« Vous avez bien d'autres affaires A démêler que les débats Du Lapin et de la Belette … »
Nul doute que l’homme et la femme pressée de notre époque ont d’autres chats à fouetter que de s’en aller écouter un spectacle de fables de La Fontaine. Et pourtant, tous deux se sont retrouvés, très nombreux et comblés de bonheur à la première, sur le gazon improvisé de la petite salle des Martyrs, à l’écoute émerveillée de la langue qui a bercé notre enfance.
Les comédiens du théâtre en Liberté nous ont préparé un tricotage ingénu et frais de ces fables connues et moins connues ou totalement ignorées de ce grand sage du 17e siècle, bien que le choix fut sûrement malaisé. C’est eux qui accueillent le public curieux dans la salle, histoire de se déguiser en trait d’union avec le sage homme de lettres. Hélène Theunissen reçoit en tailleur de soie à reflets d’argent, gants assortis et chaussures élégantes. Le malicieux Jaoued Deggouj est assis négligemment aux pieds d’une grande gravure du maître, Bernard Gahide arbore une tenue de soirée très digne, il est prêt à dire « puis-je vous offrir mes vers ? » Mais où donc est passé Bernard Marbaix? Le mystère est dans la Perruque. Et Dolorès Delahaut en tutu blanc immaculé de danseuse étoile, la rose rouge assortie aux chaussures, caracole sur l’herbe tendre.
C’est l’occasion de se laisser baigner par l’amour de la langue et sa musicalité, la beauté de la poésie mise à vos pieds! La vie de la Nature va palpiter et redonner du cœur à la nature sèche des hommes.
Les fables s’enchaînent souplement comme par magie, les voix virevoltent et se répondent, les timbres imitent la nature entière, l’humour brille, les gestes et le corps soutiennent le propos de manière presque enfantine, libre et osée et tout se transforme, comme une libre pensée et une pittoresque imagination. Mais rien de puéril. Le jeu du corps est une dimension indispensable à l’art de la narration. Malgré leurs habits de cérémonie, la liberté de jeu est totale. La diction est parfaite. Tous ont le sens aigu de la chose contée et passionnent par une foule de détails que l’on ne vous contera point, ce serait les desservir ! Sachez cependant que vous n’aurez jamais eu devant les yeux une présentation de Jean de la Fontaine aussi perlée et aussi joyeusement dynamique et passionnante. L’énergie des textes porte l’énergie des gestes et vice-versa. Tout semble se faire dans une justesse totalement maitrisée tout en restant vivant et spontané. La magie de la parole et la grande humanité de la pensée font le reste. Rien ne lasse. On se berce, on se rêve, on se récrée, on se recrée. On médite sur le genre humain : « Tout bien considéré, je te soutiens en somme, Que scélérat pour scélérat, Il vaut mieux être un Loup qu'un Homme : Je ne veux point changer d'état. »
Au lieu de la quarantaine de fables choisies on en voudrait 1001, et cela pourrait continuer jusqu’à l’aube si on était en Orient.
« Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant, Il le faut amuser encor comme un enfant. »
RIEN NE SERT DE COURIR... - J. de La Fontaine |
Théâtre en Liberté http://www.theatredesmartyrs.be/compagnies.html |
Du 6 novembre au 7 décembre 2013 au théâtre des Martyrs Samedi 30 novembre à 19h Dimanches 17 novembre et 1er décembre à 16h |
Interprétation : Jaoued Deggouj, Dolorès Delahaut, Bernard Gahide, Bernard Marbaix et Hélène Theunissen Mise en scène : Bernard Gahide & Hélène Theunissen
Assistanat à la Mise en scène : Maxime Anselin
Scénographie : Daniel Scahaise Costumes : Anne Compère
Univers sonore : Gwenaël Grisi Régie : Antoine Halsberghe
Crédit photos : Philippe Fontaine
http://www.theatredesmartyrs.be/saison.html
Commentaires
On souhaite à Bernard Marbaix le repos éternel...
La critique de Demandez le programme:
Dans son "Histoire de la littérature française", Paul Guth fustige certains
critiques qui, horripilés par le succès persistant de La Fontaine, voient en lui "un monsieur de La Palice bêtifiant, dont les fables ennuient les enfants, sans intéresser les parents." On ne peut que partager son indignation. Si les récitations scolaires ont souvent transformé les fables en pensums, beaucoup d’adaptations scéniques ont mis en valeur la liberté d’expression d’un maître du style. C’est le cas de "Rien ne sert de courir". Un spectacle vif, pétillant, qui nous charme par son élégance.
Accueillis par quatre acteurs ... affables, les spectateurs s’installent de part et d’autre d’un promenoir herbeux, qui conduit au portrait de La Fontaine. Comme dans un salon, ils communieront à ce spectacle convivial. Le démarrage est un peu froid. Mais très vite le dynamisme des comédiens lui insuffle un rythme soutenu. Les fables s’enchaînent souplement, le décor s’anime et La Fontaine devient le complice de ses interprètes.
Les animaux qu’il met en scène dénoncent les travers et les vices humains. C’est pourquoi, portant des costumes élégants, les comédiens misent sur la sobriété pour les évoquer. Pas de masques ni d’oripeaux mais une gestuelle et des mimiques bien maîtrisées. Tour à tour narrateur et personnages, ils se passent le relais pour rendre cette "comédie à cent actes divers" alerte et mordante. Ils exploitent avec efficacité la structure dramatique fortement marquée de bon nombre de textes. Témoin le relief que prend le procès monstrueux des "Animaux malades de la peste". Ces séquences collectives font un peu d’ombre à certaines fables dites en solo. Des changements de rythme, des silences leur donneraient plus d’impact.
Le "Théâtre en liberté" a eu la bonne idée de mêler, dans un joyeux désordre, "tubes" et fables méconnues. Un patchwork qui souligne la diversité des styles de La Fontaine. Pour cet écrivain classique, "qui veut plaire, tout en instruisant", la fable n’est pas la sèche démonstration d’une morale, mais un récit à l’intrigue rapide et vive, peuplé de personnages hardiment croqués. Souvent on flaire d’emblée le drame : Légère et court vêtue, Perrette PRETENDAIT arriver sans encombre à la ville...
Il serait injuste de s’appuyer sur la banalité de conseils comme : "Garde-toi, tant que tu vivras, de juger les gens sur leur mine." (Le cochet, le chat et le souriceau) pour accuser La Fontaine de prôner une morale de la médiocrité, à la portée de l’homme moyen. En nous entraînant dans cette farandole poétique, "Rien ne sert de courir" nous fait écouter l’ironie cruelle d’un moraliste, observateur des moeurs de son époque. Et son bestiaire est plus subtil qu’il n’y paraît. C’est au nom de la raison du plus fort que le loup dévore l’agneau. Transformé en loup, un compagnon d’Ulysse tient à le rester : "Scélérat pour scélérat, il vaut mieux être un loup qu’un homme." Le loup qui "n’avait que les os et la peau" rejette violemment la vie confortable du chien domestiqué. Au nom de sa liberté. Manifestement l’auteur admire la dignité de sa réaction. S’il se moque des rêves de Perrette, il avoue que lui aussi bâtit des châteaux en Espagne. Sans illusions sur la nature humaine, il se sert d’une langue souple et légère pour nous inciter à la lucidité et à la mesure. La Fontaine n’est pas un donneur de leçons. C’est un "honnête homme" que les comédiens ont bien raison d’applaudir.
vous pouvez gagner des places... http://www.theatrezmoi.be/rien-ne-sert-de-courir