Amandine Beyer
Un électron libre investit le parquet et les boiseries craquantes du plateau du Conservatoire de Bruxelles, immensément vide. Vêtue de noir, sourire aux lèvres, une fleur de soie piquée dans les cheveux courts, et dans les mains, le violon blond et minuscule qu’elle va faire chanter dans un instant, voici Amandine Beyer. Elle sourit furtivement à l’espace et au temps avant de glisser sa première mesure. Elle est au centre de l’épure extrême du décor : le vide. Ecrin austère pour la musique complexe de Bach dont rien ne doit distraire. Approche bouddhiste ? Il faut vider la tasse de thé avant de la remplir? Pour interpréter, il faut d'abord se mettre à la disposition du maître en mettant de côté ses propres perceptions pour accueillir la spiritualité musicale de Jean-Sébastien.
Courage et finesse d’entrée de jeu dans le prélude aigrelet de la Partita n°3. La magie de l’archet opère. C’est vif et printanier, puis cela glisse dans la flânerie musicale et les débordements maîtrisés dans le second mouvement. Quelques sourires aigus et l’on verse dans la gavotte sautillante bien connue. La construction est délicate, le bonheur plisse les joues de l’artiste, l’oreille dans la confidence du galbe de l’instrument. La musicienne fait réellement prolongement avec lui. Les sonorités se font plus graves dans les courts menuets mais sont d’une extrême légèreté. La souplesse de jeu parcourt les octaves comme de grands frissons. La bourrée se gave d’échos joyeux, tel un vol de papillon qui butine de fleur en fleur. Gigue finale: écho accéléré de la gavotte. On peut enfin applaudir.
La sonate N° 2 change la posture de la joueuse. Le soliloque est grave et habité. D’où vient le souffle ? Tout coule et s’enchaîne sans la moindre respiration. Cela donne l’illusion d’un temps en boucle. La fugue démarre après un sourire épanoui, l’œuvre de la musique sans doute. Envols gracieux et descentes élégantes malgré une tension soutenue. L’andante déballe avec patience des papiers de soie car la sonorité a perdu un peu de sa vigueur. L’allegro revient avec des sonorités claires et vives. La virtuosité et le rythme soutenu donnent l’impression d’une conversation à plusieurs voix dans la magistrale solitude.
C’est évidemment le dernier mouvement, la chaconne de la partita N°2 qui fascinera pendant plus de 15 minutes. C’est majestueux. Les sons sont pleins, la musicienne joue les yeux fermés. On dirait qu’elle attendait ce moment précis pour consommer ce mouvement avec gourmandise. Les arpèges vibrants montent, descendent le long de la gamme chromatique. Puis il y a cette rupture de rythme, comme pour pénétrer dans le saint des saints d’un lieu accessible à quelques élus seulement. Mais elle nous a ouvert la porte et avec elle on pénètre dans le mystère. La dernière note soutenue est longue et chaleureuse. Un dernier moment de partage advient avec trois bis programmés. D’abord Matteis. Un mouvement coulé avec une basse continue invisible, où Amandine Beyer se laisse bercer par la mélodie. Puis le 3e mouvement de la sonate en do majeur de Bach : un soliloque ailé, riche d’accents, d’enchaînements presque flûtés. Le troisième bis n’aura pas lieu. On ne pouvait sans doute pas faire mieux…
http://www.bozar.be/activity.php?id=12128&selectiondate=2012-10-05
Commentaires
Merci Deashelle pour cette invitation à écouter Amandine Beyer.
Bon week end.
Adyne