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Charles Plisnier

Charles Plisnier est né à Ghlin, près de Mons en 1896 et est mort à Bruxelles en 1952. Sa mère est une ouvrière du textile et son père un intellectuel socialiste. On peut même dire que ses parents sont profondément attirés par la France révolutionnaire et républicaine. Enfant précoce, il commence ses humanités anciennes à l’Athénée de Mons alors qu’il n’a pas encore dix ans. Il publie ses premiers poèmes dans la revue Flamberge, publie déjà "L'Enfant qui fut déçu" et "Voix entendues" et sera encouragé par Émile Verhaeren (qui lui habite à Roisin). Il fait des études de droit à l’ULB et adhère au parti communiste. Il travaille à la Cour d'Appel de Bruxelles et se fixe dans cette ville, où il ne plaide que pour les ouvriers. A cette époque, son travail et ses activités politiques lui font un peu délaisser l’écriture. En effet, il est fasciné par la révolution russe de 1917 et devient même directeur du Secours Rouge international. Il est donc bien dans la mouvance de ceux qui agissent internationalement pour permettre l’avènement du communisme en Europe. Pourtant, il sera fortement déçu par un voyage qu’il fera en Russie et deviendra trotskiste, ce qui lui vaudra d’être exclu du Parti communiste (1928). En fait, au Congrès du Parti communiste qui venait d’avoir lieu à Anvers, il avait défendu des thèses contraires à celles de l'Internationale. Admirons donc son courage pour oser s’exprimer à l’encontre des thèses officielles (voir aussi mon article sur Victor Serge, qui aura la même attitude et connaîtra le même sort)

Rallié au POB, cet homme toujours en recherche se convertit au christianisme. On pourrait donc le qualifier de chrétien de gauche, car il n’abandonne pas du tout ses idées socialistes.

"Les communistes me haïssent, pour eux je suis un renégat. Ils m'appellent le trotskyste qui s'est fait moine. Or, le trotskysme est dépassé et je ne suis pas moine. Je ne vais même pas à la messe."

On le retrouve au Congrès national wallon de Liège en 1945, où il est clairement pour un rattachement avec la France. Dans sa « Lettre ouverte à ses concitoyens » (qui paraîtra à titre posthume), il s’oriente pourtant davantage vers une sorte de fédéralisme. Pour ceux qui l’ignoreraient, ce Congrès national wallon qui se tient à la sortie de la guerre tente de réfléchir à l’avenir de la Wallonie. Léopold III était soupçonné d’avoir collaboré avec les Allemands, certains Flamands avaient eu eux aussi une position plus qu’ambiguë et en France, De Gaulle, l’homme du 18 juin, était à l’apogée de sa gloire. Quarante-six pour cent des congressistes se prononcèrent en faveur de la réunion de la Wallonie à la France (ce dont on parle peu dans les manuels scolaires d’aujourd’hui). L’option suivante était l'autonomie dans le cadre belge (quarante pour cent des suffrages) et enfin l'indépendance pure et simple de la Wallonie (quatorze pour cent) Finalement, puisqu’il fallait être raisonnable et réaliste, c’est l’autonomie dans un cadre fédéral qui l’emporta suite au discours de  Fernand Dehousse. Le Congrès se termina par l’allocution de Charles Plisnier qui estima que le fédéralisme était la dernière tentative d’entente dans le cadre belge et que si celle-ci échouait, il conviendrait d'« appeler la France au secours ».

Il ne faut point s’étonner de sa position. Charles Plisnier rapporte que lorsqu’il était enfant, leur mère les conduisait, sa sœur et lui, sur les hauteurs de Spiennes, au sud de Mons. « Les champs s’étendaient à l’infini devant nous, vers le sud, et nous ne voyions que des blés. Mais ma mère levait la main vers ces étendues et, d’une voix toute changée par l’amour : « Regardez, mes enfants, disait-elle, là, là, la France ». On a donc ici un écrivain wallon et francophile et son point de vue est donc forcément différent de celui des autres grands classiques belges comme De Coster, Marie Gevers, Ghelderode, Rodenbach ou Maeterlinck qui, s’ils sont eux aussi issus de la bourgeoisie et s’expriment en français, sont d’origine flamande (et ne s’expriment en français qu’en raison de leur appartenance aux classes sociales aisées). Une autre différence entre Plisnier et ces auteurs, c’est son engagement politique en faveur des plus humbles. Vivant dans l’aisance matérielle, il sera choqué par la misère de celles et ceux qui vivent dans les faubourgs de Mons et dans les communes du Borinage.

Après la guerre, qui a vu l’affrontement des Etats-Nations, il s’intéresse à l’idée de la construction européenne et participe à tous les congrès et toutes les conférences (Paris, Berlin, Genève).

Penchons-nous maintenant sur sa carrière d’écrivain. Après sa rupture avec le communisme il se remet à écrire et en moins de six ans, il publie onze volumes, surtout de la poésie (vers libres,  ponctuation absente). On retrouve dans ces poèmes la nostalgie d'un idéal dont finalement il avait fait le combat de sa vie. En 1936 paraît « Mariages ». En 1937, il est élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. La même année, il obtient le Goncourt pour « Faux Passeports », où il fait le bilan de son expérience de militant : est-il artiste ou politique ? Ce prix est exceptionnel pour deux raisons : c’est la première fois qu’il est attribué à un auteur qui ne possède pas la nationalité française et outre « Faux passeports », il couronne avec retard le roman « Mariages ». Du coup Plisnier est le premier auteur belge à remporter le Goncourt. Ce succès lui permet de réaliser un de ses rêves: il renonce au Barreau, quitte la Belgique, et s'installe en France, où il se consacre exclusivement à l’écriture. Plus tard il sera proposé au Nobel (mais ne sera pas lauréat) par l’Académie, l’Association des Écrivains belges et le Pen club (1951). En fait, c’est le jury du Nobel qui demande à chaque pays de proposer des écrivains. Vu la notoriété et l’importance qu’avait Plisnier à cette époque, il était donc assez logique qu’il ait été proposé par la Belgique.

Il faut aussi souligner le fait qu’il est à l’origine de plusieurs revues : Ferveur en 1913, Haro (à la fois littéraire et révolutionnaire) en 1919, Communisme en 1919, Prospections en 1929 (avec Albert Ayguesparse), L’Esprit du temps en 1933, et Alerte en 1939.

Le style de Charles Plisnier est classique et l’auteur, omniscient, ne dissimule rien au lecteur et voit ce qui se passe dans les pensées de ses personnages, à qui il ne laisse aucune liberté (un peu comme chez Balzac et les romanciers du XIXème). « Mariages », c’est en fait l’histoire d’une famille riche, dont la fille Fabienne va épouser un jeune homme ambitieux et capable, mais d’origine populaire. Habile, il va dépouiller son beau-père (profitant de l’absence de réaction de son épouse). Tout lui appartient désormais : l’usine familiale et Fabienne. Cette dernière est sexuellement insatisfaite, tandis que son mari multiplie les conquêtes. Fabienne finit par découvrir son infidélité mais s’aperçoit qu’il va aller refaire sa vie à l’étranger après avoir emporté toute la fortune. Elle prévient ce drame en l’empoisonnant, ce qui permet à la vie de continuer.

Dans « Mariages » Plisnier dénonce donc le monde bourgeois où tout repose sur les apparences et où il y a peu de sentiments. Seul compte l’argent. Il dénonce surtout le mariage en lui-même et prédit l’échec quasi certain qui attend tous les couples. Autrement dit, au-delà du discours « social », ce roman s’interroge aussi sur la place de l’amour dans la vie d’une femme et même sur l’amour physique auquel celle-ci aspire. Jeune fille, elle en rêve, et une fois mariée, elle essaie de se rassurer en se disant que ce n’était qu’une illusion et que tout cela n’avait finalement aucune importance. Mais quand l’héroïne croise sa cousine Christa (qui a vécu une histoire d’amour scandaleuse avec un homme marié) et qu’elle se rend compte que celle-ci est heureuse et déborde de joie, la question qu’elle se pose est : est-ce possible qu’elle aime, qu’elle aime avec son corps ?  Et elle prend alors conscience qu’elle-même vit avec un homme que finalement elle n’aime pas et à qui elle se soumet chaque nuit sans aucun plaisir. Cela reviendrait-il à dire qu’il faut choisir entre être riche et sans amour ou être pauvre et vivre un grand amour ?

Notons que l’action de ce roman semble bien se dérouler à Mons, ville natale de l’auteur, même si le nom n’en est jamais cité.

Dans « Faux Passeports » Plisnier nous parle de son rêve politique brisé, de cette espérance collective en un monde meilleur qui s’est terminée par le stalinisme et les camps en Sibérie. Il s’est donc bien inspiré de son itinéraire personnel pour écrire ce récit aux personnages torturés. Les héros et le parti s’affrontent, ce dernier en demandant toujours plus et allant jusqu’à exiger de ses membres de se sacrifier pour lui. On pense à ce qu’a écrit sur le même sujet Victo Serge, dont nous avons parlé dans un autre article. Dans « Faux Passeports », on relate par exemple la vie de Ditka, une terroriste serbe torturée par la police (elle n’avait plus que des cicatrices rouges à la place des seins) et qui finira par être pendue à Sofia ou celle de Carlotta, qui sacrifie son amour au parti le jour où elle découvre que l’homme qu’elle aime a trahi la cause commune. Elle n’hésite pas alors à le dénoncer.  

Dans « Meurtres », est abordé le problème de la spiritualité. En fait, c’est surtout à travers l’œuvre poétique qu’on peut suivre l’itinéraire spirituel tourmenté de Plisnier et ses combats intérieurs, comme dans « Sacre » (1938) ou « Ave Genitrix » (1943).

En conclusion, je dirai que pour comprendre Plisnier, il faut se rendre compte que pour lui le roman, la poésie et la politique ne furent que des moyens pour atteindre la vérité et la justice, ces deux rêves auxquels il aspirait vraiment. Il pouvait être à la fois communiste et croyant, romancier et poète. Evidemment, il fut critiqué par la droite bourgeoise quand il fut communiste et par la gauche socialiste quand il devint chrétien. Mais son comportement n’est contradictoire qu’en apparence. C’est un homme avant tout assoiffé de justice.

« J'exècre le lion, mais j'ai tué la biche.

J'ai blasphémé Jésus, mais je prie en secret.

J'ai supplié l'amour, mais j'écarte le trait.

Je célèbre le lot du pauvre, et je suis riche. »

(Prière aux Mains coupées)

 

*****

 

Extraits

Charles Plisnier adorait sa ville de Mons. Pour la décrire à ses lecteurs, il se place de préférence  au pied du beffroi, ce  « belvédère du ciel ».

Ainsi, « j'assiste » à ce pays, je le capte, je le respire, je m'en gorge. Je lui appartiens, il est à moi. La nostalgie qu'il me donne forme le meilleur de moi-même. Car on peut, avide, aller demander à tous les horizons, leurs climats et leurs couleurs; on peut aller ailleurs, prendre et aimer: mais on trahit quand on trahit sa terre. Voilà pourquoi, souvent vagabond et souvent exilé, je vais parfois rêver autour du Beffroi de Mons-ma-Ville.

Ce point de vue fait de ce monde ceint par son boulevard, un lieu pourtant ouvert sur l'espace, et, par un deuxième mouvement, permet de pénétrer aussi par le rêve et la pensée dans les ruelles et les maisons. Un regard circulaire, et voici la ville : sous une symphonie d'ardoises bleues et de tuiles passées, ces rues, ces venelles, ces places dont chacune a une signification adorable, recèlent un souvenir, une exaltation, un songe. [...]

 

Si vous regardez au-delà de cet anneau vert, du côté de l'Ouest, vos yeux rencontrent cette terre étrange, mystérieuse, pleine de tragédie et de gentillesse, ce Borinage de terrils noirs et de fumées, que Verhaeren aima, et qu'enfant, venu des villages de prés et de forêts, je ne parcourais pas sans angoisse. Ils sont loin, ces corons. Mais d'ici, par pensée, je les vois et ceux qui tout à l'heure sortaient de terre comme des démons ténébreux, sont accroupis devant leurs seuils, bien lavés et s'interpellent d'une voix qui chante. Vers le Sud, c'est le mont Panisel, les collines très douces chargées de céréales et les chemins qui, sous les arbres, vont tendrement vers la France. Au Nord, enfin, ces villages de champs et de bois où, depuis des siècles, fidèles, naissaient les pères et les mères de mon père et de ma mère.

*****

Faux Passeports (Corvelise)

Etrange destinée qui a fait de Saurat un chef de parti. C’est pour les émeutes qu’il est taillé, les corps à corps, les coups de feu.

Il ne pouvait consentir à voir les autres se battre à sa place. Cette situation le faisait souffrir à un point extrême. Sans cesse, il se levait.

Mais Feuerlich le contraignait doucement et sans cesse lui rappelait qu’il ne pouvait, non, compromettre sa vie pour son plaisir.

A sept heures, il vint un émissaire du parti.    

L’entreprise était manquée. Que le guet-apens fût admirablement préparé, cela éclatait aux yeux. Partout où ils avaient provoqué l’adversaire, les hommes du Rote Front, inférieurs en nombre, avaient dû reculer. Maintenant les schupos occupaient la rue, plaçaient des piquets aux carrefours.

Alors Saurat, qui trop longtemps s’était contenu, renonça à se maîtriser. Je connaissais ces colères furieuses où il devenait exactement un autre homme, capable d’abattre, s’il s’opposait à lui, son meilleur ami.

– Cela suffit, criait-il. J’en ai assez. On est en train de gaspiller le sang des nôtres dans cette comédie. Donnez-moi mon manteau, ma valise : je pars.

Ce fut une véritable lutte. Feuerlich et l’émissaire du parti seraient aux poignets Saurat qu’une sorte de rage enivrait.

On entendit distinctement, sous les fenêtres, deux coups de feu.

Tous trois, soudain, furent immobiles.

Blême, les yeux révulsés, Saurat cria :

– Corvelise…

Corvelise n’était plus derrière le rideau.

De la rue montait un coup de sifflet strident, une sourde rumeur. Au milieu de l’asphalte, des gens entouraient un corps étendu.

– L’imbécile dit Saurat. Ah ! l’imbécile !

Et il se mit à pleurer.

(Charles Plisnier, Faux passeports, Babel, 1991, pp.226-227.)

 

*****

Si Plisnier est très classique dans ses romans, il est plus audacieux dans ses poésies.

Don du jour (fragment)

 

Tu manges un beafsteck américain devant un journal volumineux qui sent l’encre, les courses, les révolutions, les voyages et les beaux assassinats. Ton âme est un planisphère. Le jazz-band souffle par-dessus comme une tempête jaune. Théâtre : microscope. La seconde nuit descend avec le rideau de fer. C’est l’heure où les femmes qui passent au long des façades et des lauriers en pot et des vestibules du vertige luisent par en-dedans comme des poupées électriques, comme les poulpes des eaux profondes. Les tapis en fleurs sont étendus sur le monde. Les talons jouent au domino. L’idée tourne en équilibre sur une aiguille électrisée. Les abîmes emplissent les hommes pleins d’alcools et de lumières. On commence à s’éveiller, à s’endormir. Bois du café. Lave tes dents pleines de soir. Écris deux télégrammes. Fais un poème avec les arabesques de l’automne, la main coupée du nègre hawaïen, toutes les portes ouvertes qui continuent sans cesse à battre, sans cesse à battre comme des yeux.

Fertilité du désert, 1933

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