« J’ai écrit une opérette, une chose comique, car je pense que le rire,
même dans les situations les plus tragiques, est un élément revivifiant.» (G.TILLION)
Germaine Tillion* est une jeune ethnologue spécialiste de l'Algérie lorsque débute la Seconde Guerre mondiale. 12 octobre 1940, le Ghetto de Varsovie voit le jour et les ténèbres s'abattent. Après la capitulation de 1940, elle refuse la politique du régime de Vichy, elle qui a vu monter l'idéologie nazie alors qu'elle se trouvait en Allemagne en janvier 1933. Elle cherche immédiatement à agir, organise des évasions de prisonniers et des distributions de tracts qui dénoncent Vichy, avec l'aide de sa mère. Elle se lie avec de nombreux groupes de résistants, et le réseau du Musée de l'Homme. Elle est arrêtée le vendredi 13 août 1942, alors qu'elle organisait l'évasion d'un camarade et un transfert de microfilms. Ignorant que sa mère a été arrêtée elle aussi, elle est déportée à Ravensbrück en 1943 sous le statut Nacht und Nebel. Au camp, elle entreprend d'étudier le fonctionnement concentrationnaire avec l'aide d'autres détenues, et leur présente ses analyses sur ce système criminel et économique, convaincue que sa compréhension les aidera toutes à y survivre. Elle rapportera qu'elle a survécu alors grâce à ses « sœurs de résistance » et à la « coalition de l'amitié ». C’est cachée dans une caisse pendant plusieurs jours au cours de l'hiver 1944-1945, qu’elle écrivit son livret "Le Verfügbar aux Enfers", avec l'aide de ses complices qui lui fournissaient papier, crayon et leurs propres souvenirs pour les airs des chansons. Elle mêle à des textes relatant avec humour les dures conditions de détention, des airs tirés du répertoire lyrique ou populaire.
Le rire, technique de survie communautaire
Un levain de survie, le miracle de l’humanité
« Faire rire, rire de soi et transmettre l'information, trois actes de résistance en situation extrême : telle est la performance de Germaine Tillion » lit-on dans la préface de l’œuvre aujourd’hui conservée au musée de Besançon. Dans son combat humaniste, Germaine Tillion s’emploie dans l’écriture clandestine à exposer la logique concentrationnaire et à l’objectiver, ce qui donne des clés pour y résister. La prisonnière politique étiquetée NN « classe, distingue les catégories de détenues, leurs statuts, leurs nationalités, leurs appartenances sociales. Elle note les proportions, remarque les différents taux de survie et cherche des explications. » Face à l’horreur, à l’oppression, à l’anéantissement, se moquer de soi est une ultime affirmation de soi. Par dérision, Germaine Tillion utilise une forme ô combien irrévérencieuse pour traiter d’un sujet aussi grave. Son opérette-revue pastiche l'Orphée aux Enfers d'Offenbach. La parodie fourmille de souvenirs littéraires ou musicaux, question de maintenir la dignité humaine par le jeu du texte et l’évocation de musiques évanouies.
Ainsi, elle met en scène un savant d’opérette, spécialiste en histoire naturelle, qui fait semblant de décrire une nouvelle espèce biologique: le Verfügbar, organisme étrange dont la vie d’avant constitue la phase embryonnaire, éclot à son arrivée dans le camps nazi de la mort, et ne peut espérer qu’une longévité fort réduite, de plus ou moins trois ans selon les cas. Son mode de vie est décrit sous forme de sketchs émouvants et burlesques. On pourrait se demander s’il fait partie des vers luisants, puisqu’il éclaire tant dans la nuit et le brouillard? Pourtant, son humour est très noir : « Et quand le train s'est arrêté, On ne m'a pas demandé mon billet ..., Mais malgré le plaisir de la nouveauté, J'aurais bien voulu m’en aller ... » Il est le miroir dans lequel se reflètent les innommables souffrances des détenues…
« Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent »
«Nuit et Brouillard» par Jean Ferrat
La performance de la compagnie des Souffleuses de chaos est extrêmement fidèle au texte et aux annotations musicales de Germaine Tillion, dont parents étaient de grands mélomanes. Elle ressuscite des chansons populaires, des airs d’opéra comme substrat musical, un humus d’émotions confisquées par l’environnement concentrationnaire. Le quatuor aguerri - Alizée GAYE, Marion NGUYEN THÉ, Marie SIMONET & Tiphaine VAN DER HAEGEN – a mis deux ans de recherche approfondie, d’affinement et de modulation sous la direction de Marion Pillé. On se trouve aujourd’hui devant une œuvre vivante, digne et esthétique. Sur scène, on assiste à une explosion de sensibilités féminines qui partagent avec ferveur un crescendo de douleur mais aussi d’espoir. Paradoxalement, on finit par concevoir que ressentir la douleur prouve que l’on est d’ailleurs encore vivant!
Le contraste est fort troublant entre les maquillages de geishas, les coiffures sophistiquées, les superbes robes froufroutantes de taffetas noir qui mettent en valeur bras nus et jambes gracieuses et ...les poignantes marionnettes efflanquées en pyjama rayé qui miment la détresse des françaises rebelles. Il y a tant de vie et d’humanité dans la manipulation vivante de ces poupées de chiffons! Comme si chaque comédienne se penchait avec immense compassion sur chaque prisonnière, à la manière d’une fée salvatrice et lui donnait une force expressive mystérieuse. Il y a tant d’intensité dans le jeu des comédiennes lorsqu’elles se lâchent dans leurs danses à la vie! Il y a tant de vérité à l’abri du rire dans le texte! Il y a tant de mots qui finissent par désarmer le Mal… Les voix des choristes sont fraîches, vibrantes et tendres mais stridulent aussi, de manière lugubre, dans la nuit avec de lumineux relents de chœurs antiques. Les chorégraphies crépitent d’énergie vitale, les corps sont en perte d'équilibre, s'effondrent, les visages se tournent vers le ciel absent. ...Serons-nous les aveugles de Breughel? Les effets chorégraphiques bouleversants sont portés et démultipliés par la musique nuancée du pianiste qui joue dans l’ombre. L’esthétique du texte souterrain donne la main à la dramaturgie des jouvencelles d'aujourd’hui et allume dans le cœur et l’esprit, le rejet incontournable et définitif de la barbarie.
La résistante Germaine Tillion, morte à l’âge de 100 ans en 2008 est entrée au Panthéon en 2015. Elle a eu l'occasion de voir son œuvre jouée au Théâtre de Chaillot, à Paris en 2007. Chaque représentation à la Comédie Claude Volter sera suivie utilement d’un débat qui abordera chaque fois, différents sujets liés à la Shoah.
Une production des Les Souffleuses de Chaos
Assistanat à la mise en scène : Noémi KNECHT / Musique : Simon BESÈME
Lumière : Clément BONNIN / Scénographie & costumes : Élisabeth BOSQUET
Marionnettes : Sylvie LESOU, Benjamin RAMON &Marie SIMONET
Maquillages : Daphné DURIEUX
Coach voix : Hughes MARÉCHAL
Coach marionnettes : Patrick RABIER
Coach corps : Hélène FERRACCI
du Mercredi 11 au Samedi 28 octobre 2017
LE VERFÜGBAR AUX ENFERS – UNE OPÉRETTE À RAVENSBRÜCK
de
Commentaires
Programme de la journée du 26 janvier 2018
« La musique sous le régime nazi : dans les camps, au conservatoire, art dégénéré, subversif ou au
service du régime ? »
08 :30 : accueil
08 :45 : introduction Frédéric Delcor, secrétaire général
Yves Monin, chargé de mission de la cellule Démocratie ou barbarie
09 :15 : « La musique dégénérée et la musique dans les camps » par Elodie Haas, violoniste et
directrice artistique de l’Ensemble K
10 :00 : "Musique et propagande dans l'Europe de Hitler : l'exemple de Mozart" par Cécile Quesney,
chargée de recherches (FNRS) à l'Université libre de Bruxelles
10 :45 : Questions-réponses
11 :00 : Pause
11 :15 : "La vie musicale dans le ghetto de Terezín : une introduction" par Stéphane Dado, chargé de
mission, développement et médias de OPRL – Alumni ULiège
13 : 00 : Questions-réponses
13 :15 Lunch
14 :00 : « La vie au Conservatoire royal de Bruxelles entre 1940 et 1945 » par Olivia Wahnon de
Oliveira, bibliothécaire - Conservatoire royal de Bruxelles
14 :40 : « La symphonie écrite par Daniël Sternefeld pendant sa captivité à la Caserne Dossin à
Malines » par Mark Delaere, professeur en Musicologie, University of Leuven
15 :10 : « Le Verfügbar aux enfers » opérette de Germaine Tillion, projet accepté par la FWB dans le
cadre du décret 13 mars 2009 par Noémi Knecht, membre de la compagnie « Les souffleuses de
chaos »
15 :40 : Concert en duo par l’Ensemble K. Elodie Haas, violon ; Thérèse Bussière-Meyer, violoncelle
Lieu : CBBD, centre belge de la bande dessinée, rue des Sables 20, 1000 Bruxelles
Inscriptions sur dob@cfwb.be en mentionnant nom, prénom, fonction et, si vous êtes enseignant, le
nom de l’établissement et la matière enseignée.
26/01/18 Aujourd'hui à partir de 8h30 au Centre Belge de la Bande Dessinée
Dans le cadre du 27 janvier, journée de commémoration des victimes de la Shoah, la Cellule Démocratie ou Barbarie (FWB) organise une journée d'étude sur le thème :
" La musique sous le régime nazi : dans les camps, au conservatoire, art dégénéré, subversif ou au service du régime ? "
à 15h10 : Marion Pillé présentera le travail de la compagnie Les Souffleuses de Chaos sur Le Verfügbar aux Enfers - une Opérette à Ravensbrück de Germaine Tillion.
Ils se traînent maintenant en loques,
Pieds nus sur les chemins muets
Les frères d'Israël, de Pissarro et de Modigliani
Nos frères. Tirés à la longe
Par les fils de Dürer, de Cranach et d'Holbein
Vers la mort dans les fours.
Comment verser des larmes
Quand depuis longtemps, mes yeux
Ont été déséchés par le sel ?
Comment pleurer
Quand j'ai entendu jour après jour
Arracher la dernière planche du toit ?
Epuisé, pour le moment je combats
Pour le morceau de terre où je suis resté
Debout
Et où ils m'étendront ensuite...
Marc Chagall
Aujourd'hui, c'est la dernière aux Riches-Claires (prix unique) à 20h30 http://souffleusesdechaos.e-monsite.com/agenda/
https://rcf.fr/culture/livres/le-verfuegbar-en-enfer-operette-de-ge... Pour écouter l'Interview
Un anniversaire aujourd'hui! Hommage à
Geneviève Anthonioz-de Gaulle
25 octobre 1920 à Saint-Jean-de-Valeriscle (Gard) - 15 février 2002 à Paris
Geneviève Anthonioz-de Gaulle (25 octobre 1920 - 15 février 2002)Fille de Xavier de Gaulle, frère aîné du général de Gaulle, Geneviève de Gaulle arrive à Paris au début de l'Occupation allemande. Inscrite à la Sorbonne, elle entre dès 1941 dans le réseau de résistance du Musée de l'Homme avec notamment Germaine Tillion.
Elle distribue des tracts et fait des missions de renseignement jusqu'à son arrestation le 20 juillet 1943. Transférée au camp de Ravensbrück, elle frôle la mort avant d'être enfermée à part sur ordre de Himmler, lequel envisage de s'en servir comme monnaie d'échange.
Après la Libération, elle se marie avec le résistant Bernard Anthonioz. Elle préside dès lors l'Association des déportées et internées de la Résistance aux côtés de Marie-Claude Vaillant-Couturier.
Le père Joseph Wresinski lui fait découvrir la misère des bidonvilles. Bouleversée, elle participe à ses côtés à l'association ATD-Quart Monde (Aide à Toute Détresse), qu'elle présidera de 1964 à 1998.
Par le rire et sans concession, cette 'opérette' satirique écrite à Ravensbruck décrit la vie des déportées. Des mots forts qui résonnent au fond du coeur. Pour transmettre cette Résistance, quatre lumineuses comédiennes chantent et dansent pour défier la mort, la barbarie, l’innommable … Entre théâtre, musique et marionnettes, ce spectacle hors normes use de poésie et de légèreté pour opposer l’horreur à l’incroyable énergie de vie : L’humour comme ultime rempart…
Avec : Alizée GAYE, Marion NGUYEN THÉ, Marie SIMONET & Tiphaine VAN DER HAEGEN
Mise en scène : Marion PILLÉ
Une production Les Souffleuses de Chaos
Assistanat à la mise en scène : Noémi KNECHT / Musique : Simon BESÈME / Lumière : Clément BONNIN / Scénographie & costumes : Élisabeth BOSQUET / Marionnettes : Sylvie LESOU, Benjamin RAMON & Marie SIMONET / Maquillages : Daphné DURIEUX / Coach voix : Hughes MARÉCHAL
Coach marionnettes : Patrick RABIER / Coach corps : Hélène FERRACCI
Le thème de la pièce est intense (...), le spectacle se termine par un échange avec l'équipe. Certains soirs, des intervants extérieurs sont invités, dont : Stéphane DADO, Philippe PLUMET, Yves MONIN, Daniel WEYSSOW, Sophie Milquet, Cécile QUESNEY, Sylvie LESOU, ...
Jusqu'au samedi 28 octobre : du Mardi au Samedi à 20h15, le dimanche à 16h
Infos & Réservations
Comédie Claude Volter
Av des Frères Legrain 98
1150 Bruxelles
Tel: 02/762.09.63
https://lesrichesclaires.be/evenement/le-verfugbar-aux-enfers-une-o...
le 30/10/17
SALLE VIALA
20h30
Lundi-Théâtre | 30/10/17 à 20h30
GARDEZ PAS ÇA POUR VOUS!