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administrateur théâtres

The World of Lucas Cranach & Wim Delvoye (expos à BOZAR)

The World of Lucas Cranach

An Artist in the Age of Dürer, Titian and Metsys

&

Wim Delvoye

Knockin’ on Heaven’s Door

Voici une exposition très séduisante au Palais des Beaux Arts. Un duo étrange, car voici deux personnalités de cinq siècles de différence, et « entre-deux » ou « contre-pied » de caractère.

D’une part Lucas Cranach (1472-1553), qui se situe entre Moyen-âge et Renaissance et Wim Delvoye dans « Knocking on Heaven’s door », entre les certitudes d’un Moyen-âge utopique et les doutes de notre siècle. Ils ont en commun le fait de parler de nombreuses langues, de pratiquer la langue des affaires, le latin …ou l’anglais, et d’être subtilement rebelles à l’air du temps mais fort épris de rendement artistique. Artistes? Humaniste à sa façon, Lucas Cranach fut pendant une cinquantaine d'années le peintre de la cour de Saxe, mais aussi un brillant homme d'affaires à la tête d'un grand atelier dans la ville de Wittenberg, ayant même acquis le monopole du statut d’apothicaire, ce qui lui donnait un accès privilégié aux huiles, pigments et diverses essences. Très entreprenant, il ouvrit sa propre imprimerie et fut élu 3 fois bourgmestre. Ah, « les artistes » au pouvoir!

L’exposition rassemble une cinquantaine de tableaux de Cranach, un grand nombre de ses dessins les plus remarquables et une quarantaine de gravures, dont il ne subsiste plus, pour certaines, que l’exemplaire exposé. Une cinquantaine d’œuvres d’autres artistes viennent compléter et éclairer cette présentation.

Son autoportrait, daté de 1530, nous montre un homo melancholicus, de 58 ans, riche et célèbre. Melancholicus parce qu’il est conscient des malaises du siècle, en trempant ses pinceaux dans de noirs pigments, il rappelle sans cesse les limites de l’homme, du progrès, de la connaissance. L’homo melancholicus doute de tout, présente des réalités divergentes par rapport aux idées établies. C’est l’état constant et privilégié des artistes, des politiques et des scientifiques… ce qu’il veut être tout à la fois !

Le plus bel exemple de ses interrogations est un de ses nombreux nus : « Justicia ». Elle a du Moyen-âge, la vertu cardinale, le visage de madone, les cheveux dans la résille, le voile, marque de pudeur. Mais le nu est intégral, le geste de la main indique clairement le sexe dénudé, et le voile arachnéen qui l’enveloppe la dévoile de façon presque provocante. La Justice serait-elle vraiment la Justice ? La balance penche dangereusement, il y a bien un angle Droit avec l’épée pointée vers le ciel…. Mais ses yeux ne sont nullement bandés, et elle fixe intensément le spectateur qui a décelé le point focal avec une ironie mordante.

Il en va ainsi de d’innombrables figures féminines dénudées à dessein… Il ne s’agit pas de la Nudité de la Renaissance qui voudrait exprimer la beauté divine, comme dans l’antiquité… La nouvelle mode antique sert plutôt de justificatif pour une présentation « entre-deux » de l’érotisme, de l’image du désir, de la volupté. Mais à demi-mots, à demi-pinceaux, car l’ère est catholique, ou protestante, c’est selon, et de toutes façons, puritaine. Et Cranach n’hésitera pas à contenter les commanditaires de tout poil. Il crée une forme idéalisée de son modèle de nu, du potelé et de l’élongé, à la fois pour peupler son imaginaire nouveau et vendre à foison. Le fond noir fait « éblouir » la femme qui s’offre. Il est intemporel. Et de toute façon, ce n’est pas son souci, la construction méticuleuse du corps humain ou celle de l’univers, il laisse cela à Dürer, son ami. L’exposition, une mine d’or pour l’historien d’art, permet de comparer divers artistes de la même époque Titien, Raphaël ou Lorenzo Lotto traitant les mêmes thèmes. Le souci de Cranach, c’est l’expression et la couleur et le souci de ne pas perdre du temps. Il trouve des méthodes de reproduction en masse grâce aux gravures sur bois. Au nom de l’efficacité, il va jusqu’à faire choisir à ses commanditaires les éléments de l’œuvre sur modèles disponibles dans son atelier, une entreprise de 15 collaborateurs. Cela peut aller jusqu’au choix des feuilles d’arbre !

Regardez cette « Vénus et Cupidon » : le corps est grandeur nature, effilé, stylisé. Très neuf ! Les mains graciles pointent vers une fente évocatrice d’un vieil arbre… Le peintre dit beaucoup plus que ne le montre la peinture, c’est une constante chez Cranach, ces sous-entendus….. De l’autre main elle désigne Eros, fils de Vénus et Mars, il est porteur de miel…. mais les abeilles le piquent. La morale est sauve. Et la loi de l’amour, sous-entendue.

De la « Lucrèce » au visage tourmenté sur le point de se planter un stylet dans le cœur à la

« Judith » qui égorge Holopherne...

... avec un doux sadisme, les bijoux, les robes séductrices, les fourrures, les sourires en disent long sur les ruses féminines.

On voit dans un autre tableau un vieil homme laid à s’enfuir, affublé d’une très jeune femme ravissante : « Les amants mal assortis ». Encore des mains très explicites : l’une rampe vers la poitrine rebondie, l’autre cherche la bourse cachée dans l’habit !

Dans « La nymphe de la source sacrée », une référence encore à l’Antiquité, le message d’union avec la nature est encore dévoyé. La belle ne dort pas, ne se repose pas paisiblement, elle guette sa proie. Complicité avec le spectateur ? Le cartouche spécifie « Je me repose, ne troublez pas mon repos ». Même les mots ne disent pas ce qu’ils veulent dire! Des codes symboliques du Moyen-âge rappellent inlassablement la volupté, la luxure: les robes rouges, les fraises, les framboises, le couple omniprésent des perdrix, le chien, symbole de notre assujettissement aux choses du monde, les présences diaboliques…

Dans « La mélancolie » voici une dame qui ne fait rien moins que tailler une verge ! Dans ce tableau la femme est endiablée, mi-ange, mi-démon ; elle a un pied bot, porte une couronne d’épines de travers. Toutes les perspectives ont volé en éclats. Les couleurs font la sarabande. On est dans le surréalisme, l’univers est chaotique.

A la croisée, un Eros perché sur une balançoire démesurée, oscille dangereusement vers le ciel. La folie exprimée dans cette œuvre stigmatise les peurs du Moyen-âge, l’univers de sorcières, le bouc de la luxure et les chèvres de sabbat.

Dans « le supplice de Saine Catherine », l’extase est peut-être religieuse, peut-être amoureuse, peut-être pure folie artistique…

Lucas Cranach en dit long sur les rapports de l’art et de la société, et le rapport du pouvoir de l’argent, du sexe et de la puissance. Aussi sur la culture et la contre-culture, parfois très vénales. A méditer.

http://www.bozar.be/activity.php?id=9136

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Commentaires

  • administrateur théâtres

    Cranach et son temps, musée du Luxembourg, Paris. Du 9 février au 23 mai 2011. Catalogue de l'exposition (Flammarion, 39 euros).

    http://www.lepoint.fr/culture/cranach-et-ses-pin-up-03-02-2011-1351...

     

  • Merci Deashelle, pour cette intéressante présentation de Lucas Cranach, rarement montré en Belgique.
    Son art paraît plus froid, comme dit Jacqueline, parce que c'est assez codé et répond à certaines règles en vigueur à l'époque, tandis que chez le Titien ou Raphaêl, c'est très différent. Moins froid, mais d'autres codes apparaissent aussi.
  • C'est très beau, presque trop parfait, un peu froid, comme détaché et pourtant impliqué, c'est complexe, c'est certainement du grand art, mais je ne ressens pas d'émotion...
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