UN AMOUR QUI NE FINIT PAS. Comédie d'André Roussin (1911-1987) Du 3 au 22 mars 2018
Par la Comédie de Bruxelles
Avec Laure Godisiabois, Christel Pedrinelli, Pierre Pigeolet, Daniel Hanssens. Mise en scène : Daniel Hanssens
C’était les années 60-70 ! « Au théâtre ce soir », qui se souvient ? La dynamique, ravissante et élégante Juliette reçoit des lettres d’amour flamboyantes et savoureuses d’un quidam rencontré lors d’une cure à Divonne-les-Bains. Bien sûr, Roger, son mari grille de jalousie devant le charme désuet et romantique des propos fleuris qu’il a découverts ! Pour protéger l’honneur de sa femme, il s’en ira porter lui-même le paquet litigieux à son expéditeur dès qu’on aura élucidé l’adresse. Pierre Pigeolet pousse le rôle sanguin jusqu’au burlesque.
Jean est le mari coupable qui est allé innocemment en cure et a rencontré …une jeune-fille ? Sa mère ? Une femme ? Un rêve, qui lui a fait passer 12 jours délicieux, loin de sa femme Germaine une dame de fer plutôt castratrice qui est passée maître des interrogatoires serrés et infantilisants. Jouée à merveille par Laure Godisiabois, A chacun de leurs échanges, on déterre la hache des dialogues de sourds : du comique verbal de très haut vol, qui n’est pas sans rappeler l’humour de Raymond Devos dans sa logique implacable! De véritables morceaux d’anthologie ! S’il ne veut pas particulièrement mentir à sa femme, il ment mal! Avec une intuition toute féminine et un raisonnement implacable, elle a tôt fait de reconstituer les pièces manquantes au scénario et peut se faire une idée assez précise de la traîtrise en cours, qui n’a rien à voir avec les incartades habituelles du mari et lui paraît d’autant plus dangereuse! Tout se corse, bien sûr, quand les deux jaloux, Germaine et Roger font alliance!
Du côté Juliette-Roger, c’est Juliette : Christel Pedrinelli, éblouissante de charme et d’effervescence qui, sertie dans des robes de rêve, crie au scandale, puisque son mari semble ne plus avoir confiance en elle ! Or, elle n’a strictement rien fait de mal ! « On verra plus tard pour la paix ! », lance-t-elle, piquée au sang ! La voilà qui entend avoir voix au chapitre, et qui sait, changer le cours des choses! On vous laisse évidemment déguster la suite de l’histoire…
L’ironie et les sarcasmes déferlent dans le salon Jean-Germaine, mais aussi la confession émouvante et lumineuse de Jean / Daniel Hanssens qui hisse celui-ci, au-delà de la comédie, lorsqu’il évoque l’Amour hors gabarit. Humainement, il réclame cette part secrète indispensable, ce jardin virtuel extraordinaire où se cultiverait l’amour qui ne finit pas. Un amour qui ne nécessite pas de composantes sexuelles, qui vit de son contenu poétique et exalté. Celui qui échappe à la routine, aux contingences, aux frictions, aux désaccords, où l’explosion verbale devient bouquet de caresses, où il appelle « son infante et sa principessa » une belle inconnue qui ne lui doit rien! Dans une adresse à Juliette, un nom dont la connotation n’échappe à personne, il ose clamer que l’amour est « la fantaisie de Dieu». Il prétend avec humour « ne pas permettre à son mari de lutter avec Dieu, sur ce chapitre ! » … tandis que Germaine, prénom bien choisi lui aussi, croira élaborer un plan infaillible avec Roger pour « tuer le bonheur dans l’œuf !» et assouvir leurs secrets rêves de pouvoir.
Dans la mise en scène, on passe d’un salon à l’autre. Aux murs, de tendres couleurs pastel lilas, champagne et tilleul mettent en valeur de hautes fenêtres lumineuses. Chez Germaine, des meubles genre Roche Bobois et un bouddha qui ne la décoince pas, chez Juliette, des meubles de style, plus collet monté et un téléphone qui sonne régulièrement pour les amoureux des belles lettres. Au fond, chacun sa radio 'TSF' vintage, question d'époque!
Ni Jean, ni Juliette n’ont besoin de « protection » lointaine ou rapprochée. Ils ont besoin de respirer… Ils ne supportent pas l’amour prédateur qui finit par étouffer. Il y a ces deux monologues parallèles bouleversants où chacun réclame seulement le droit de rêver. Jean rêve d’un « Un bonheur qui ne blesse personne, qui donne au lieu de recevoir, qui vénère au lieu de séduire… » Ce sont ces moments précieux qui font dire à André Roussin que la bonne comédie est très proche du drame.
Paul Léautaud ne donnait-il pas comme définition du bon théâtre : « C’est le rire, la fantaisie, l’imagination, la répartie vive, le trait prompt et pénétrant, tout à la fois l’irréel et la vérité, l’observation qui se répand en traits comiques, le mouvement, la farce, au besoin même la bouffonnerie…» Tout y est ! Amateurs de bon théâtre et de langue grisante, réjouissez-vous ! Ce spectacle pétillant qui tourne autour de l’Amour tout court, est franchement bien joué de façon virtuose et récréative, et dévoile des profondeurs inattendues, même si la fin laisse un goût de nostalgie!
We loved it!
Crédits photos © Gregory Navarra
Après le Centre Culturel d'Auderghem, plus que quelques jours au Centre Culturel d'Uccle
Commentaires