesçant de temps en temps. Mon interlocuteur se trouve être un agent, d'un autre commissariat, il me demande si nous n'aurions pas par hasard retrouvé un enfant, qui se serait perdu, hier en fin d'après-midi, vers 17h, 17h30. Sa mère, paniquée, proche de l'hystérie, était venu au soir dans son bureau, désespérée, racontant comment elle était allé avec son fils dans le parc, pas loin de chez eux, comment elle avait été distraite par une amie perdue de vue et avec laquelle elle avait papoté quelques instants, échangeant leurs numéros, leurs mails, tout ça tout ça, puis la sale impression, l'inquiétude grandissante quand Frédéric n'avait pas répondu à ses appels, comment elle avait couru à travers le parc, criant son nom, le coeur battant la chamade, les gens la regardant comme des méduses échouées sur un brise-lame, et depuis l'angoisse de l'attente. Dans un premier moment, nous n'avions pas bougé, pensant à une fugue ou à la perte accidentelle de l'enfant, qui finirait par réapparaître de lui-même, lui conseillant de retourner chez elle, de continuer de chercher, que Frédéric allait forcément revenir, que nous allions lancer des recherches de notre côté. Mais, au matin, exténuée, n'ayant vraisemblablement pas dormi, et accompagnée de proches, elle s'était représentée à l'accueil, morte d'inquiétude, demandant des nouvelles. Les faits étaient troublants, mon instinct d'enquêteur me disait qu'il devait y avoir un lien entre l'enregistreur et cette disparition, je réécoutai encore plusieurs fois l'enregistrement, des coups sourds, des pleurs, peut-être ceux de l'enfant. Il pouvait tout aussi bien avoir capté les bruits d'un film à la télé. Si au moins, j'arrivais à le faire parler. Il sourit, tel un zombie souriant, il jubile, il a gagné ses quinze minutes de gloire, il sait que je sais qu'il sait. Que c'est lui. Et si je le frappais, juste un petit peu, le secouer, juste pour qu'il parle, ou tout cas qu'il arrête de sourire. Moi, il s'en fout, mais la mère arrivera peut-être à le déstabiliser, c'est un coup à tenter. Je reprends le téléphone, je demande que la mère vienne. Une voiture l'amène d'urgence, les proches sont priés de rester en-dehors de ce qui va suivre, que je ne veux que la mère. Elle entre, il se retourne, ils se toisent du regard. Pour la première fois, il détourne les yeux, mal à l'aise, ses yeux à elle le foudroient. Il soutient mal leur éclat, il sent qu'elle a senti, que son masque d'impassibilité va se fissurer, que la vérité pointera derrière, qu'encore une fois il est le loser de l'histoire. Finalement, il craque, entre deux sanglots et des "je suis désolé" morveux, de la salive plein les mots, il avoue avoir enlevé l'enfant, pour qu'on s'intéresse à lui, qu'il ne voulait pas lui faire de mal. Il indique la cachette où il l'a placé, redemande pardon à la mère, qui ne l'écoute déjà plus. Elle est emmené par une patrouille jusqu'à l'adresse, ils descendent le petit escalier tortueux et casse-gueule qui mène à la cave. Le silence règne, peut-être est-il trop tard ?, elle efface la buée sur le verre, elle voit son petit inerte au fond de l'habitacle. Elle se met à frapper le frigo comme une folle, un policier fait sauter le cadenas et soulève le gosse qui, mort de fatigue, s'était endormi.
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