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Une maison de fous

 

J’étais allé rendre visite au pensionnaire d’un home pour vieillards. 

Le hall d’entrée avait une table en son milieu entourée de sièges, chaises et fauteuils, que de mêmes pensionnaires  occupaient habituellement. Mais lorsque l’un d’eux mourrait un lent mouvement de rotation permettait à l’occupant d’une chaise d’occuper un fauteuil.

Les pensionnaires étaient des vieillards. Certains, handicapés, se servaient d’une canne ou d’une chaise roulante. Certains avaient le regard brouillé de ceux qui étaient en train de perdre la tête, voire l’avaient perdue définitivement. A quoi peut-on juger de la différence ? 

La semaine précédente ma nièce, étudiante en philosophie, m’avait interrogé au sujet de la normalité.

J’étais resté muet, je ne voulais pas sortir les fadaises habituelles. 

En revanche une idée commença à se développer dans mon cerveau, celle de montrer des personnages sains d’esprit mêlés à des pensionnaires qui ne l’étaient pas, et de dépeindre leurs relations. Le sujet avait déjà donné lieu à des films et à des pièces de théâtre, il me fallait un thème original et une chute. De quoi tenir le spectateur en haleine jusqu’à ce que tombe le rideau.

Le décor je le voyais déjà : la salle d’accueil, cette salle commune à tous les pensionnaires et à leurs visiteurs. Au fond une grande baie vitrée et derrière elle une autre salle qu’on devinait pleine de personnages dont on ne distinguait que la silhouette. Devant, attendant d’y accéder : les vivants. Derrière : les ombres. J’ai toujours été obsédé par la mort.       

Mais l’action ? Dans un livre le personnage peut parler sans que rien, semble-t-il, ne se passe. Mais à une pièce de théâtre il faut une action. Au plus tôt. Avant que ne se dissolve l’attention de spectateurs qui ne se connaissent pas, et qu’une envie commune a réunit pour un soir.

Depuis le Cantique des Cantiques, il n’y a qu’une action que le théâtre répète pièce après pièce, siècle après siècle, et qui ne lasse jamais. C’est l’amour. Le sexe pour dire la vérité, cette vérité qui dérange les gens « bien ». Le sexe et la mort. C’est quoi d’autre la passion ? Dès que la mort s’y mêle, une simple partie de jambes en l’air devient une tragédie.

Un homme « normal » qui devient fou par amour, c’est banal. Les chroniques judiciaires sont remplies de ce qui n’est qu’un fait divers. Mais s’il devenait amoureux d’une folle ? Une vraie folle, une femme qui aurait effectivement perdu la raison ?

Et lui dans ce cas, est-ce qu’il perd la raison ? Pour de vrai ? Il ne s’agit pas d’une métaphore. Au point qu’il faille le faire soigner dans ce qu’on appelle une maison de fous ?

J’avais trouvé le moteur de l’action de ma pièce mais ce sont les personnages de la maison de vieillards qui ne convenaient plus. Il me fallait des personnages jeunes et séduisants. Montrer une scène d’amour entre deux vieillards, si je ne voulais pas de scènes à l’eau de rose,  risquait d’être obscène.

Il y avait à la périphérie de la ville une clinique dont je ne me souviens plus du nom, clinique Sans Souci ou clinique du Bon Secours, dont je connaissais un des psychiatres que je consultais régulièrement lorsque j’étais sujet à un accès de dépression. Il me fournirait sans le savoir une matière première dont je me servirais pour élaborer mes personnages.

J’ai toujours été obsédé par la mort et par la folie. Qu’attendre d’autre d’un comédien dont la vocation et la nature sont de s’exhiber? Comme ces cinglés qui ouvrent leur manteau aux yeux des autres? Non, bien sûr ! Mais c’est une sorte de folie aussi destructrice que de vouloir montrer que l’on n’est pas comme tout le monde en même temps qu’on est disposé à être n’importe qui.

Le docteur Delacour s’efforçait de m’interroger alors que c’est moi qui lui posais les questions.

- Très intéressant.

- Et vous-même, docteur ? A force de vivre avec eux, je suis certain que vous vous posez parfois la question de savoir où se situe la vie réelle. Et qui est quoi ?

Je le savais désormais : c’est ici que l’intrigue se nouerait. Avec la mort au bout ? Je l’ignorais, ce sont les personnages qui prendraient la décision. Je n’étais que le notaire qui relaterait les faits. Mais je n’oublierais pas que le spectateur aime la mort.

J’avais accepté la proposition du docteur Delacour qui avait anticipé ma requête. Je passerais quelques jours à Sans Souci sans que personne ne sache que je n’étais pas un pensionnaire. Il m’avait offert une chambre au fond du couloir destiné aux malades légers. Les plus atteints, je  traduisais : les fous véritables, étaient dirigés vers le troisième étage.

C’était en sortant de ma chambre que j’avais rencontré Léna. Elle était superbe. Indéniablement elle était le personnage clé de la pièce, celle autour de laquelle se développerait l’action. Rien de ce qui avait une signification dramatique n’existerait sans elle, le spectateur le plus distrait le comprendrait dès qu’elle  apparaîtrait. Superbe comme la femme qui a du apparaître au premier homme. A ce degré d’attirance, il n’était plus besoin d’une autre divinité pour que l’homme le plus imbu de lui-même ne s’agenouille.

Son animalité n’avait rien de vulgaire. C’était l’appel des premiers âges. Elle l’avait compris. Elle s’était approchée de moi, je lui avais pris la main, et nous sommes entrés dans ma chambre. Elle avait ôté son peignoir, elle s’était étendue sur le lit et elle m’avait tendu les bras en geignant dès que je me suis étendu sur elle.

Nos ancêtres, comme elle, devaient être sans inhibition. Ils savaient ce que les uns et les autres attendaient de leur partenaire. Nous n’avons pas échangé la moindre parole. C’était elle autant que moi qui  participait  à ce que en d’autres circonstances j’aurais appelé nos délires.

Trois jours durant nous nous sommes retrouvés. Elle rodait auprès de ma chambre. Je reconnaissais son pas et j’entrouvrais la porte.

Je n’avais plus besoin de prendre des notes. Jamais une pièce ne m’était apparue aussi clairement.

- Votre séjour vous est utile ?

Le docteur Delacour et moi nous discutions de la pluie et du beau temps. Je ne lui avais rien dit de Léna. Qu’aurais-je pu lui dire ? Un homme sain d’esprit faisait l’amour avec une folle. Indubitablement folle quelles que soient les considérations pseudo-scientifiques dont on aurait entouré cet aveu.

C’était une expérience que peu de créateurs étaient en mesure de connaitre. Je reconnais que j’y avais pris du plaisir. Comme jamais.

Durant la journée je déambulais dans les couloirs curieux du comportement des pensionnaires. J’étais heureux quand un infirmier me priait de me rendre à tel ou tel endroit. C’était la preuve que je jouais bien mon rôle de malade et qu’il n’y avait pas de différence sensible entre ceux que je côtoyais en ville et les autres que je croisais ici.   

Léna n’était plus venue depuis trois jours. Le premier jour je l’avais regrettée mais j’avais haussé les épaules. Ce n’était qu’une folle, un peu hystérique, un peu nymphomane. Elle faisait bien l’amour mais à mes yeux elle n’était que l’ébauche d’un personnage de théâtre que de nombreuses comédiennes étaient capables de représenter pourvu qu’on les dotât du matériel créateur.

Les deux jours suivants elle m’avait réellement manqué. Physiquement manqué. Je m’étais tourné et retourné dans mon lit en respirant fort. J’avais décidé d’aller la chercher.

Un matin que je marchais sans bruit dans le couloir qui menait vers sa chambre, j’ai entendu ce que j’ai reconnu être une sorte de feulement. Son cri de victoire au bout de l’orgasme. Peu après j’ai vu sortir de sa chambre un des pensionnaires. Il souriait. Moi je suis retourné dans la mienne.

Pour connaitre la psychologie des personnages je prenais mes repas avec les autres pensionnaires. Lorsque Léna est arrivée, je l’ai retenue  avant qu’elle n’entre dans la salle à manger.

- Je t’attendrai tout à l’heure. Tu as compris ?

- Maintenant ?

Si nous avions été seuls, je crois que j’aurais dit :

- Maintenant.

L’après midi, parce qu’elle n’est pas venue, j’ai tenté de me rassurer. Qu’est-ce que je croyais ? Qu’elle n’était pas folle ? Qu’il avait suffi que  je dise : je t’attendrai pour qu’elle accoure comme un petit chien ?

Qu’importait que Léna soit folle. Elle au moins n’avait qu’une seule raison de vivre. L’apaisement du plus exigeant de ses sens : l’exaltation de son corps avant qu’il ne se taise un jour à jamais.  

J’aurais du le prévoir. C’est moi qui irais la retrouver.

Devant sa chambre, je suis resté immobile. J’entendais ces gémissements que depuis quelques jours je connaissais bien. C’était ceux que j’entendais souvent durant la nuit. Ils étaient ma joie et ma torture.

Après qu’un homme soit sorti de sa chambre, je suis entré. Elle m’attendait. Je crois que c’est à ce moment là que je me suis mis à la haïr.

Le lendemain, une rumeur avait envahi tout l’établissement. Une des infirmières qui s’occupait du couloir des femmes avait trouvé Léna étendue sur son lit, les jambes écartées, la tête rejetée en arrière. Elle avait été étranglée.

Parce que j’étais debout devant la porte, j’étais le seul témoin, on-t-ils dit. Le témoin de quoi ?

Le docteur Delacour a voulu recueillir mon avis. Je m’étais assis en face lui.

- Je vous le dis, docteur. Je suis certain que c’est ainsi que les choses se sont passées. C’était à prévoir. Léna, cela se voyait à l’œil nu, était ce que vous appelez une hypersexuelle, non ?  Je suis sûr qu’elle se donnait à n’importe qui. A n’importe qui. L’un de ces n’importe qui ne l’a plus supporté.

J’avais élevé la voix pour mieux le convaincre.

Il a opiné de la tête et il m’a demandé de l’aider à découvrir le fou qui l’avait étranglée. Sans doute un des pensionnaires dangereux du troisième étage. C’est là qu’il m’a fait aménager une chambre afin de faciliter la mission qu’il m’avait confiée.

J’étais heureux. Une fois encore, je serais le créateur. Dieu, s’il avait quelque chose d’humain, et n’a-t-il pas créé l’homme à son image, avait du ressentir cette houle à la hauteur de la poitrine lorsque il a créé le cadre où naitrait le premier homme.   

 

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Commentaires

  • Brr. Un peu de nouvelle policière dans toute cette histoire.

    Mais votre intrusion dans le domaine des maisons de repos se révèle une fois de plus terriblement bien observée, très d'actualité. Avec votre facilité d'écriture en plus, dès que l'on commence, impossible de ne pas continuer.

    Et quel bon sujet très peu repris dans la littérature actuelle, avec, en cadeau, cette idée géniale d'en faire une pièce de théâtre. ....

    Seulement voilà, je vois mal comment mettre tout cela en scène ??? L'un de mes amis s'est gratté la tête car,dans l'une de ses pièces de théâtre, il devait représenter une tentative de viol !! Plus, l'exposition d'une pure jeune fille livrée nue en pâture à la vindicte de tout un village, car on la soupçonnait d'avoir trompé son fiancé.

    L'orme s'est mis à refleurir en lui faisant une couronne alors qu'elle se mourait de honte. A la stupéfaction des villageois, des badauds et des occupants anglais. A l'époque du "Prince Noir" et de l'occupation anglaise en Aquitaine.... Le nom de la pièce, basé sur un fait réel ? une légende ? "L'orme de l'innocence".

    Finalement, il ne s'en est pas mal tiré du tout. J'ai adoré la première représentation donnée dans un vieux cinéma de village.

    J'ai toujours adoré le théâtre amateur, fort couru dans mon village pendant la guerre. Avec des moyens de bord, on arrivait à faire ce qui, à mes yeux, constituait des merveilles.

    Bonne soirée et merci de nous régaler ainsi.

     

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