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Joan Miró était peintre, sculpteur, céramiste, graveur, assembleur, il était aussi poète à ses heures et, bien que sa langue fut le catalan, ses contacts avec la poésie française, avec Eluard, Leiris, Max Jacob et bien d'autres ont fait qu'il écrivit ses courts poèmes en français.

Il est difficile de faire le bilan d'une vie et surtout de mesurer ce qu'une première formation peut apporter à un créateur. La fréquentation des cours de Gali, la découverte des fresques romanes, la rencontre d'Artigas, de Gaudi, du marchand de tableaux Dalmau, de Picabia, tout cela lui a beaucoup donné, mais rien ne peut être comparé au séjour de convalescence qu'il passa au village de Montroing en 1911, à l'âge de dix-huit ans. "Montroing", dira-t-il, "c'est le choc préliminaire, primitif, où je reviens toujours. Ailleurs, tout se mesure par rapport à Montroing". Cet enracinement dans la terre catalane jouera un rôle capital tout au long de sa carrière; cependant on ne peut minimiser le rôle de Paris où le jeune peintre débarqua pour la première fois en 1919. Il parcourut les musés, les expositions d'avant-garde, il assista à l'une ou l'autre manifestation d'avant-garde, il assista à l'une ou l'autre manifestation dadaïste; il rendit visite à son concitoyen, Pablo Picasso. L'abondance des sensations le submerge à tel point que, pendant un séjour de quelques mois, il se sent incapable de tenir un pinceau. De retour à Barcelone, il recommence à peindre et il prépare son installation à Paris, pour l'année suivante. A partir de 1920, il s'installe dans un petit atelier, rue Blomet, et regagne régulièrement l'Espagne à la belle saison.

Il y a aussi tout ce que nous ne savons pas, que nous ne saurons jamais, les rencontres oubliées ou gardées secrètes, les songes perdus, les objets enfouis dans la mémoire.

Cela vaut aussi pour la suite, lorsqu'à Paris il fréquente Masson, mais aussi Reverdy, Tzara, Artaud et qu'il rend souvent visite à un marchand d'estampes où il peut voir des dessins et des gravures de Paul Klee.

En 1924, il rencontre Aragon et Eluard et participe désormais aux expositions organisées par les surréalistes. En 1929, il se marie, à Palma de Majorque, avec Pilar Juncosa, qui lui donnera une fille Dolorès, en 1931. C'est cette année-là qu'il expose des sculptures-objets. L'année suivante, il aura une commande de décor et de costumes pour le Ballet de Messine, "Jeux d'enfants", sur une musique de Bizet.

Sans qu'il se mêle activement de politique, les troubles en Espagne le touchent profondément. En 1937, il participe à la décoration du pavillon de l'Espagne républicaine à l'Exposition internationale de Paris. Son "Faucheur", haut de cinq mètres cinquante fut placé en face de "Guernica" de Picasso. Cependant il ne retourne pas dans son pays avant 1940. Il y vivra tout le temps de la seconde guerre mondiale. Ce sera pour lui une sorte de ressourcement. Isolé de la vie parisienne,

tenu à l'écart par le Gouvernement de Franco, il renoue avec ses amis de jeunesse, notamment avec le céramiste Llorens Artigas. Ensuite, après une exposition de ses "Constellations", à la Galerie Pierre Matisse à New York, il fera un séjour aux Etats-Unis, en 1947, pour exécuter une peinture dans un restaurant de Cincinnati; d'autres commandes suivront. Miró peindra un grand mur à l'Université de Harvard.

Désormais il est connu et fêté partout à travers le monde. Dès 1949, on organise des rétrospectives de ses oeuvres, la première eut lieu à la Kunsthalle de Bâle. En 1954 il participe à la Biennale de Venise comme invité d'honneur du Pavillon italien et il reçoit le prix international de la gravure.

A partir de 1956, il s'installe à Palma de Majorque où il dispose désormais de grands ateliers que lui a construit son ami J.L. Sert.

Les commandes d'oeuvres monumentales se font nombreuses, il érige de grands murs de céramique, avec la collaboration d'Artigas. Le premier et le plus célèbre est celui du Palais de l'UNESCO, à Paris, mais il faut citer aussi l'Université de Harvard, la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, le Musée Guggenheim à New-York.

Miró mourra à Palma de Majorque, le 25 décembre 1983.

Sa carrière avait commencé au milieu d'un des plus grands bouleversements qu'aient connu les arts plastiques: elle s'inscrit avec le cubisme, le futurisme, l'invention des diverses formes de l'art abstrait, elle débute au milieu de l'effervescence de Dada, elle se lie étroitement au Surréalisme, dont le peintre sera une figure de proue. Par la suite, les inventions de Miró seront à l'origine de

nombreuses mutations dans les arts, sans que, pour autant, le peintre soit le centre d'une école.

Envisageaons maintenant deux aspects de ses apports essentiels: la manière dont il envisage le signal pictural et le sens qu'il donne aux matériaux.

S'il est vrai qu'il y a de grandes différences entre les toiles peintes en Espagne entre 1917 et 1920 et les oeuvres très elliptiques qu'il élabore à partir de 1923, il n'en reste pas moins que pour lui, le signe pictural part toujours de l'évocation d'un objet visible, d'une situation concrète. A l'inverse de Magritte, il ne s'interroge pas sur les rapports entre la représentation et le représenté, pas davantage sur la dénomination des choses. L'allusion figurative, même si elle fait l'objet d'une métamorphose, est liée directement à une expérience située dans l'univers quotidien, elle est claire mais elle est surchargée de sens, la chose désignée draine après elle tout un monde où se mêlent l'apparence visible et les pulsions ou les fantasmes que suscite son

apparition. Transformations et schématisations s'expliquent par la nécessité de faire apparaître cette surcharge de sens. Le contenu émotionnel suggéré par la chose, par son aspect, par son rôle dans l'existence doit être rendu visible, mais Miró part toujours du connu, du familier, de l'éprouvé pour suggérer l'invisible, l'inconnu, l'émotion qui submerge ou l'ironie qui prend distance.

Dans les oeuvres les plus anciennes, surtout dans les natures mortes, ce qui frappe c'est l'isolement de chaque élément constitutif de l'image. Le peintre vise une lisibilité parfaite afin que chaque signe ait tout son sens. Il se sert de tout l'apport de ses prédécesseurs, notamment des leçons de Cézanne, pour construire un espace à partir de points de vues multiples. Ainsi chaque élément est porté vers notre regard selon son aspect le plus significatif. Cela n'empêche pas un certain réalisme, mais c'est à partir de cette option qu'apparaissent certaines étrangetés: ici un gant conserve le volume d'une main; là, sur la table, le coq et le lapin sont vivants à côté

de l'assiette où repose un poisson mort. Par ailleurs les figures sont immobiles, mais le tableau où se multiplient les angles est comme saisi d'un mouvement interne.

Par la suite, après ses contacts avec Paris, son style se décante, s'allège, se spiritualise. Le peintre ne s'intéresse plus à la masse et au poids des objets, ce qui l'attire "c'est la calligraphie d'un arbre ou des tuiles d'un toit, feuille par feuille, rameau par rameau"; mais qui dit calligraphie ne dit pas copie; dans cette surabondance de notations se révèle une stylisation de plus en plus poussée. "La ferme", qu'on peut encore appeler réaliste, annonce "La terre labourée", c'est-à-dire une schématisation extrême des signes qui cependant se rattachent toujours à des objets concrets. On reconnaît des animaux, des plantes, des personnages, mais le rapport émotionnel avec le représenté incite le peintre à créer un nouveau vocabulaire de formes allusives où se retrouvent constamment l'oeil, l'étoile, le sexe masculin, le sexe féminin, les seins, l'insecte, l'oiseau, le croissant de lune, le soleil.

Ces signes et quelques autres vont se rouver désormais associés dans de vastes champs colorés, où, après le lyrisme débordant de "La terre labourée" ou du "Carnaval d'Arlequin", les vides, les surfaces monochromes savamment modulés vont jouer un rôle majeur. Le tableau sera constitué d'un peit nombre de figures simplifiées, d'une grande densité de matière, surgissant en couleurs très contrastées sur le fond. Certains tableaux sont symboliques comme "Maternité", d'autres

comme "La siste" ou "Le chasseur" partent de la vision d'une scène familière pour recréer, en quelques traits, un monde heureux, pour signaler un mode de vie simple, pour manifester l'émerveillement ou, plus rarement, l'inquiétude.

Les moyens mis en place par Miró pour peindre ses propres fantasmes vont bientôt lui servir pour contester les formes traditionnelles, l'art des musées. C'est ainsi qu'après un voyage en Hollande, il peint trois versions d' "Intérieur hollandais", reprenant les thèmes d'oeuvres vues à Amsterdam pour caricaturer un art auquel il reproche de prendre la réalité au piège d'un miroir, où le sens vrai se perd dans l'insignifiance du sujet, où la fausse solidité des choses masque la vanité des apparences; on peut parler pour ces oeuvres et pour d'autres de la même veine, de

satires grinçantes mais on y retrouve cependant, dans sa violence, l'élan lyrique du "Carnaval d'Arlequin".

Cependant c'est un dernier feu d'artifice avant que ne s'installe l'inquiétude. Au début des années trente Miró abandonne la légèreté de ses arabesques pour chercher, parfois de manière pénible, un style plus construit. Pour y arriver, il fera d'abord des papiers collés, ensuite il peindra d'après d'autres collages. Une commande de cartons de tapisseries lui permettra, en 1934, de retrouver un moment, avec plus de vigueur, la liberté graphique de naguère, mais il reste angoissé et, en 1937, il passe plusieurs mois à peindre une nature morte réaliste qui tranche sur tous ses autres travaux de l'époque.

C'est au moment où commence la deuxième guerre mondiale que Miró, contre toute attente, retrouve la liberté de son graphisme; il commence une série de gouaches, "Les constellations", en Normandie, où il s'est réfugié en 1939, il les achèvera en Espagne en 1940 et en 1941. C'est vraiment l'aboutissement des travaux élaborés en 1923. Tous les éléments narratifs ont disparu au profit d'un jeu rythmique de signes. Les taches de couleur sont rares mais éclatantes, les fonds

sont clairs. Les figures nombreuses, liées entre elles par des tracés qui se rejoignent dans une sorte de labyrinte, sont dominés par les signes cosmiques, mais on reconnaît aussi des têtes, des yeux, des sexes. Miró dira de cette série: "La nuit, la musique et les étoiles commencèrent à jouer un rôle majeur dans mes tableaux".

Ces oeuvres dont les titres enchantent ("L'échelle de l'évasion", "Le bel oiseau déchiffrant l'inconnu au couple d'amoureux", "Le passage de l'oiseau divin"...) vont devenir pour Miró un prodigieux réservoir de formes; pendant plusieurs années il composera des toiles où il reprendra pour les approfondir quelques-uns des thèmes traités dans les gouaches. C'est aussi à partir de là qu'il composera ses premières peintures murales, voire ses murs de céramique.

Mais la perfection du tracé des "Constellations" pourrait, si la recherche se poursuit dans ce sens, aboutir à une sorte de formalisme. C'est pourquoi Miró revient volontiers, parallèlement, à des travaux plus rapides où l'improvisation reprend sa place. Il utilise alors des empâtements qui enrichissent la matière mais modifient la forme. A partir des années 1952-1953, les traits s'épaississent, la matière se fait plus dense, signe et mouvement du pinceau se confondent pour donner sens. Ce graphisme direct, souvent impulsif, incite parfois le peintre à reprendre des toiles

antérieures à la guerre, pour y ajouter en contraste violent, les traits épais de sa nouvelle peinture.

Ce qui caractérise les toiles de l'âge mûr, c'est l'importance croissante attribuée au mouvement. En fait, cette manière de concevoir la peinture comme l'expression du geste physique ou mental, du dynamisme corporel, comme du projet ou de l'espoir apparaît très tôt dans l'oeuvre de Miró. C'est qu'en effet pour lui, comme pour beucoup d'autres peintres, la chose est immobile lorsque nous la découvrons devant nous, mais le monde ne l'est pas, ni nous-mêmes qui regardons, ce qui est ressenti, à partir du regard sur la chose, c'est le désir, la menace, le corps dans l'action.

Beaucoup ont excellé à rendre le mouvement, à suggérer des trajectoires par l'orientation des lignes, par le vide, par l'instabilité des masses. Cela ne suffit pas à Miró pour qui le geste est aussi signifiant que la parole; c'est pourquoi il multipliera les signes du mouvement: des lignes, des pointillés, des accents figureront directement le trajet des êtres et des choses suggérés. Déjà les triangles, qui soutiennent les compositions des années 1917-1920, jouent ce rôle, mais cette

première solution n'était ni assez directe, ni assez simple pour résoudre le problème, car, dans ce cas, c'est la toile entière qui est entraînée dans un dynamisme sans direction privilégiée; c'est pourquoi, par la suite, Miró préférera tracer explicitement les trajectoires ou les suggérer par des flèches. Dans "La sieste", une flèche désigne ainsi le chifre 12 dans l'angle de la composition, l'heure attendue du repos au milieu du jour; une série de scènes de cirque, pentes en 1925,

sont le prétexte à dessiner littéralement les sauts, les culbutes, les jeux du jongleur,

la rapidité fulgurante du lasso; ailleurs le vol de certaines figures est suggéré par l'allongement des formes. Partout la trace du geste est retenue directement par le mouvement du pinceau, la ligne noire, rouge ou blanche est jetée sur la toile avec la vivacité même de l'action. Les rubans ondulés du "Carnaval d'Arlequin" reparaîtront pour figurer le mouvement hystérique dans "Intérieur hollandais". C'est cependant dans les "Constellations" que je jeu des lignes actives atteint son point culminant.

On ne s'étonnera pas, dès lors, de voir, dans les années 60, apparaître des signes qui sont en eux-mêmes, mouvements. Miró applique à cette époque, à la lettre, les indications données naguère par Paul Klee au sujet du dynamisme des lignes: le signe reste ouvert, il exprime de manière directe l'impulsion qui l'a fait naître.

L'aboutissement de ces recherches sera le tracé, exprimant immédiatement l'espérance ou l'angoisse, dans les deux tryptiques de la Fondation Joan Miró à Barcelone: "Peinture murale pour la cellule d'un solitaire", de 1968 et "Tryptique de l'espoir d'un condamné à mort", de 1974. Le dépouillement est absolu, quelques taches de couleur sur le fond blanc où s'inscrit, suivant la méditation elle-même, une épaisse trace noire qui s'élance, se courbe sur soi ou s'interrompt.

A partir du moment ou le geste est directement signifiant, il devient moins important de représenter, même de manière elliptique et allusive, des objets du monde; ce qui doit apparaître, c'est l'émerveillement devant le surgissement des formes colorées sur le panneau ou sur le mur; toutes sortes d'expériences seront alors possibles: coulées, traces de la main posée à plat, jets de couleurs. L'accident devient signe, il prend sens sous nos yeux, c'est l'événement pur, la chance, la joie de voir naître l'imprévisible.

 

Voir 2ème partie ici

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