Surprise : grande réunion de famille à Lille le week-end dernier et plus de 15.000 visiteurs...
Quelle fête pour ses cent ans ! La nouvelle édition du Lille pianos(s) festival fêtait ce 14 juin 2014 l’anniversaire d’une grande dame, Gisèle Casadesus, comédienne décorée de prestigieuses distinctions honorifiques qui, le matin même du festival, recevait la médaille d’or de la ville de Lille, capitale européenne en 2004. Elle est aussi la mère de quatre enfants. Son fils aîné est le chef d’Orchestre Jean-Claude Casadesus, nommé en 1976 directeur de l'Orchestre National de Lille (ONL) auquel il a consacré jusqu’à maintenant l'essentiel de sa vie. Cette élégante dame a été suivie avec admiration à chaque étape du festival et applaudie avec ferveur par une salle comble avec le bis offert par son fils - un vibrant Happy Birthday - lors du concert de 18 h le samedi 14 après la splendide et tragique interprétation par Abdel Rahman El Bacha de Gaspard de la nuit et du Concerto pour la main gauche de Ravel! Elle vient de publier ses souvenirs dans un livre intitulé « Cent ans c'est passé si vite ». « Revisitant les événements d’un siècle, des deux guerres mondiales aux nombreux bouleversements de société, cet abécédaire personnel raconte la comédie humaine et les coulisses de la scène, comme le destin d’une grande famille d’artistes. Sans jamais se départir d’un humour subtil, Gisèle Casadesus y dévoile son amour de la vie et de la famille, sa foi profonde et sa curiosité insatiable du monde. » Cheers!
Il faut rassurer les routards de la musique, la salle de concerts de l’Orchestre National de Lille, Le Nouveau Siècle, a ré-ouvert ses portes début janvier 2013, ayant été intégralement rénovée afin d’offrir à son public une acoustique d’excellence internationale et une réverbération de qualité exceptionnelle.
L’Orchestre national de Lille proposait cette année en commémoration de la Première Guerre Mondiale, un festival développant le thème de la "musique et guerre(s)". C’était l’occasion pour les visiteurs d’aller écouter des œuvres de compositeurs marqués par la guerre. Ainsi plusieurs concertos écrits pour la main gauche pour le mécène Paul Wittgenstein, pianiste autrichien qui perdit son bras droit lors de la Première Guerre, ont été joués de manière particulièrement bouleversante. En plus du concerto pour la main gauche de Ravel, nous avons entendu deux œuvres fortes et expressives, les lumineuses « Diversions » de Benjamin Britten lors du concert d’ouverture et celui de l’américain Korngold lors du concert de clôture sous les doigts de Nicolas Stavy, chaque fois sous la direction éclairée du très fédérateur chef américain Paul Polivnick. Le Concerto pour piano de Viktor Ullmann (mort gazé le 18 octobre 1944 à Auschwitz-Birkenau) joué par une sulfureuse Nathalia Romanenko « con fuoco » et l'opéra pour enfants Brundibar de Hans Krasa ont rejoint comme bien d'autre pièces évoquant le même thème tragique.
Et tout au long du festival des œuvres phares du répertoire pianistique de Debussy, Prokofiev, Rachmaninov, Chopin, Beethoven, Bach... soulignent bien la diversité du répertoire pianistique programmé lors de ce festival. Plus de 60 artistes dont 45 pianistes dans 13 lieux ces 13, 14 et 15 juin 2014 ont donc enthousiasmé un public conquis qui eut bien du mal à choisir entre les pianos, concertos et artistes de renom comme Abdel Rahman El Bacha, on ne présente plus. Entre autres : Marie Vermeulin jouait Aaron Copland et Olivier Messiaen, Jean-Philippe Collard Chopin, Florent Boffard combinait les grammaires musicales de Bach et Schönberg et l’ardent François-Frédéric Guy revisitait Le Livre 2 des Préludes de Debussy et la Sonate opus 111 de Beethoven.
On gardera du magnifique récital de ce Frédéric Guy le souvenir phosphorescent de ses fées, d’Ondine fragile et exaltée et de son feu d’artifice ainsi que celui de son regard transfiguré par l’émotion et concentré à l’extrême dans la sonate de Beethoven avec des jeux de clairs obscurs extraordinaires d’humilité. Voilà un homme qui construit des digues pour cultiver la musique. Chaque note semble être recueillie comme une eau précieuse, avec une reconnaissance infinie, comme si derrière il y avait une présence infinie. Le temps et ralenti et savouré, la salle est complètement absorbée et entraînée dans l’amplification progressive du dernier mouvement.
Dans un tout autre registre, très ludique et populaire, voici un festival d’improvisation et un pari réussi pour l’aventure de la Battle musique sans battle-dress en 12 rounds des pianistes Auxane Cartigny et Simon Fache où des milliers d’internautes commentaient en direct le concert à coup de tweets. Amusez-vous : on peut revoir la performance en streaming sur www.onlille-playagain.org.
Un parcours trop rapide de découverte du Vieux Lille nous a menés le samedi matin à notre premier rendez-vous dès 10 h avec le très intéressant récital commenté de Florent Boffard au Conservatoire de Lille, enchaîné aussitôt après avec « les sonates de guerre » du pianiste ukrainien, Igor
Tchetuev au Théâtre du Nord. Ce dernier nous a interprété la Sonate n°12 « Marche
funèbre » de Beethoven, la Barcarolle en fa dièse majeur de Chopin et la Sonate n°9 de
Prokofiev que l’on dirait du cru du pianiste tant elle est convainquante et richement élaborée. Là
aussi l’émotion est forte et la qualité musicale hors pair au rendez-vous.
Sandwich en main, les mélophiles se seront précipités à partir de midi pour entendre les cartes blanches de jeunes pianistes à la gare Saint-Sauveur à moins qu’ils n’aient préféré les Archives Départementales inaugurées la veille. Au Nouveau Siècle, c’est le spectacle jeune public (Brundibar) qui a battu son plein dans l’auditorium après la très émouvante conférence sur « La musique contre la barbarie » de Marek Halter à la salle Québec consacrée à Terezin le camp "modèle" organisé par les nazis afin de tromper les observateurs de la croix Rouge et dont les occupants furent envoyés à Auschwitz à l’arrivée des gardes rouges. On se souvient tout à coup avec effroi de la pièce de l’auteur espagnol Juan Mayorga Himmelweg ou le chemin du ciel, du nom que l'on donnait aux rampes menant des trains aux fours crématoires. Marek Halter est l’auteur de « La mémoire d’Abraham » (Laffont) un livre qui retrace l’histoire de sa famille et celle d’un peuple débutant en l’an 70 jusqu’à nos jours… Il n’a pas manqué d’évoquer lors de sa conférence le récent massacre du Musée Juif à Bruxelles.
Le dimanche matin a rassemblé une foule heureuse de parents et d’enfants amoureux de Pierre et le loup, un Prokofiev revisité par The Amazing Keystone Big Band avec Denis
Podalydès et Leslie Menu, les récitants enjoués.
...Imaginez l’oiseau en flûte traversière et trompette avec sourdine, le canard en saxo-soprano, le chat en saxo ténor, le grand-père en saxo baryton, le loup en trombones et tuba. Pierre est à la fois claviers, basse et guitare et les chasseurs, l’orchestre Big Band. Ah on oubliait les fusils, la batterie bien sûr ! Orchestre et public scandent régulièrement avec les mains. Atmosphère de liesse. C’est brillant, chaleureux, pulpeux et triomphant. Le canard encore vivant dans le ventre du loup glousse dans une lumière jaune citron. Et la foule quitte le grand auditorium à regret.
Après la performance de François-Frédéric Guy en tout début d’après-midi, à l’heure de la sieste dominicale, c’est la vibrante passion incantatoire du pianiste français originaire de La Martinique Wilhem Latchoumia qui a réveillé les esprits dans la salle Québec. Son programme caressant et drôle consacré à Debussy, Monpou, Satie et De Falla a subjugué les auditeurs. Souplesse et générosité. Des doigts impressionnants d’élasticité et de puissance. Un géant qui tour à tour titille les touches d’ivoire suggérant des traces ondoyantes de lumière ou leur livre une implacable bataille de frappe décidée. Le De Falla est une pièce pleine de blessures vives que le pianiste s’empresse de panser. Il joue à l’urgentiste et réveillerait des morts puis propose comme bis « La poupée de biscuit » rythmée et changeante de Villa Lobos. On le retrouvera bientôt à Bruxelles lors du festival Musiq 3 où il a concocté un programme empreint de spiritualité avec Liszt, Bartók et Ligeti (Flagey, Studio 1 vendredi 27-06, 22h).
Soulignons ici la remarquable organisation sans fausses notes de ce festival qui ne devient jamais un marathon épuisant mais une partie de plaisir aérée, où l’on a le temps d’applaudir et d’ovationner les artistes qui prennent le temps d’offrir de beaux bis très appréciés. On ne vit pas sous la crainte de se voir refuser l’entrée au concert suivant… Un livret-programme très détaillé et facile à consulter et le déroulement logistique impeccable du festival – as smooth as silk – contribuent au bonheur des visiteurs.
Le récital de Cyprien Katsaris dans le grand auditorium a été un autre point fort du festival par son originalité et sa densité. Au cours de son voyage insolite dans le temps, il allie le brio pianistique à l’élégance et au souci de la transmission. Lui aussi bientôt à Bruxelles…. Son coup d’envoi est une série de thèmes classiques dans la tradition de l’improvisation chère à Liszt ou à Chopin dans les concerts de salon. Pour suivre : le Klavierstück n°2 de Schubert, l’une de ses pièces favorites. On balance entre nostalgie et vie vécue en accéléré… pour se retrouver à Thalès, dans l’antiquité grecque devant l’épitaphe de Dame Euterpe où se trouve gravée la plus ancienne mélodie occidentale … qu’il relie au premier prélude de JS Bach. L’être est musique rappelle-t-il, et la musique est une multiplicité d’inspirations de la Muse. Il la relie à la théorie des pythagoriciens qui considèrent que chaque corps céleste émet un son et l’ensemble constitue l’harmonie des sphères. Nous voilà projetés dans l’univers. La sublime berceuse de Chopin jouée peu avant sa mort est relayée par une pièce de Max Reger « Träume am Kamin » constituée elle aussi d’une basse obstinée et d’arabesques à la main droite d’une rare sérénité pour le contexte guerrier de l’époque… « Lament » de Frank Bridge complète l’image de l’impuissance civile en temps de guerre… Il s’agit d’une pièce dédiée à une petite fille, Catherine, qui voyageait sur le Lusitania torpillé le 7 mai 1915… Poignant dans sa simplicité! Puis voici St-Saëns avec « La Française » et le prélude n°12 de Vierne : « Seul… ». La finale de ce magnifique récital où chacun se trouve engagé dans un climat d’écoute attentive est son arrangement remarquable pour piano seul du dernier mouvement de l’Empereur de Beethoven. C’est un message d’optimisme qui transparaît, celui-ci peut sauver le monde. Il faut cueillir les petits bonheurs et les moments de grâce où l’harmonie existe et vibre, appelant l’homme à retrouver le divin en lui.
La soirée de clôture voit Le Nouveau Siècle bondé, pour se laisser guider une fois encore par Paul Polvnick pour découvrir le robuste Concerto pour piano de Korngold avec un
Nicolas Stavy passionnel et héroïque, ahurissant de bravoure ...et vivre la magie du Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov sous les doigts très inspirés
d’Andrei Korobeinikov au piano avec à nouveau le mythique démiurge Jean-Claude
Casadesus à la direction. Cohésion, élégance, raffinement, précision. Et de toutes parts : une générosité parfaite pour célébrer le langage commun à tous les peuples.
Commentaires
Retrouvez le livre de Gisèle Casadesus ici: http://www.babelio.com/livres/Casadesus-Cent-ans-cest-passe-si-vite...
Retrouvez le chef Joachim Jousse le 13 juin dernier aux 10 ans du lille piano(s) festival : https://www.flickr.com/photos/onlille/14249322869/in/set-7215764519...
Vidéo du Concerto pour piano de Viktor Ullmann qu’il a dirigé avec l’onl et Nathalia Romanenko
"Musique, religion, résistance à Theresienstadt", un article signé Élise Petit.
http://www.musicologie.org/publirem/petit_elise_musique_religion.html
si cela vous intéresse, voici un article éloquent à propos du rôle de la musique dans le système concentrationnaire pendant la deuxième guerre mondiale.
"L’acoustique de la salle, récemment rénovée, met remarquablement en valeur une belle sonorité, finement dégradée. La musique se déroule de façon limpide et transparente grâce à des mains sûres et une pensée rigoureuse qui se concentre sur l’essentiel. François-Frédéric Guy manifeste un soin maniaque dans l’exécution des traits, ce qu’illustre ensuite une Trente-deuxième Sonate (1820-1822) de Beethoven solidement construite, d’une clarté d’élocution parfaite et d’une grande élévation de pensée." La suite est ici: http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=9903
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Merci Deashelle ! Je viens d'écouter l'interview de Gisèle Casadesus : tout ce que j'aime ! Mais 100 ans, presque inimaginable. Un cas exceptionnel, un cadeau du ciel.
Lille ! Que de souvenirs s'y rattachent.
Une partie de ma famille habitait dans les villages et villes aux alentours. Quel plaisir en franchissant la frontière : j'y respirais un autre air, comme si la liberté venait à ma rencontre.
Enfance, adolescence .... La nostalgie m'envahit.
Quelques souvenirs, très peu, de théâtre (La Passion) de cirque (une fois). Opéras et opérettes étaient réservés aux adultes, mais des échos nous parvenaient. (La Traviata, Faust, Les Mousquetaires au couvent ....)
Ravie d'apprendre l'évolution de cette ville magnifique autrefois vouée aux grandes industries textiles.
L'un de mes ancêtres Quivron y a été maire .... il y a très très longtemps longtemps.
L'un de mes poèmes se termine ainsi :
"Pourquoi l'ai-je quitté mon village charmeur
Aux longs silences d'or peuplé de nostalgie ....? Oui Pourquoi ?
Pas trop de regrets cependant : l'errance vous apportent bien d'autres richesses.
Merci infiniment pour ce merveilleux reportage. C'est un beau cadeau et, par la pensée, c'est comme si nous y étions.