Fatiguée et peu enclin à rigoler, son visage est tendu, ses yeux cernés. Ses cheveux mal coiffés lui donnent l’âge qu’elle n'a pas. Ses journées se remplissent rapidement de tout un tas d’ennuis qu’elle porte à bras le corps. La vie rêvée n’a pas existé. La réalité est tout autre et la misère a commencé quand elle est entrée comme employée dans cette petite entreprise de banlieue. Un travail de bureau facile et sans conséquence pense-t-elle.
Cela fait longtemps qu’elle n’est plus partie se promener à la campagne, sur les flancs de cette vallée qui lui est si chère. Ses racines sont là, attachées à cette petite maison vieillissante. Que de regrets dans ses pensées dès qu’elle y songe. La vie n’est vraiment pas juste.
Des ouvriers de passage, jeunes en majorité, ne parlent pas notre langue. Elle a posé des questions au début mais elle n’a pas reçu de réponses correctes.
Un matin, à son arrivée, un jeune homme malade est étendu dans le hall. Son regard, attiré par la maigreur de l’homme, lui donne des frissons. Personne n’appelle le médecin et un de ses collègues lui conseille de rentrer dans son bureau rapidement. Intriguée, elle reste sur sa curiosité, son besoin de savoir. Mais l’homme a disparu brusquement sans explication. Son travail terminé, elle quitte cet endroit installé dans un ancien hangar et assez vieillot. Un garage à l’ancienne qui recèle des trésors insoupçonnés. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va découvrir.
Son travail consiste à tenir la comptabilité à jour. Des entrées, des sorties et quelques clients parcourent cet endroit ouvert à tout vent.
Les ouvriers changent régulièrement et elle a l’impression qu’ils ne font que passer. Chaque semaine, de nouvelles têtes qui ne s’intègrent pas et qui disparaissent rapidement. Sa curiosité est activité par l’arrivée sur le parking de camionnettes bâchés qui ne déposent, ni ne prennent de colis. Un spectacle étrange que ce ballet de fourgons de passage.
Annette veut savoir. Prétextant un surplus de travail, elle reste tard un soir et profite pour visiter l’arrière de ce hangar. Des salles closes ne sont pas accessibles, toutes fermées de gros cadenas. Son intérêt est maintenant captivé dans des bruits sourds, comme étouffés. Des murmures que l’on veut silencieux. Une conversation inaudible traverse la cloison.
Elle est convaincue qu’il se passe des évènements bizarres dans l’entreprise où elle travaille, des agissements qui ne sont pas honnêtes. Elle se promet d’y revenir un soir et d’en connaître le secret. La journée lui paraît longue, interminable. Elle est nerveuse. Des nouvelles camionnettes ont fait leur apparition ce matin. D’autres sont parties tôt.
L’angoisse l’envahit. Et si..
Arrivée enfin à la fin de sa journée, Annette s’échappe vers l’arrière du bâtiment et reste dans l’ombre. Un employé a ouvert une porte et dépose de l’eau dans un seau. Cette fois, elle va savoir.
Pénétrant ainsi dans cette salle sombre, obscure, elle se trouve nez à nez avec des personnes en errances, des migrants fatigués. Couchés à même le sol, les plus fragiles se reposent. Tous ces allochtones sont épuisés. Chacun a un regard noir comme la nuit. La solennité des lieux donne le frisson et Annette, humble, les regarde comme dans un miroir à double face. Reflet de l’humanité déchantée, maîtres de leur destin, ces hommes cherchent une vie meilleure. Miroirs vivants, ils réinventent un autre monde. Abandonnés, largués, refusant les litanies funestes, ils sont partis vers d’autres lieux avec l’espoir comme bagages.
Annette a décidé de les aider comme le font tous les autres membres de l’entreprise. Donner son temps, son énergie pour que ces gens trouvent enfin un point d’attache meilleur que celui qu’ils ont quitté. La tâche est immense. Ces gens sont ramassés sur le bord des chemins par des bénévoles qui les soulagent quelques jours des affres du voyage.
Réalité ou pérégrination imaginaire. Peu importe la vérité. Annette n’arrête plus depuis ce jour. Elle donne sans compter à ces gens jetés sur les routes et à la recherche de sécurité, d’une vie d’homme libre et d’un repos bien mérité.
Commentaires