E(mots)tions : “Les étoiles sont nos ancêtres; nous sommes des poussières d'étoile: c'est une des grandes découvertes de l'astronomie contemporaine.” Trinh Xuan Thuan
Fibre poétique…Expérience de voyage connecté, sonore, captivant: une poétesse delphique nous est tombée du ciel belge. La transe poétique transforme. Elle fait l'amour, corps et âme, aux mots "pas sages". Le regard se fixe ou s’égare, les pupilles se dilatent, les artères se contractent, le sang bat, les mots fusent, les spectateurs se brûlent à la chaleur organique de Laurence Vielle et Catherine Graindorge, musicienne.
La salle se met sur orbite et suit la comédienne vêtue comme une écolière dans la valse avec l’univers. Les échauffements du début ont bien marché : ces questions impertinentes et simplettes posées à brûle-pourpoint à chaque visage qu’elle a jeté dans son filet. Alors les cœurs ainsi préparés s'emballent, malgré le cadre sévère du sous-sol, malgré la couleur de la morosité, malgré l’impuissant fatalisme du propos - ou en vertu de celui-ci - la pression sensorielle crève le plafond. Le mode féminin, muscles bandés, exulte. La respiration des textes s'accélère et devient haletante, les impulsions éclectiques foisonnent, la salive s’emballe, la poésie jaillit dans tous les sens, la parole soulèverait des montagnes et la violence de l’acte poétique meurt dans la musique de sa comparse en tenue de troubadour. OUF!
F comme femmes. En vagues régulières pendant plus d’une heure, notre poétesse, désormais nationale, adapte sa voix à notre monde égaré mais qui roule imperturbablement comme bille autour du soleil dans l’indifférence de l’univers, avec elle et nous, à 30 km /seconde. Au passage, Elle tire à boulets bleus sur tout ce qui dérange, dans un rythme de mitraillette. Les mots vibratoires se croisent en gerbes d’étincelles poétiques. Les cibles se transforment en mondes possibles, la rime est reine et entêtante, la musicalité ravage le texte tandis que le texte imprègne la musique de l’autre sur scène, cette comparse joyeuse, souriante et solaire qui manie les instruments de musique et galbe les effets passionnés de voix. Ecoutez les profondeurs légères des passagères de la terre, des passantes compatissantes et des passeuses de sens pluriels!
Vivez cette inoubliable expérience de passage entre les mondes possibles, quand les cibles sont mortes. Vivez cette reconnaissance insolite des âmes, la frivole humilité, l' attachement et le retour à la terre mère et à la mer qui fait naître. Palpez l’eau native, la narration de l'eau. Appréciez le bain dans les mots traqués, hachés, et jetés en poussière d’étoiles dans un ciel qu’il ne faut jamais arrêter de contempler. FOU !
En une phrase : " Ceux qui vivent d’amour, vivent d’éternité ! " Voici Encore un passage: mort il y a 100 ans, le 27 novembre 1916 à Saint-Amand, Emile Verhaeren ressuscite.
A VOIR EN CE MOMENT
Ouf de Laurence Vielle, jusqu'au 31 décembre 2016
OUF De Laurence Vielle
Avec Laurence Vielle (interprétation) et Catherine Graindorge (composition et interprétation musicale). Regard extérieur et conseillère artistique Patricia Ide.
DU 12/11/16 AU 31/12/16
Interview, l'artiste du mois:
Laurence Vielle, mot à mot, un souffle d’humanité
http://www.theatrelepublic.be/event_details.php?event_id=169&cat_id=1
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Heureusement, il y a les poètes pour faire le mur, pour survoler les frontières et abattre les cloisons. Depuis 2014, la Belgique a son poète national, élu pour deux ans. C’est Laurence Vielle qui a succédé en 2016 au néerlandophone Charles Ducal. Laurence Vielle écrit comme elle respire, c’est sa manière d’être au monde, un monde qu’elle ne cesse d’écrire et de dire. Elle aime les mots, elle s’en délecte, elle les ouvre pour en détecter les sens cachés, elle leur fait prendre l’air, les secoue pour les entendre résonner. Car elle aime les projeter dans l’espace aussi ; pour elle, les mots vivent, vibrent plus intensément lorsqu’ils deviennent matière sonore. Elle les mâche, les rabâche, les fait percuter contre les murs de nos cerveaux. Ouf est basé sur son dernier livre-cd paru aux éditions Maelström et qui vient de recevoir le prix de l’Académie Charles Cros. Laurence Vielle n’est pas seule sur le plateau. Comme souvent, elle fait appel à la musique ; " j’aime dire les mots avec la musique d’un autrui ", confie-t-elle. C’est l’excellente Catherine Graindorge, elle-même auteure et comédienne, qui lui apporte son alto, son violon et ses sonorités électriques, tour à tour sauvages ou planantes. Mais bien plus que d’un solo accompagné, il s’agit d’une trame tissée à deux, en totale complicité.
" Tu penses à quoi quand je dis le mot ‘eau’ "? C’est par cette question lancée aux spectateurs que Laurence Vielle ouvre son nouvel opus. Pluie, larmes, sueur, pont, liquide amiotique, … toute cette eau dehors et dedans, qui abreuve la planète et nous fait grandir, nous voilà plongés d’emblée dans son univers : l’émerveillement et le bonheur d’être au monde. Mais ce monde, notre rêveuse en sait la fragilité et les peurs qu’elle suscite. Pourquoi ces sacs en plastique qui font mourir les tortues marines ? Pourquoi ces économies sur la sécurité sociale alors que les budgets alloués à la sécurité/sûreté explosent ? Et qui sait si dans mille ans, un petit garçon ne viendra pas buter avec sa pelle contre un cimetière nucléaire ? Notre poétesse nationale s’aventure plus loin que jamais dans la performance poétique. Ici pas de récit linéaire mais un voyage buissonnier fait de petites histoires de tous les jours, jamais anodines, comme cette veste prêtée qu’on enfile, de souvenirs d’enfance réenchantés, de questions sans réponse, comme ces galets qu’on fait ricocher à la surface d’un lac et qui poursuivent leur chemin longtemps encore.
Enfin, Laurence Vielle, c’est aussi une présence unique sur scène. Forte et fragile, grave et légère, petite fille et femme, elle dessine les mots avec ses mains dans l’espace de cette salle intime, " ventre du théâtre ". Et on sort de là chamboulés, avec l’envie que ces moments de grâce restent inscrits dans nos mémoires et nous invitent à ne pas désespérer de ce monde de ouf. Dominique Mussche
Laurence Vielle, auteure et comédienne bruxelloise d’ascendance suisse, wallonne et flamande, est notre second Poète National. Elle endossera officiellement ce rôle le 27 janvier au cours d’une soirée bilingue à Passaporta, avec Charles Ducal, le premier Poète National, d’autres poètes et tous les partenaires du projet.
Laurence Vielle a sorti il y a quelques mois un nouveau recueil de poèmes, Ouf(accompagné d’un CD), qu’elle portera à la scène à la fin de l’année en compagnie de la violoniste Catherine Graindorge au Théâtre le Public. Elle revient d’une résidence à Amiens, donne des ateliers d’écriture dans le cadre de cours de français langue étrangère et livrera le 15 mars avec Geneviève Damas un Midi de la Poésie sur le thème des migrations. À cet agenda chargé s’ajoute désormais la mission de Poète National pour laquelle elle doit écrire six poèmes par an liés à la Belgique. « Mais dans ce rôle », dit-elle, « mon désir est de faire entendre aussi la poésie des autres ».
On vous connaît comme comédienne (Du Coq à Lasne, Sainte dans l’incendie), moins comme poète. Qu’est-ce qui est venu en premier chez vous, l’écriture ou le jeu ?
Laurence Vielle : L’écriture. J’ai le sentiment que depuis que je suis enfant, j’aime faire sonner la langue. Dès que j’ai appris à écrire des sons, je les ai mis en poèmes. J’ai toujours eu des carnets où j’écrivais et tout de suite j’ai aimé dire les mots. Mon écriture a toujours été liée à l’oralité. Ce que j’aime, que ce soit dans la poésie ou au théâtre, c’est dire les mots tout haut. Quand je fais du théâtre, j’aime les écritures avec une langue vertigineuse, comme Valère Novarina par exemple, ou Laurent Fréchuret dont j’ai joué Sainte dans l’incendie, un monologue comme un long poème très dense, avec une histoire mais en même temps une langue sidérale et sidérante. Au théâtre, je suis moins intéressée par le personnage que par la matière langagière.
Quelle place occupe la poésie dans vos activités ?
Vielle : Je ne distingue pas vraiment la poésie du reste. Une grosse partie de mon travail – cette année en tout cas, parce que chaque année est différente – c’est d’être en résidence dans des lieux. J’aime beaucoup être lâchée dans une ville et y récolter des récits de vie, de la matière auprès des gens. Ma mère m’a appris à faire de la dactylo quand j’avais 7 ans et donc je tape très vite. J’ai un petit ordinateur où je tape tout ce que les gens disent, les répétitions, les hésitations... On est tous porteurs d’une façon singulière de faire langage et j’aime traquer ça en plus de l’histoire particulière des gens : comment ça se dit, comment ça parle, comment ça hésite, comment ça boite.
Ce qui frappe dans votre écriture, ce sont les nombreuses répétitions. C’est comme un tourbillon...
Vielle : C’est vrai qu’il y a une espèce de côté incantatoire parfois. Ça participe de mon souffle et de ma façon d’être essoufflée en général. J’ai été un peu asthmatique, je respire mal depuis toujours. Il y a une histoire de souffle dans ma vie. Le souffle est quelque chose de fondateur dans tout ce qu’on est. Le vent, le souffle, c’est ce qui nous relie, c’est sans frontières. Tu respires, tu m’envoies du souffle, je reprends ton souffle, je le re-respire... C’est ce qui nous relie le plus intimement. Pour moi, la poésie a à voir avec un souffle. La poésie est peut-être le parent pauvre des arts, mais pour moi c’est un art fondamental, un art qui ré-enchante, qui ré-insuffle, qui remet en mouvement quelque chose de notre humanité, de notre monde. Le petit discours que j’ai écrit pour le 27 janvier parle du souffle. Je pars d’une phrase du poète belge Paul Nougé : « Les oiseaux s’envolent, le vent nous reste ». Une phrase simple que j’aime beaucoup.
Quels sont vos projets en tant que Poète National ?
Vielle : Faire entendre un peu ma poésie, mais surtout celle des autres. Continuer à faire entendre le fantastique travail poétique que Charles Ducal a réalisé ces deux dernières années. Le Poëziecentrum de Gand et la boutique-librairie maelstrÖm ont publié le Belgium Bordello, une grosse anthologie avec quinze poètes francophones et quinze poètes néerlandophones qui ont chacun plusieurs poèmes traduits dans l’autre langue. Cette grosse brique pourrait être celle d’une nouvelle fondation, un nouveau regard sur la Belgique. Un des projets est de développer un Belgium Bordello pour les enfants. On aimerait que tous les écoliers de Belgique entre 8 et 12 ans reçoivent un livret où il y aurait quelques auteurs francophones, quelques auteurs néerlandophones, quelques auteurs germanophones, peut-être d’autres langues aussi de notre Belgique, avec des poèmes chaque fois traduits dans les autres langues nationales. Ce serait comme un petit manuel pour apprendre d’autres langues et pour dire tout haut sa propre langue. Quand on parle de poésie, on pense à des livres, à quelque chose d’un peu vétuste, d’un peu mort. On voudrait montrer que la poésie est vivante. On voudrait de la poésie à faire entendre, à faire sonner, qui parle du monde dans lequel on vit. Au mois de mai, on va aussi élire deux jeunes poètes nationaux, entre 15 et 26 ans, un francophone et un néerlandophone. L’appel à poèmes est lancé, sur le thème de « la première fois » (info pour le concours : www.theatrepoeme.be).
Vous vous sentez « nationale » ?
Vielle : J’aime vraiment tous les paysages de mon pays, même si je me sens bruxelloise. Selon moi il y a une identité bruxelloise, comme il y a une identité flamande et une identité wallonne. Même si ça peut être dangereux de parler d’identité, ces identités existent malgré tout et moi je suis pour que ces identités s’enrichissent. Par rapport à cette Europe où tout se divise de plus en plus, si la Belgique pouvait montrer que ces différences peuvent cohabiter, si ce petit pays pouvait être un laboratoire du vivre ensemble... L’envie de tous les partenaires du projet Poète National, c’est de dire que les langues doivent re-circuler, qu’il faut aller à la rencontre de la langue de l’autre et créer des opportunités pour ça. Ce projet a vraiment été lancé dans l’idée de remettre du jeu sur l’idée de la frontière, de remettre une forme de fantaisie politique, un regard poétique et solidaire sur notre Belgique.
POÉSIE NATIONALE
27/1, 20.00, Passa Porta, www.passaporta.be, www.poetenational.be
La Libre:
Laurence Vielle est une auteur-poète-interprète aussi singulière qu’attachante. On se souvient de ses souvenirs familiaux si émouvants dans « Du Coq à Lasne ». Entre temps, depuis 2016, elle est notre « Poète nationale » écrivant des textes sur le pays.
Au théâtre Le Public, elle propose « Ouf », un solo au départ d’un recueil de ses poèmes, ou plutôt, un duo, car, en étroite symbiose avec elle, il y a la merveilleuse Catherine Graindorge qui crée pendant 1h20 tout un univers musical avec son violon, son alto et son électronique.
Laurence Vielle a une manière bien à elle d’être en scène : comme éberluée d’être là, fragile et forte, enfantine et profonde. Elle captive le public avec de petites histoires comme un enfant, comme Eve avant la pomme, mais des histoires faussement naïves qui s’avèrent bien plus graves qu’on ne le croit d’abord.
Sa poésie est faite de musicalité, d’onomatopées, d’humour, de réflexions, de petites scènes qui nous touchent plus ou moins fort. Elle veut repoétiser un monde qui en a bien besoin. La poésie ne sert à rien, c’est comme l’amour, sauf à vivre et à survivre.
Toctoc nucléaire
Dans « Ouf », elle s’étonne d’être là sur une Terre qui tourne à 30 kilomètres à la seconde autour du soleil. Elle est fascinée par l’eau qui est en nous, autour de nous. Et ce ciel qu’elle trouve toujours si beau. Mais elle a peur pour cette fragilité de la vie. Les tortues s’étouffent en mangeant nos sacs plastiques et dans un très beau texte, elle parle à son enfant dans mille ans qui fera toctoc avec sa pelle, ébréchant un mortel cimetière nucléaire oublié.
Elle rêve qu’on organise une journée « sans » : sans papier, sans frontières, sans barrières linguistiques et pourquoi pas, sans lendemains ni héritages pour mieux goûter le présent.
Quand elle parle sécurité, c’est pour dénoncer qu’on parle police et non plus de la sécurité sociale qui ne cesse de se déliter au nom des économies, privilégiant les tanks en rue au partage du bien-être pour tous.
Le duo Vielle-Graindorge (aidé à la mise en scène par Patricia Ide) marche ainsi sur un fil fragile comme de petits cris d’oiseaux annonçant l’aube promise. Laurence Vielle a toujours peur de tomber, de manquer d’air, que les portes claquent. Dans un fort poème, elle évoque tout ce qui passe, tout ce qu’on a passé depuis son enfance (ses diplômes, sa vie) et qui nous laisse « dépassé ». Et elle réclame le « ouf », le j’ét-ouf, de la femme fatiguée. Et pour le crier elle scande les mots et les fait chanter.
« Ouf » de Laurence Vielle au Théâtre Le Public, à Bruxelles, jusqu’au 31 décembre.