© R. Capa, copyright 2001 by C.Capa / Magnum Photos / Reporters
Des Jours et des nuits à Chartres
de Henning Mankell
mise en scène
Coup de chapeau ou plutôt de béret basque, à la mise en scène de Daniel Benoin et aux décors très élaborés de la pièce de Henning Mankell (vous avez peut-être lu « Les chaussures italiennes ») qui décide d’approcher sans vergogne, puisqu’il est suédois, le sujet tabou de la collaboration de la France en guerre de 1940 à 1945. Celui des « épurations » en 46, 47… car il faudra de nombreuses années avant que les deux Frances se réconcilient. Il faut plusieurs générations pour que le traumatisme de la tonte d'une femme s'estompe, jugé parfois plus grave que celui du viol.
L’astuce du dramaturge est l’utilisation récurrente du personnage, Robert Capa, photographe de renom, et son téléobjectif vorace qui a photographié la mort sur tous les champs de bataille. Il est le premier photographe du débarquement allié en Normandie. On assiste, scéniquement parlant, à un va et vient entre le photographe prisonnier de son appareil photo, et le développement de la vérité dans la Camera Obscura de son studio et ...la vraie vie telle qu’il l’a captée ce 16 août 1944. Son objectif a saisi sur le vif le regard insondable d’une fille tondue portant dans ses bras un bébé, entourée d’une foule haineuse qui lui crache au visage avant d’être arrêtée et mise au pilori. Le photographe avoue : « Chacune de mes images est un gibier que j’ai abattu». Il passe sa vie à attendre la bonne lumière qui fera de son image un révélateur de vérité. Et quelle vérité cette fois-ci! Tout le monde n’a pas été capable d’appliquer la phrase d’Albert Einstein. « Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire » Par opportunisme, lâcheté, par intérêt et avidité, par dépit, par défaitisme.
L’occupation a été synonyme de collaboration pour beaucoup. Certains résistants ne se sont révélés qu’au bord de la défaite germanique, changeant très opportunément de camp en dernier ressort. Des fortunes faites sur le marché noir se sont accumulées. Cependant que cette jeune fille, Simone (Fanny Valette), un peu niaise, simple couturière dans un atelier, ayant perdu sa mère très jeune et même privée de son frère mort en 36 lors d’un accident de travail, se retrouve seule avec un père qui l’adore et la chérit. Il n’a plus personne au monde à part sa fille! Il ne sera pas assez sévère avec elle, ne lui indiquera pas la différence claire entre l’ombre et la lumière. Elle tombera amoureuse d’un Fritz qui lui fera une petite fille, preuve tangible de sa méconduite. Ils vont sûrement aller s’établir outre-Rhin. Las ! Mauvais timing, la guerre est finie et les ennemis vont être punis. La voici, dénoncée, sur la liste des suppliciables, victime de son « innocence » de la chose politique. Drame. Humiliations et mise à mort du bouc émissaire indispensable qui paye pour les saloperies de tous les autres qui ont su se retirer du jeu à temps. La pièce est un hallali éprouvant, entrecoupé de flashbacks très réalistes qui dépeignent la vie insouciante de la jeune fille et de son amie, Marie (Juliette Roudet), qui elle, saura se ranger du bon côté, au bon moment. Simone et son père incarnent un désespoir si profond que je n’ai jamais rien vu de pareil, s’exclame le photographe! D’incessants appels au secours retentissent de toutes parts dans la pièce. Personne n’écoute, tout le monde ne pense qu'à soi. C’est le comble, la seule qui a peut-être promis d'essayer, mais n’a pas réussi, est peut-être Simone.
Le rôle de Georges (Paul Chariéras), le père de Simone, est magnifique d’humanité et émeut aux larmes. Les filles, Simone et Marie sont moins convaincantes quand elles se font leurs confidences, visages tournés vers le sol, car la diction est un peu précipitée et pas toujours très audible dans la salle d’Aula Magna. La victime et son petit ne sont pas sans rappeler les larmes que l’on a versées pour le film Ryan’s daughter… et cette tendance de l’homme à crucifier les autres, de préférence! Joués par le même comédien (Frédéric de Godfiem), le soldat allemand est un peu flou - out of focus -, tandis que le reporter, revenons à lui, personnifie en quelque sorte le chœur de la tragédie grecque avec ses commentaires sur la vérité, la vie et l’humanité. Henning Mankell insiste : « La paix devrait redonner des valeurs à des gens comme Simone. On réussira à reconstruire le pays si on ne devient pas comme eux. »
«Ainsi, on peut dire que toutes mes images sont inachevées. Il y manque tout ce qu’on ne peut qu’imaginer» dit Robert Capa. Il nous fait réfléchir au rôle des médias et à leur éthique, avides de scoops en tout genre, sans cesse sur pied de guerre pour saisir ce qui se vend bien. Capter, saisir, s’emparer, collectionner les trophées… dans la plus pure dynamique Darwinienne.
«Ne restent que les images.
Mes tentatives
De capter ce qu’il y a d’insondable
Chez les hommes
Et par là même
En moi…»
avoue aussi Robert Capa. La lumière est mon ennemie et mon salut. Trouver la bonne lumière, c’est le but de son existence faite d'attente patiente et délibérée. Car « Une vérité qui traverse le feu ne se consume jamais : la photo semble dire: ne m’oubliez jamais ! »
On se doit de citer ici Paul Eluard:
Comprenne qui voudra, (Paul Eluard )
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Moi mon remords ce fut |
La malheureuse qui resta |
Sur le pavé |
La victime raisonnable |
A la robe déchirée |
Au regard d'enfant perdue |
Découronnée défigurée |
Celle qui ressemble aux morts |
Qui sont morts pour être aimés |
Une fille faite pour un bouquet |
Et couverte |
Du noir crachat des ténèbres |
Une fille galante |
Comme une aurore de premier mai |
La plus aimable bête |
Souillée et qui n'a pas compris |
Qu'elle est souillée |
Une bête prise au piège |
Des amateurs de beauté |
Et me mère la femme |
Voudrait bien dorloter |
Cette image idéale |
De son malheur sur terre
http://www.ateliertheatrejeanvilar.be/fr/saison/detail/index.php?spectacleID=503 |
Commentaires
POIGNANT!
http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20130409_00...
Louvain-la-Neuve: une pièce interpellante pour clore la saison du Jean Vilar, l'interview de Quentin COLETTE