Aphrodite Niképhoros de la villa de Thésée,
Nea Paphos, marbre, 2e/3e s. av. J.-C.
(musée de Chypre, Nicosie)
Et là sur cette plage d’Achni qui vit émerger Aphrodite, au Rocher du Grec, les Achéens s’en revinrent de Troie et débarquèrent. La boucle était bouclée.
Ou presque… Permettez encore que je file la métaphore tant la légende est belle.
(marbre du 1er siècle découvert à Soli, musée de Chypre, Nicosie)
Aphrodite la dorée, qui fait naitre l’amour
Et met en émoi la création entière.
Dorée comme un Titien, une certaine morgue aux lèvres.
Son galbe est parfait, mais ne lui dites pas qu’elle est la plus belle hellène, irascible, elle pourrait se méprendre et vous poursuivre de sa vindicte.
A Chypre toujours, un jeune sculpteur pétri de talent, Pygmalion, se prit à créer une statue qu’il voulut divine. Chaque jour il passait et repassait son ciseau jusqu’à atteindre la forme suprême de l’art, l’art vivant qui fait oublier le geste, qui fait oublier le reste. Tant et si bien qu’il s’éprit de sa création, d’un amour sans retour.
Aphrodite s’en émut. Et la statue ne demeura pas de marbre, ou d’ivoire, ni sans défense.
« De son sein il approche une amoureuse main… Pygmalion sent des veines tressaillir… Alors, transporté d’allégresse, il rend grâces » à la déesse*1.
Il appelle l’œuvre de chair Galatée, qu’il étreint aussitôt.
N’y voyant pas offense,
« La vierge sent ses baisers et rougit, elle ouvre à la lumière un œil craintif, et voit à la fois le ciel et son amant. »
Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson (1767-1824)
« Elle rougit parfois, parfois baisse la vue ;
Rougit, autant que peut rougir une statue. »,
La Fontaine
(musée du Louvre, Paris)
Là, la voyez-vous frémir ?
Mais je dois à la décence ne pas en dire plus.
Toutefois « quand la lune eut vu neuf fois son croissant se remplir, Paphos naquit », qui donna son nom à la cité qui chaque année célèbre Aphrodite.
Cypris est d’ailleurs le nom souvent donné à Aphrodite par les Cypriotes.
A Chypre où, comme à Rhodes ou Cythère (Cythérée), elle comptait ses plus fervents adeptes.
Cypris voyant Cypris à Cnide s’écria
Hélas, hélas ! Où Praxitèle m’a-t-il vue nue ?
Epigramme de l’Anthologie grecque
Consacrés à Aphrodite, les poissons rouges (le cyprin doré) étaient élevés en son honneur à Athènes. Quant aux disciples d’Hippocrate, drôles de carabins, ils ont donné à une sécrétion, manifestation du désir sexuel, le nom de cyprine. J’en rougis comme cuivre, mais tout de même, tout ce que l’on apprend sans jamais oser le demander*2 ! Comme aurait dit Freud, je prends sur moi, « Ҫa laisse sans bras ! »
Cyprin doré dans un bassin du musée archéologique de Rhodes
Collection Borghèse
(marbre, IIe siècle, complétée au XVIe ; musée du Louvre, Paris)
Ah, elle en fit tomber des chefs notre Aphrodite Niképhoros, « porteuse de victoires », la Vénus Victrix des Romains ! Car même si d’Arès (Mars) elle accoucha d’Harmonie, je crois que jusqu’à Vercingétorix on en paya le prix, que toujours, n’en déplaise à Brennus, Vénus commande aux choses de la chair que malignement elle mêle à l’esprit.
Découverte en 1651 à Arles, copie romaine d’après Praxitèle,
restaurée par Girardon.
Elle tient la pomme de Pâris, tout en réfléchissant face à sa psyché.
L’entendez-vous fredonner cette lointaine mélopée :
« Au-delà des mers, là-bas sous le ciel clair… mon pays et Pâris
… pour eux toujours mon cœur est ravi… »
(musée du Louvre, Paris)
Jules César lui-même, par l’entremise de sa tante Julia, qui eût Anchise comme aïeul, se prétendit parent d’Aphrodite.
Aphrodite, en effet, d’Anchise, jeune et beau berger apparenté à la famille royale de Troie, enfanta Enée*3. Enée, fuyant Troie saccagée par les Grecs, revenu des Enfers, finit par s’installer dans le Latium, devenant l’ancêtre de Romulus et Remus, fondateurs de Rome. Enée, dont descendent les Julii, la gens Julia. C’est ainsi que se bâtissent les empires. Et qu’Aphrodite est au fondement de notre civilisation.
La Mère de l’eau (Vandmoderen)
Kai Nielsen (1882-1924)
(Copenhague, glyptothèque Carlsberg)
Quelle lignée tout de même que celle de notre Vénus Genetrix !
Une mère figurée dans un drapé moulant et suggestif. Tentatrice, elle nous apostrophe.
M’imagine-t-on en nourrice ? au gynécée…
En effet on ne la voit guère au foyer, vaquant aux tâches ménagères, la marmaille sur les bras. Portant un enfant, c’est pourtant ainsi que se présente l’Aphrodite courotrophe.
Rare et sage image d’une déesse-mère, car ce n’était pas l’instinct maternel qui prédominait chez elle, trop mariolle pour s’encombrer d’une progéniture certes pléthorique. Famille nombreuse, famille heureuse, peut-être, mais seul son petit Eros préféré savait lui procurer toute la félicité.
Bien plus que deux amours, elle avait cependant deux vertus. Celle que l’on prêtait à Aphrodite Apostrophia de faire oublier les amours contrariés. De changer les cœurs et de vous purifier, un don d’Aphrodite Verticordia que l’on invoquait.
« Dis à ta déesse qui tu veux que sa force plie à ton amour. »,
Sappho (ca 630-580 av. J.-C.)
Copie romaine d’après un bronze de Callimaque.
Callimaque était surnommé le catatexitechnos, le « trop minutieux ».
Mais comment lui reprocher, et ne pas frémir devant ce drapé « mouillé », être tenté par cette pomme à croquer ?
(marbre de Paros ; musée du Louvre, Paris)
Nous suivrons encore la versatile, les poètes ne me contrediront pas, la matière est fertile.
avec Eros monté sur un dauphin.
(copie romaine d’après Praxitèle ; marbre ; musée du Louvre, Paris)
Et nous accompagnerons encore, par parenthèses, sa parentèle.
« Celui qui est touché par l’Amour ne marche jamais dans l’ombre. »,
Platon (ca - 427/- 348)
Attention toutefois au fripon Cupidon car « son jeu est cruel.
Son cœur est méchant mais sa langue est de miel.
Ne touche pas aux traîtres dons du plus beau des dieux immortels.
Son trait est petit, mais il atteint le ciel. »
(IIe s. ap. J.-C., marbre, musée du Louvre, Paris)
Torse d’Aphrodite du type de la Vénus d’Arles
(Ecole de Praxitèle ; musée archéologique de Rhodes)
A suivre…
En attendant, vous aimerez peut-être retrouver ici la première partie de ce billet :
Michel Lansardière (texte et photos)
*1 Que le poète latin Ovide, à qui l’on doit ces citations, nomme bien sûr Vénus.
*2 Cyprine… En conchyliologie, c’est aussi le nom donné à un coquillage, du genre vénus évidemment ; en minéralogie à une variété cuprifère de vésuvianite (ou idocrase) utilisée comme pierre fine. Quant aux « cheveux de Vénus », ce sont des cristaux aciculaires de dioxyde de titane, une forme de rutile donc, que l’on trouve en inclusions dans le quartz. Cette dernière appellation est aussi donnée, en botanique, à la nigelle de Damas.Sabot de Vénus étant une petite orchidée poussant dans nos Alpes.
*3 Curieuse analogie, Enée, Æneas en latin, signifiant de cuivre (ou d’airain, bronze). Chypre tient également son nom du cuivre natif, cyprium, dont elle détenait de fabuleux gisements, que l’on trouve mentionnés dans des inscriptions mésopotamiennes du IIe millénaire évoquant le cuivre d’Alasia (aujourd’hui Enkomi, ou Tuzla pour les Turcs). Par contre, pas de marbre à Paphos comme sur le reste de l’île, il venait donc de Paros. Et Cypris est un autre nom d’Aphrodite, j’y reviendrai…
Commentaires
Un commentaire qui fait vraiment plaisir et pousse à aller plus loin dans mes investigations.
Merci Sonia.
Les billets où vous distillez "avec brio" pages après pages l'histoire de la belle Aphrodite font rêver. On ne peut qu'être admiratif du travail fourni, c'est un véritable plaisir à voir et à lire. Merci !
Bien amicalement. Sonia.G
Voila qui est réconfortant,merci Jacqueline.
Elles sont si belles! Que du bonheur ces billets. M E R C I !
Il est aussi très plaisant de recevoir de tels encouragement. Merci Jean-François.
C est un plaisir que de lire vos billets , Aphrodite continue à nous faire rêver Merci
Merci Sandra d'être passée par ici et d'avoir apprécié ce billet.
Merci Nada et Michel M. pour votre soutien.
Merci beaucoup Abdelkader pour cette fidélité à mes billets.
Amitiés.
Merci infiniment de me suivre avec patience et attention. Je me suis lancé dans une sacrée aventure en emboîtant le pas d'Aphrodite, ai bien failli me perdre en chemin, mais je crois avoir clos cette très longue série. Je vais déjà mette à jour le numéro 3 et la suite viendra.