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RENCONTRE : FRANÇOISE VAN HERREWEGHE

RENCONTRE : FRANÇOISE VAN HERREWEGHE

Françoise Van Herreweghe a suivi un cursus artistique avant de s’installer à Paris. Depuis bientôt quarante ans, elle y réside, travaille dans un musée et rédige de la poésie, dont deux recueils ont fait l’objet d’une publication. Des livres qui nous invitent à regarder l’univers au travers de ses manifestations profondes, étranges et symboliques. Ce prisme sensible laisse percevoir une vision où des mondes sont créés, ceux que nous pouvons dans notre imaginaire baigner de forces vives. Rencontre.

 

Quelle est votre formation ?

J’ai terminé mes études dans l’apprentissage du dessin à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles au milieu des années 1980. Les cours généraux étaient assurés, notamment, par Pascal Vrebos, alors fort jeune professeur de sémantique et pas encore vedette à la télévision belge, ainsi que par Guy Gilsoul, critique pour l’hebdomadaire Le Vif/L’Express, chargé des cours d’histoire de l’art et d’esthétique. Les ateliers étaient assurés, entre autres, par les peintres Marianne Dock et Charles Szymkowicz. Une solide formation ! Ensuite, je suis montée à Paris pour suivre des cours d’art dramatique et vivre un nouveau chapitre.

 

Que lisiez-vous étant jeune ?

J’ai commencé par la Comtesse de Ségur avec Les mémoires d’un âne, auteure qui avait le don de mettre en place des histoires qui parlent aux enfants, avec des personnages attachants. On l’oublie aujourd’hui mais, à l’époque, tous les jeunes connaissaient et aimaient ses ouvrages, qui étaient régulièrement adaptés pour le cinéma et la télévision. Plus tard, je me suis nourrie de Balzac, Stendhal et Flaubert, des classiques qu’il faut lire au moins une fois dans son existence. Ensuite, il y a eu la découverte de Patrick Modiano, dont je peux dire que j’ai lu tous les livres. Pour moi, il est l’auteur du temps qui passe et ses romans dégagent un fort sentiment de mélancolie traversé de nostalgie. Je n’oublie pas de citer Françoise Sagan avec Bonjour Tristesse, une femme exceptionnelle au destin tragique, et une poignée d’écrivains dont l’importance reste majeure : François Mauriac. Georges Duhamel, Julien Green, Ernest Hemingway, Somerset Maughan et ses nouvelles, Henry James et Arthur Rimbaud, le voyant par excellence, le grand novateur dans le domaine de la poésie, celui à qui toutes celles et tous ceux qui font de la versification doivent énormément.

 

Jean Cocteau et Serge Gainsbourg vous ont toujours fascinée.  De quelle manière vous nour-rissent-ils ?

J’ai découvert Jean Cocteau très jeune avec le film La Belle et la Bête, un long métrage magique dont le succès doit énormément au jeu de Jean Marais et Josette Day. Une réalisation en noir et blanc de toute beauté, inventive, intemporelle et qui m’a marquée pour longtemps. Puis, sont venus ses livres.  Il s’est imposé à moi par son univers décalé, irrationnel et sa poésie qui ne fait jamais joli ou touchant, mais qui se révèle âpre. En cela, il rejoint les surréalistes, tout en demeurant une personnalité inclassable. Je l’ai toujours considéré comme faisant partie de ma famille. A part La Belle et la Bête, plusieurs de ses autres films m’ont fascinée par leur esthétique singulière et leur découpage. Je retiens particulièrement Orphée et Le Testament d’Orphée, ainsi que Les Enfants Terribles. Des créations portées par une liberté absolue de style. Admirer un artiste ne s’explique jamais ou presque jamais. Quant à Serge Gainsbourg, il m’a accompagnée au cours des années 80, durant lesquelles je découvrais ses chansons des années 70 que j’adore toujours, en passant aussi par ses musiques de film. Comment se lasser du mythique Melody Nelson, album concept à l’époque incompris, et de L’Homme à la Tête de Chou ? Son écriture m’a beaucoup influencée, lorsque j’ai commencé à écrire quelques chansons vers quatorze ans. Cela devenait comme une école. Son exemple m’a appris l’exigence, la musicalité et la combinaison des mots. Surtout la recherche du mot exact comme il disait et j’ai toujours eu cette volonté de cibler une exigence. Tous deux continuent de m’inspirer et font partie de ma vie. Ils seront toujours là ! Présents et distants. Ils ne m’envahissent pas, mais sont près de moi comme des ombres tutélaires.

 

Pourquoi avoir emménagé à Paris au milieu des années 80 ?

J’ai toujours su depuis l’enfance que je ne resterais pas en Belgique. Mystère de l’intuition. Et Paris apparaissait telle une évidence ! On y parle le français, puis cette ville se singularise par son côté paillette, son Histoire et ses promesses. Comme si je retrouvais quelque chose de familier là-bas ! Une ville, c’est une rencontre. Elle est aussi celle du cinéma, où tous les vieux films que j’ai vus avaient été tournés. Mes attentes n’ont pas été déçues et je suis encore éblouie par Paris ! Je passe et repasse par les mêmes endroits avec la même admiration intacte. Bruxelles est mon enfance, mes parents, ma famille. Un rivage lointain, des souvenirs !

 

Avez-vous quelques anecdotes sur votre arrivée à Paris ?

Le jour de mon départ, le 4 janvier 1987, tout était figé par la neige et les trains ne pouvaient pas assurer le transport des voyageurs. Il a fallu partir en car. Ma mère m’avait accompagnée et m’avait regardée partir. Je vivais beaucoup plus l’instant présent qu’aujourd’hui. Seulement plus tard, on mesure les actes. J’allais dormir chez un ami, colocation, études de théâtre au Cours Florent, jobs occasionnels et promenades sur les quais de la Seine avec les premiers walkmans à cassettes de l’époque.  Et j’écoutais quoi ? Serge Gainsbourg, Jane Birkin, Etienne Daho !

 

A l’époque, les Belges n’étaient pas encore des vedettes dans l’Hexagone. Quel regard les Parisiens portaient-ils sur eux ?

Oui, il y a une belle évolution des Belges à Paris ! Très tentant pour les acteurs francophones d’émigrer là-bas. Pour faire carrière, rien ne vaut cette capitale, qui peut ouvrir les portes du septième art, de la pop et des théâtres pour les gens talentueux. Ce qui représente la Belgique plaît maintenant beaucoup. Mes compatrio-tes possèdent une espèce de singularité presque exoti-que pour les Français, une sorte de surréalisme typique et un sens de l’autodérision qu’on rencontre fort peu ailleurs. Nous sommes voisins, si proches et, cepen-dant, tellement différents. En ce qui concerne les artistes qui ont réussi à Paris, ma préférence va à Benoît Poelvoorde et à Cécile de France.

 

Dans votre vie active, vous avez sans cesse cherché un rapport avec l’art. Quels métiers avez-vous exercés ?

J’ai beaucoup travaillé avec Virgin, grand distributeur dans le domaine des loisirs avec de la musique, du cinéma et des livres. Une émulation naît forcément dans ces lieux vibrants et énergiques, où l’on peut faire des rencontres étonnantes avec des artistes. Les mu-sées ont toujours été pour moi des lieux de prédilection où, parfois, on peut presque se recueillir comme on le fait dans une église. Actuellement, je travaille aux Archives Nationales, un endroit ayant appartenu à certaines grandes familles de la noblesse au XVIIIème siècle. Il s’agit d’un lieu à la fois de transmission et patrimonial, où l’on guide les gens vers une connaissance de l’archive depuis le début du XIXème siècle sous Napoléon 1er. Des grands salons baroques accueillent le public en plein centre du Marais, où ont vécu les princes de Rohan-Soubise.

 

A quel moment avez-vous cherché à vous faire publier ?

En 2013, je me suis lancée dans l’autoédition pour Opus Focus. Ensuite, en 2018, pour la seconde version de ce livre, j’ai été acceptée aux Editions Unicité. Ma poésie n’est pas en vers et, même si je conserve le principe des strophes, elle dégage une grande liberté dans les rimes, que je ne veux pas trop régulières ni répétitives. Disons, alors, de la poésie en prose ! J’aime aussi les sonorités heurtées et les associations incongrues. Je m’éloigne du lisse. Disons que je privilégie les aspérités !

 

A quel type de mouvements rattachez-vous votre poésie ?

Elle se trouve en résonance avec le symbolisme et le surréalisme, une frontière floue entre le visible et l’invisible, pour frôler le mystère autant que les jeux d’ombres et de lumières. L’inconscient y règne en maître, l’enfant chéri des surréalistes !

 

Cherchez-vous à faire passer des messa-ges ?

Non, surtout pas et je détesterais ça ! C’est toujours un peu présomptueux, les messa-ges. Je ne souhaite pas expliquer quoi que ce soit et chacun est libre de trouver telle ou telle signification à laquelle il peut s’amu-ser à faire référence. Une fois publié, mon recueil passe librement entre les mains de chacun, qu’il aime ou non.

 

En quelles circonstances, le comédien Jean-Claude Dreyfuss a-t-il déclamé votre recueil ?

Je l’ai rencontré lors d’une de ses représen-tations au Théâtre Rive-Gauche, où il jouait avec Francis Huster La trahison d’Einstein. J’ai trouvé un lieu qui s’appelait “Le Caba-ret du Néant“, l’ancêtre d’un cabaret du même nom fondé en 1892 sur le boulevard de Clichy, où ont trôné les célèbres cafés baptisés “L’Enfer“ et “Le Paradis“. Je me suis dit que cette adresse lui correspondrait bien et, pour ma part, il était dans la veine surréaliste. Jean-Claude Dreyfuss a dit les poèmes et ne les a pas déclamés. La déclamation est une expression du texte qui est forcée, emphatique et vue, aujourd’hui, comme péjorative. J’en garde un souvenir ébloui et, en même temps, ce moment ne m’a pas semblé réel. Je me sentais trop à distance de ce qui était en train de se passer. Sinon, je conserve une très grande reconnaissance pour le public qui est venu découvrir mon travail et envers Jean-Claude Dreyfuss qui s’est montré d’une belle générosité à mon égard.

 

De quoi parle Opus Focus ?

Opus Focus est un défilé de tout ce que j’ai écrit, avec des textes parfois très anciens, dont quelques-uns ont été retravaillés et corrigés. Ce livre parle énormément de la nature, la principale inspiratrice, et aussi de tous ces arrière-mondes qui habitent souvent l’écriture. Le titre signifie musique et image.

 

Il y a un autre ouvrage intitulé The Speed of the Horses. Pourquoi la langue de Shakespeare ?

The Speed of the Horses, que je traduis littéralement par La vitesse des chevaux, est à ce jour mon deuxième opus littéraire publié. Le cheval est un symbole d’énergie et de force dans la mythologie. Je crois qu’il fait partie des animaux psychopompes aussi, capables de conduire les âmes des morts vers leur destination. Petit clin d’œil aux Rolling Stone, ces textes en anglais sont des chansons inspirées par la pop anglaise des années 70 et 80, mais nés de leur musique et non de leurs lyrics, à l’exception de The Pink Floyd, David Bowie et Jim Morrison. Ces trois-là possèdent un univers très singulier, sombre et lumineux. Ils ont osé écrire des textes irrationnels, loin de toute histoire narrative. On trouve également dans ce recueil quelques adaptations de mes textes en français. Adapter et non traduit car, en poésie, il est pratiquement impossible de respecter le sens ou la sensation si on s’attache à traduire mot à mot. Surtout dans la langue de Shakespeare, qui est par nature plus abstraite que le français et donc plus évasive !

 

Entretenez-vous encore des liens avec Bruxelles ?

Evidemment, car elle reste la capitale de ma naissance, de mon enfance et de ma scolarité. Les racines restent très fortes même si j’ai rêvé de m’en éloigner. J’y possède encore un reste de famille et quelques connaissances. Quand j’y reviens, j’ai la sensation d’un retour en eau froide, parfois aussi ! La vitalité y est tellement différente de celle qui anime Paris et de ce que j’y vis !

 

Retrouvez Françoise Van Herreweghe sur le site www.editions-unicite.fr

Propos recueillis par Daniel Bastié (article publié dans Bruxelles Culture)

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