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12272752285?profile=originalIl s'agit d'un roman d'André Gide (1869-1951), publié à Paris dans la Nouvelle Revue française les 1er janvier, 1er février et 1er mars 1914, et en volume chez Gallimard la même année. Cette édition originale, anonyme, portait la mention: «Sotie par l'auteur de Paludes.»

 

L'idée des Caves du Vatican est ancienne puisqu'elle remonte à 1893. Toutefois, Gide ne se met véritablement au travail, comme l'indique son Journal, qu'à partir de 1911. L'auteur qualifie son oeuvre de «sotie», soulignant ainsi son caractère burlesque: les soties sont en effet des pièces bouffonnes - jouées par des «sots» - que l'on représentait au Moyen âge pour célébrer la fête des Fous. Lors de leur parution, les Caves du Vatican n'eurent aucun succès et firent l'objet de critiques dans l'ensemble négatives, voire désobligeantes. Gide réalisa une adaptation théâtrale de l'ouvrage qui parut en 1948 sous la désignation de «farce en trois actes». Il commença également, en 1949, à écrire un scénario en vue de tirer un film de son roman, mais le projet avorta.

 

Livre I. «Anthime Armand Dubois». A Rome, Anthime Armand Dubois, un scientifique franc-maçon farouchement athée, se convertit soudain au catholicisme à la suite d'un prétendu miracle.

Livre II. «Julius de Baraglioul». Son beau-frère, Julius de Baraglioul, est un écrivain parisien, catholique et bien-pensant. Julius est chargé par son père, le comte Juste-Agénor de Baraglioul, de se renseigner discrètement sur la personnalité du jeune Lafcadio Wluiki. Ce dernier apprend ainsi qu'il est le fils naturel du vieux comte qui, peu avant de mourir, l'institue héritier d'une coquette fortune.

Livre III. «Amédée Fleurissoire». A Pau, la comtesse de Saint-Prix, soeur de Julius, se laisse berner par un escroc qui lui fait croire que le pape a été emprisonné dans les caves du Vatican, puis au château Saint-Ange; le forfait sacrilège serait l'oeuvre des francs-maçons et des jésuites. Amédée Fleurissoire, l'autre beau-frère de Baraglioul, un modeste et naïf fabricant d'objets de piété, part pour Rome afin de délivrer le pape.

Livre IV. «Le Mille-Pattes». L'escroc de Pau, un ancien ami de Lafcadio nommé Protos qui appartient à une bande d'aigrefins appelée le Mille-Pattes, rencontre Amédée Fleurissoire à Rome et exploite sa crédulité.

Livre V. «Lafcadio». Julius est venu lui aussi à Rome pour assister à un congrès. Il est plein d'enthousiasme à l'idée du nouveau livre qu'il se promet d'écrire: faisant fi des convenances et de son désir d'entrer à l'Académie, il montrera qu'un crime effectué de façon gratuite, sans motif, ne peut que demeurer impuni. Or Lafcadio, dans le train Rome-Naples, précipite par la portière, pour le seul plaisir d'agir ainsi sans raison et d'affirmer sa liberté, un inconnu qui n'est autre que Fleurissoire. + Rome, Lafcadio retrouve Julius qu'il entend, non sans stupeur, lui exposer la théorie de l'acte gratuit. Le jeune homme comprend en outre qu'il vient de tuer le beau-frère de Julius. Protos qui a été témoin du crime menace Lafcadio. Mais Carola, qui s'était attachée à Fleurissoire, dénonce Protos, son amant qu'elle croit coupable. Protos la tue et est arrêté. Lafcadio ne craint donc plus rien. Légèrement déçu de se tirer d'affaire si facilement, il avoue à Julius son geste et son intention de se livrer à la police. Geneviève, la fille de Julius, s'offre à Lafcadio qu'elle aime, et l'amène à renoncer à sa décision.

 

Fondée sur de multiples rebondissements et d'hallucinantes coïncidences, l'intrigue des Caves du Vatican est singulièrement complexe. Tous les personnages de l'histoire, au début éloignés tant par la destinée que par la géographie, se trouvent peu à peu réunis dans les mailles d'un réseau narratif unique et compliqué dont le «Mille-Pattes» pourrait bien constituer une métaphore. Ainsi, les principaux protagonistes, que l'intrigue finit par rassembler tous à Rome, ont entre eux des liens de parenté. Protos, être subtil et maléfique qui n'est pas sans rappeler Ménalque (voir les Nourritures terrestres et l'Immoraliste), échappe seul à ce système, mais il a été jadis l'ami de Lafcadio et les deux hommes ont eu Carola pour maîtresse. Les objets sont eux aussi soumis à d'invraisemblables coïncidences, notamment ces boutons de manchette que Lafcadio offre à Carola lorsqu'il rompt à Paris avec elle, et qu'il retrouve au poignet de sa victime Fleurissoire. Il s'exclame alors: «Ce vieillard est un carrefour» (livre V). Quant au projet romanesque de Julius qui, selon un procédé cher à Gide (voir Paludes) met en abyme le récit des Caves du Vatican, il rend l'ensemble plus vertigineux encore.

A l'évidence, Gide, faisant fi des lois du vraisemblable, parodie la tradition romanesque. Les excès cocasses du hasard abolissent sciemment la crédibilité de ce dernier et font de la fiction une sorte de gigantesque bouffonnerie, une «sotie», en effet, ou encore une supercherie que l'organisation du Mille-Pattes figure là aussi symboliquement. De nombreuses intrusions d'auteur viennent déjouer l'illusion romanesque - du type: «Lafcadio, mon ami, vous donnez dans un fait divers et ma plume vous abandonne» (livre II) - et manifestent qu'aucun souci de réalisme ne préside à cette fable ironique et satirique.

 

A travers ce roman, qui peut apparaître comme une sorte de conte philosophique, Gide aborde, sur le mode de la dérision, un certain nombre de questions fondamentales, déjà présentes dans les oeuvres antérieures. Ainsi, la question de la foi est traitée de façon comique à travers la conversion de l'athée Anthime et la piété bornée du miteux Fleurissoire. Le voeu de chasteté de ce dernier et son mariage blanc ne sont pas sans rappeler, dans un registre plaisant, la thématique de l'amour terrestre concurrencé par l'amour mystique qui était au coeur de la Porte étroite. En outre, c'est sous les traits du fat, superficiel et opportuniste Julius que Gide choisit d'incarner la figure de l'écrivain.

 

Livre provocateur tant par la dérision à laquelle il soumet les lois du genre romanesque qu'en raison de la thèse audacieuse qu'il soutient à propos du crime, les Caves du Vatican poussent l'iconoclastie jusqu'à parodier l'oeuvre gidienne elle-même. Dieu n'est pas non plus épargné et tout comme le pape, est menacé de disparition: «Je ne veux point surfaire l'importance des Caves du Vatican; je crois pourtant, sous une forme funambulesque, y avoir abordé un très grave problème. Il suffit, pour s'en rendre compte, de substituer à l'idée du vrai pape celle du vrai Dieu, le passage de l'une à l'autre est facile et déjà le dialogue y glisse parfois» (Correspondance, 1935).

 

Toutefois, les Caves du Vatican ne sont pas véritablement un livre à thèse. On en a surtout retenu le fameux «acte gratuit» dont Gide a dû se défendre d'avoir voulu faire l'apologie: «Mais non, je ne crois pas, pas du tout, à un acte gratuit. Même, je tiens celui-ci pour parfaitement impossible à concevoir, à imaginer» (Correspondance, 1929). Ainsi, même si Lafcadio, avatar du Nathanaël des Nourritures terrestres, est loin d'être aussi ridicule que les autres personnages du roman, il serait abusif de voir en lui un héros strictement positif. Il y a, dans la séduction même dont le pare l'auteur, une subreptice surenchère qui invite à la méfiance. En outre, l'accomplissement de son acte gratuit n'est pas sans comporter quelques notations caricaturales; il est par exemple obsédé, une fois le crime commis, par un souci bien médiocre: la perte de son confortable et luxueux couvre-chef. D'ailleurs, le geste par lequel il croyait affirmer la toute-puissance de sa liberté se révèle être un piège et une illusion: «Mais ce qui m'étonne, moi, c'est que, intelligent comme vous êtes, vous ayez cru, Cadio, qu'on pouvait si simplement que ça sortir d'une société, et sans tomber du même coup dans une autre; ou qu'une société pouvait se passer de lois» (livre V). Comble d'ironie: c'est l'escroc, le hors-la-loi Protos qui dit cela à Lafcadio alors que la société, de l'aveu même de l'honorable et irréprochable Julius - ses méditations sulfureuses sur l'acte gratuit n'étaient qu'une passade et il s'est promptement ressaisi -, laissera le criminel impuni s'il a la bonne idée de ne pas se dénoncer. Enfin, l'ouvrage s'achève sur une phrase peu flatteuse pour Lafcadio qui entre à son tour dans le rang des «crustacés», ou encore qui se laisse «embaragliouller»: «Quoi! va-t-il renoncer à vivre? et pour l'estime de Geneviève, qu'il estime un peu moins depuis qu'elle l'aime un peu plus, songe-t-il encore à se livrer» (livre V)?

Rien donc, dans les Caves du Vatican, ne résiste à l'empire de la dérision. La plus juste morale de cette histoire échevelée, c'est sans doute qu'il n'y a pas de morale et que la vie est une vaste mascarade.

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