Cinq filles couleur Pêche Titre original :
« Five Women Wearing the Same Dress » (Allen Ball 1993)
L’absente de tout bouquet : on ne voit jamais la mariée dans la pièce, mais on vient observer « les insolentes bridesmaids », toutes habillées façon meringues roses, selon le vœu de la mariée. Quant au marié, on n’en parle même pas ! symptomatique?
Cinq demoiselles « d’honneur » qui lèvent cyniquement le voile sur l’envers du décor. Cinq « demoiselles »…qui n’ont rien de jeunes vierges effarouchées. Elles devraient sortir d’une bonbonnière, et être toutes pareillement coiffées, pomponnées et habillées, ainsi le veut la coutume en Amérique. Mais la livrée est trash et chacune décline à sa façon des traits de costume et de caractère, hors du commun. Le froufrou du tutu de fluo rose criant est piétiné par le vécu des cinq grâces, qui à l’occasion de la mascarade de ce mariage délirant, se lâchent comme elles ne l’ont jamais fait.
Elles boivent, elles fument et elles causent ! Confidences détonantes et hilarité en continu, vocabulaire cru fait pour choquer, langage corporel outrancier, la critique de la société néo-libérale éclate dans toute sa violence. Le ton est corrosif, on nage dans l’acide. On ne peut pas être indifférent.
Margaret, la sœur de la mariée, coiffée punk blond oxygéné, attachante, est vraie sur toute la ligne. Toutes griffes dehors elle pourfend l’institution, l’establishment et les parents débiles, et surtout la mascarade de la cérémonie et de l’après-cérémonie. Sous des dehors de battante, elle est toute fragilité et insécurité!
Georgia the gorgeous, ronde et crépitant d’humour, l’esprit et le corps en pulpe. Pourquoi a-t-elle accepté de devenir demoiselle d’honneur d’une mariée qui lui a raflé in illo tempore son Don Juan, l’incomparable sex-symbol, Tommy Valentine, qui se les est toutes « faites »? De dépit, elle a épousé le roi des « larves ». Elle joue divinement bien !
Frances : La cousine de la mariée. « Je ne fume pas, je ne bois pas, je ne couche pas, je suis chrétienne »….et tous les autres poncifs à la clé. Une caricature exquise de la naïveté et de l’innocence. C’est elle bien sûr qui gagnera le bouquet de la mariée !
Julia, « élue Reine de la mauvaise réputation ». Solitaire en diable malgré le nombre incalculable d’amants qu’elle a collectionnés. Les parents lui reprochent son influence néfaste sur la mariée, elle se réfugie dans le plaisir de la manipulation et de l’observation, jusqu’à la dernière scène où …(chut !!!)
Brenda: la sœur grande et maigre du marié. Malgré les lunettes démesurées son corps ingrat se cogne partout. Ugly Duckling, elle est devenue lesbienne, et peut se gorger d’appetizers à l’infini, sans gagner un gramme. Quelle injustice !
La panoplie des maux de notre siècle est présentée en éventail. Rien ne manque. Le rythme et le décor sont débridés, le ballet presque macabre. On perçoit des références très lisibles au très beau film du même auteur, « American Beauty » avec l’utilisation d’une petite caméra vidéo qui filme les mouvements des « Barbies ». Ils sont projetés sur une dizaine d’écrans ayant remplacé depuis longtemps les livres sur les étagères de l’immense bibliothèque de cette chambre où elles se sont réfugiées pour fuir le mariage. On a même droit à une séquence purement nombrilique, au propre et au figuré, c’est dire si l’altruisme a peu voix au chapitre! La mise-en-scène de leur déshabillage mental est très audacieuse et fait mouche. Toutes happées par les non-valeurs, l’encombrement de la société moderne et la perte de certitudes, elles volètent en tous sens, de façon erratique. Heureusement cette expérience impromptue leur fait découvrir les bienfaits du parler vrai et des liens d’amitié naissante, la seule chose qui surnage dans ce tas d’immondices.
Soif d’idéal couleur pêche? On finit par les aimer toutes …ces pécheresses! Toutes pèchent, à cause du monde moderne qui les broie. Sauf peut-être, Frances, accrochée aux vertus obsolètes de sa foi chrétienne. Et encore, celle-là ne pèche-t-elle pas par extrémisme religieux? Foule sentimentale, s’abstenir.
Sauf que le jeu des cinq actrices est tout simplement génial.
Dernier jour: au théâtre des Martyrs
avec
Julia (Valérie Bauchau)
Margaret (Stéphanie Blanchoud)
Georgia (Laura Vossen)
Frances (Sandy Duret)
Brenda (Karin Clercq)
Et Michelangelo Marchese
http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/grande-salle/piece5.html
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