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De l'amour

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"De l'amour" est un essai de Stendhal, pseudonyme d'Henri Beyle (1783-1842), publié à Paris chez Mongie l'Aîné en 1822.

 

De l'amour a été ébauché à Milan, en décembre 1819, sous l'influence d'une passion malheureuse. Afin d'écrire par un autre biais à "Métilde" (Matilda Dembowski, née Viscontini) qui refusait de recevoir ses lettres, et pour aider à sa propre guérison, Stendhal entreprend une analyse du sentiment amoureux, bientôt augmentée de pensées ("Fragments divers"). Soupçonné d'appartenir à une société de conspirateurs, il doit regagner Paris en juin 1821. Son manuscrit, égaré pendant plusieurs mois, sera enfin publié durant l'été de 1822. Plusieurs chapitres (comme "l'Amour en Provence", inspiré de sa lecture récente de l'historien Fauriel), ont sans doute été composés à Paris. De l'amour sera ensuite grossi de "compléments" et de trois préfaces de l'auteur, écrites en 1826, 1834 et 1842. Dans cette dernière, achevée huit jours avant sa mort, Stendhal constate l'insuccès de son ouvrage et sollicite "l'indulgence du lecteur pour la forme si singulière de cette physiologie de l'amour".

 

Livre I. Distinction entre l'amour-passion, l'amour-goût, l'amour physique et l'amour de vanité (chap. 1). Phases de la naissance de l'amour: l'admiration; "On se dit: Quel plaisir..."; l'espérance; l'amour est né; première cristallisation; le doute; seconde cristallisation (2). Comment l'espérance fait naître l'amour. Intervalles entre les phases (3-5). Analyse de la cristallisation (6). Des différences entre la naissance de l'amour dans les deux sexes (7). Nouvelle analyse et illustrations de la cristallisation (8-12). Réflexions sur la beauté; ses rapports avec l'amour (13-20). La "première vue", l'"engouement", le "coup de foudre" (21-23). Réflexions sur les pays où l'oranger croît en pleine terre (l'Italie, l'Espagne), incompréhensibles pour les gens du Nord (24). Sur le comportement des femmes: la pudeur, l'orgueil, le courage (25-30). "Extrait du journal de Salviati" - un des pseudonymes de l'auteur (31). De quelques sentiments qui accompagnent l'amour, notamment la jalousie (32-37). "De la pique d'amour-propre", "De l'amour à querelles", "Remèdes à l'amour" (38 et 39 ter).

 

Livre II. "Des nations par rapport à l'amour. Des tempéraments et des gouvernements": la France, l'Italie, l'Angleterre, l'Espagne, l'Allemagne (40-48). "Une journée à Florence": le ridicule n'existe pas en Italie (49). L'amour aux États-Unis (50). L'amour en Provence au XIIe siècle (51-52). L'Arabie (53). Sur l'éducation des femmes et le mariage (54-58). "Werther et Don Juan", plaidoirie en faveur de la sincérité et de la passion; l'"amour à la Werther" est à l'évidence celui que Stendhal vouait à Métilde, et qu'elle a repoussé.

 

Fragments divers. Suite d'aphorismes, de citations, de brèves anecdotes; réflexions sur l'amour antique, ou encore sur les arts et les moeurs.

Appendix. "Des cours d'amour", telles qu'elles existaient en France au XIIe siècle avec les trente et un articles du "Code d'amour" alors en vigueur.

Compléments. L'un d'eux, "Des fiasco", écrit avant 1822, avait été retranché de la première édition. Les autres lui sont postérieurs, notamment "Ernestine", courte nouvelle où, à partir d'un personnage posé comme sujet d'expérience, Stendhal étudie la naissance de l'amour dans le coeur d'une jeune fille qui vit à l'écart du monde, et "le Rameau de Salzbourg", anecdote qui éclaire l'analyse de la cristallisation.

 

 

Avant de le présenter comme une "physiologie", Stendhal avait appelé son essai un "livre d'idéologie" (I, 3), en s'excusant auprès des philosophes de l'impropriété du terme: "Je ne connais pas de mot pour dire, en grec, discours sur les sentiments." C'était avouer sa dette envers Destutt de Tracy, auteur des Éléments d'idéologie (1801), dont De l'amour reprend certaines idées audacieuses sur l'éducation des femmes et le mariage. Ouvrage composite, De l'amour illustre pourtant à merveille le conflit, présent dans toute l'oeuvre de Stendhal, entre "connaissance et tendresse", selon les termes utilisés par Jean-Pierre Richard, conflit exprimé par cette belle formule: "Je tremble toujours de n'avoir écrit qu'un soupir, quand je crois avoir noté une vérité" (I, 9). Tout au long du livre, parmi les froides analyses, affleurent les confidences d'un coeur blessé. Les anecdotes y ressemblent à ces illustrations dont les moralistes émaillent traditionnellement leurs maximes; mais on y devine aussi l'écho de la brouille avec Métilde.

 

Les pages les plus célèbres ont trait à la "cristallisation". Par ce mot, qui signifie d'abord "concrétion des cristaux", Stendhal désigne métaphoriquement "l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections" (I, 2). "La beauté n'est que la promesse du bonheur", précise-t-il dans une note (I, 17); du moment où l'amour est né, la laideur elle-même devient beauté aux yeux de l'amant et accroît son sentiment.

 

On peut juger désuètes, dans leur rigidité, les classifications par nations: elles reflètent les modes d'approche de l'époque (Mme de Staël, de même, distingue dans Corinne les aspects de l'amour suivant les pays), mais aussi les partis-pris de Stendhal: toute occasion lui est bonne de chanter la passion "à l'italienne", qui se moque de l'âge et du ridicule, et de s'en prendre à la vanité des Français. Avec une belle assurance, il codifie du reste sur l'amour en Andalousie (alors qu'il n'a pas visité l'Espagne au-delà de Barcelone) ou aux États-Unis (jugés sur leur réputation de pays uniforme et ennuyeux). Son sujet devient parfois prétexte à des analyses de tempéraments ou de gouvernements qui font écho à celles de Rome, Naples et Florence en 1817. Mais ses réflexions sur l'éducation des femmes, que la société du XIXe siècle prive de leur naturel, permettent de le ranger parmi nos rares auteurs masculins et féministes. Sa défense du naturel ne va pourtant pas sans tensions: ainsi la femme doit-elle se rendre à l'homme dès que celui-ci conçoit de l'espérance "pour le plus grand plaisir physique possible" (I, 2), mais si elle est raisonnable elle doit ne "tout accorder à son amant que quand elle ne peut plus se défendre" (I, 12). Les contradictions qui opposent ses exigences et ses goûts s'aperçoivent aussi dans son analyse de la pudeur: celle-ci donne des plaisirs à l'amant en lui faisant sentir les lois que l'on transgresse pour lui, mais elle est soeur du mensonge. Attiré à la fois par les grâces de la spontanéité et par les raffinements de la civilisation, Stendhal trouve de la douceur à fréquenter ces salons parisiens qu'il raille si cruellement.

 

Il a composé De l'amour avant ses romans, mais on s'égarerait à chercher dans ceux-ci de strictes applications de l'essai. Si ses personnages de fiction donnent l'illusion de la vie, c'est que les nuances imprévisibles de leurs sentiments échappent aux règles. On trouvera des manifestations de l'"amour physique", de manière inattendue, quand Octave est ému par le bras d'Armance; ou des formes de la cristallisation dans la naissance de l'amour de Lucien Leuwen pour Mme de Chasteller. Mais les parties de l'oeuvre romanesque qui héritent le plus directement des théories de l'essai sont peut-être l'amour-pique de Fabrice pour la Fausta (la Chartreuse de Parme, I, 13) ou la correspondance que Julien envoie à la maréchale de Fervaques pour exciter la jalousie de Mathilde de La Mole (le Rouge et le Noir, II, 26-30); ce ne sont pas les meilleures. Mais on aime que Lamiel illustre cette liberté que Stendhal rêve de voir consentie aux jeunes filles. Plutôt que comme un traité, c'est comme une suite d'aveux qu'il faut lire De l'amour, et aussi comme un recueil d'intrigues à peine amorcées, que le génie du romancier prolongera ensuite.

 

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