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Alvéoles - Le voyage de Judith (5)

 

Judith avait été comme aspirée vers le haut. La rivière noire n'était plus qu'une ombre qu'elle devinait derrière une brume légère et tiède. Elle sentait la main de son mari tout autour de la sienne, chaude, protectrice. C'était sa main qui l'avait rendue légère, qui lui avait porté secours. Mimmo lui parlait doucement, et même s'il lui était difficile de tout suivre, Judith sentait au ton de son homme que quelque chose avait changé. De toute évidence, il avait dépassé le stade de la simple culpabilité.

Son homme était préoccupé par elle, mais il y avait quelque chose de nouveau. Quelque chose qu'il ne comprenait pas, mais dont Judith savait déjà qu'il ne pourrait s'en débarrasser tant qu'il n'aurait pas été au bout des choses. Méprisant la menace noire dont elle s'était éloignée – pour combien de temps, voilà qui restait à deviner – elle se concentra sur la voix de son homme.

— Ces soit-disant sociétés n'ont aucune réalité, dit Mimmo. Leur site web n'a existé que durant quelques jours. Tout ceci a été orchestré à grande échelle. J'ai trouvé pas moins de cent sites provisoires, qui présentent tous un contenu identique aux autres. Rien qu'en France.

Judith perçut dans sa voix la même détermination qu'il avait manifesté lorsqu'ils s'étaient rencontrés. La même curiosité dévorante, aussi. Si à cette époque, Mimmo n'était pas entré dans la maison de Judith par effraction, jamais il n'aurait pu la sauver de la noyade. À cette idée, Judith sentit la rivière noire enfler, loin sous elle, mais toujours menaçante. Elle renonça à penser  davantage à cet épisode.

— Je vais tenter d'en savoir plus avec les moyens du bord, mon amour. J'ai besoin de comprendre tout ça.

Le jeune femme se sentit basculer. Elle connaissait son mari : s'il le fallait, il s'éloignerait d'elle, pour chercher, poser des questions, réfléchir, agir. Et, d'expérience, les moyens du bord tels que Mimmo les concevait pouvaient être parfois bien ambitieux. Elle ne se sentait pas assez forte. S'il partait, son corps serait plus lourd à nouveau, il glisserait sous la brume et s'approcherait une fois encore de la rivière noire, jusqu'à la toucher. Et elle se perdrait.

Judith décida de fuir ce décor où elle se sentait bien trop seule et revint vers la chambre d'hôpital où elle était allongée.

— Je veux pouvoir tout te dire, tout t'expliquer. Je veux trouver ceux qui organisent tout ça. Ceux qui détruisent des essaims par milliers. Qui les font fuir, qui les affolent et les rendent dangereux. Je veux savoir qui a osé s'attaquer à... nous.

À ces mots, Judith sentit la chaleur de ses mains la pénétrer plus avant. Il venait de le dire : c'était à leur couple que l'on avait porté atteinte. Pas à elle seule, pas à son corps allergique, pas à son métabolisme imprévisible, non : à eux. Le couple qu'ils étaient jusqu'au tréfonds de leur âme et de leur corps. Elle sentit toute son âme s'orienter vers Mimmo, comme une évidence, lui envoyer tant et tant de signaux mentaux, mais une fois encore, Judith se heurta aux limites de son corps inerte : ni sa respiration, ni son rythme cardiaque ne se modifièrent.

Elle aurait voulu hurler sa rage et déception, lui dire comme elle regrettait de ne pas pouvoir l'aider, mais au lieu de cela, son esprit continua à rebondir aux murs capitonnés de son coma. Je suis là, Mimmo ! Merde, pourquoi ma voix ne peut-elle t'atteindre ? Je suis vivante ! Je t'entends, je te comprends ! Ma main dans la tienne, je la sens ! Dis-moi que tu sens cela aussi, je t'en prie !

— Je suis sûr que tu ferais la même chose, à ma place, poursuivit Dominique. Je n'accepte pas qu'on menace notre couple. Et toi non plus, j'en suis sûr.

Non, mon amour, je ne l'accepte pas.

— Judith... Les médecins peuvent dire ce qu'ils veulent, mais moi, je sais que tu es là. Je le sens.

C'est ma main dans la tienne, Mimmo.

— Je tiens ta main.

On ne se lâche pas.

— On se bat ensemble. Toi dedans, moi dehors. On ne se quitte pas, on ne se lâche pas.

Toujours. Je voudrais tant t'aider, Mimmo.

— Je suis sûr que si tu le pouvais, maintenant, tu ferais n'importe quoi pour m'aider. J'imagine ta frustration si tu entends tout ce que je dis. Ne te laisse pas aller, Judith. Promis ?

Je vais faire de mon mieux. Oh mon Dieu, si tu pouvais encore me dire des choses qui me font croire que tu m'entends un peu ! Parle-moi, Mimmo, donne-moi de l'espoir !

— Tu te souviens de ce que tu m'as dit, au fond de notre petite maison de pierre ? Après avoir envoyé valser la bouteille de Limoncello au pied de notre lit ?

J'étais en toi.

— Tu m'as dit que tu étais « en moi ».

Nous n'étions qu'un seul.

— C'est aussi ce que j'ai ressenti.

Je reste en toi. Où que tu sois. Tu entends ce que je pense. Faustine va arriver.

— Je reviens un peu plus tard. Je dois encore poser quelques questions à mon seul témoin. Je ne serai pas long. Je t'aime.

Moi aussi je t'aime. Qu'est-ce que je viens de dire ?

— À tout à l'heure. Tiens bon, ma petite alpiniste.

Judith sentit les doigts de son homme glisser sur son poignet, puis sur sa paume. La caresse provoqua une vague de chaleur dans sa colonne vertébrale, mais comme elle s'y attendait, rien ne fit changer la mélodie artificielle des instruments de mesure. Mais pour Judith ce n'était plus l'essentiel.

Quelques instants plus tard, de grands frissons – était-ce un léger courant d'air ? – la parcoururent toute entière, et soulevèrent à nouveau tous les poils de son corps, au moment où elle entendit la voix de son homme dire tout bas :

— Votre mari dort ? Non ? Tant mieux. J'aimerais lui parler, j'ai d'autres questions à lui poser. Et j'appellerai Louis, si vous croyez que je peux le déranger à cette heure. Oui, oui, entrez, c'est gentil à vous. Parlez-lui. Beaucoup.

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Commentaires

  • C'est très aimable à vous. Je suis d'autant plus satisfait que les premières critiques tombent sur les blogs... Et sont très encourageantes!
  • Vous y réussissez très bien !

  • Merci Léonie, je me suis soumis à l'exercice de la lecture à haute voix pour m'assurer de la fluidité du texte, laquelle, je l'espère, aide l'intrigue à progresser à pas de loup...
  • J'aime beaucoup votre écriture. Ca coule tout seul, on est pris de suite dans l'histoire.
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