Il y a l’aquarelle « faite pour être vue » dont le produit de plus en plus élitiste et sophistiqué se structure en pyramide dans une perverse course en avant initiée par les salons à la mode : - cette forme d’aquarelle détient-elle « l’entière vérité » ?
- Le mécanisme économique produit par les tendances ainsi déterminées, est-il représentatif des initiatives individuelles échappant au système qui en découle, des expressions oubliées, des créateurs isolés ?
…Ou du plaisir de peindre comme on veut, loin des courants structurés ?
- Ce que l’on fait dans ces cas-là, est-il méprisable ?
Bien sûr, l’aquarelle dite « de création » est parfois une aquarelle d’action. Il y a le geste, l’implication, l’intention…
Plus simple, il y a l’aquarelle « de contemplation », à mes yeux davantage en harmonie avec les équilibres naturels révélant d‘autres formes de beauté que celles produites par l’humanité et ses civilisations
L’aquarelle de voyage, relève souvent de cette dernière forme d‘expression.
Et puis, il y a l’aquarelle faite pour être vécue (l‘aquarelle de voyage en fait également partie).
Mais vécue autrement, loin des élitismes de toutes sortes. Pour soi, bien qu’elle puisse être partagée.
Il y a aussi action et « action ». J’évoque ici une action forcément différente de ce que l‘on peut généralement imaginer.
Une action plus « impliquante » qu’une simple promenade picturale, qui peut être créative si elle débouche sur un acte global assimilable à un « produit » créatif. L’ensemble pouvant alors être considéré comme une démarche artistique à part entière, à la fois active et créative.
« Petit matin au refuge Vallot ». Cette aquarelle figurative de 55 x 70 cm date des années 1970 (elle a aujourd’hui retrouvé la proximité du Mont Blanc dans la collection privée d‘un alpiniste de la vallée). Réalisée d’après les notes prises sur place à l’occasion de mon ascension du sommet. Elle était déjà dans l’esprit de cet inséparable relation « création - action » au cœur de la nature chaque fois qu'elle dépasse l'échelle humaine…
Cette forme d’aquarelle « d’action » sera alors forcément aquarelle de création, car née au cœur de l‘action ou de la pensée incarnée par l‘action, même si le résultat ne correspond pas forcément aux critères définis par les canons de la « beauté » en matière d‘aquarelle contemporaine.
- Où situer ce concept dans un monde qui ne vous juge que par votre valeur médiatique ?
- Et comment en démontrer la valeur, quand il suffit d’acheter un billet d’avion pour aller à l’autre bout du monde initier un carnet de voyage ce qui, (tout problème de budget mis à part), est à la portée de tout le monde aujourd’hui ?
Maintenant, tout à été fait. Les réseaux sociaux regorgent d’œuvres magnifiques dont la plupart des auteurs sont complètement inconnus.
Même nos « élites » et « chefs de file » dans cette discipline n’ont pas fait mieux que nos grands maîtres du passé qui avaient pourtant bien moins de moyens que nous….
Bien sûr, la subjectivité est reine en matière d’expression artistique, mais lorsque j’ai découvert en art les dégâts provoqués par les idéologies dominantes sur nombre de créateurs isolés, le pouvoir qu‘elles peuvent exercer à travers la puissance médiatique, l‘hégémonie des courants à la mode indissociables des intérêts économiques, j‘ai fui en me réfugiant dans ces valeurs essentielles dont Michel Onfray et François-Xavier Bellamy, à travers le passionnant entretien croisé entre ces deux philosophes paru dans le Figaro du 25 mars 2015 à l'occasion de la sortie du livre de Michel Onfray, « Cosmos », déplorent la raréfaction.
Je cite deux ou trois phrases qui sans les couper de leur contexte rejoignent (par rapport à la nature) le fond de ma pensée :
LE FIGAROVOX. « - Michel Onfray, dans Cosmos, le premier volume de votre triptyque philosophique, vous rappelez la beauté du monde. Nous ne la voyons plus ? »
*Michel ONFRAY. « - Nous avons perdu l'émerveillement. De Virgile jusqu'à la naissance du moteur, il nous habitait. Mais depuis, nous avons changé de civilisation: de leur naissance à leur mort, certains individus n'auront vécu que dans le béton, le bitume, le gaz carbonique. Des saisons, ils ne connaîtront que les feuilles qui tombent des quelques arbres qui restent dans leur rue.
Il s'agit d'une véritable rupture anthropologique et ontologique: la fin des campagnes, la mort de la province et de la paysannerie au profit d'une hyper cérébralisation. Le vrai problème n'est pas l'oubli de l'être, comme disait Heidegger, mais l'oubli des étants qui constituent le Cosmos. »
*François-Xavier BELLAMY. « - Il faut aller plus loin encore: l'homme n'est plus en contact avec la nature qui l'environne, ni surtout avec la nature dont il se reçoit… Nous avons perdu le sens des saisons, mais aussi celui du rythme naturel de notre propre vie. Le citoyen est devenu citadin, et il a oublié que l'homme ne se construit pas ex nihilo, qu'il n'est pas un produit parmi d'autres, artificiel et transformable, dans la société de consommation. »
Alors, pour retrouver ce sens de l’émerveillement, pour vous le faire partager, pour renouer picturalement, activement (par le biais de l’aquarelle mais pas seulement, j’y reviendrai plus tard), avec la nature et l’intimité des éléments naturels, je suis revenu au contact de ces choses simples (en apparence) que sont l’air et la terre, en essayant d’en extraire l’essence, en les prenant à ma façon à « bras le corps ».
Dans l’esprit de la formidable aventure de « L’Aven aux Merveilles », quand vous m’avez accompagné dans l’exploration des nuits karstiques de l’Aven Noir en compagnie de Roland Pélissier, je vous invite cette fois à me suivre à travers de nouvelles aventures où action et création mêlées vous ouvriront d’autres perspectives sur le croquis aquarellé et l’aquarelle, loin des sentiers battus déjà tracés par les maîtres de la discipline, présents et passés.
Une banale prise de notes comme celles qui sont à l’origine de mon aquarelle du refuge Vallot. C’est sous cet immense porche que je vous donne rendez-vous dès le prochain article pour partir avec moi vivre de nouvelles aventures aptes à nous émerveiller en mêlant création et action. C’est d’abord à un nouveau concept que je souhaite vous inviter…
*François-Xavier Bellamy est maire adjoint de Versailles (sans étiquette). Ancien élève de l'École normale supérieure et agrégé de philosophie, il enseigne en classe préparatoire. Il est également l'auteur de Les Déshérités, ou l'urgence de transmettre paru aux éditions Plon en septembre 2014.
*Michel Onfray est philosophe. Après le 21 avril 2002, il fonde l'Université Populaire de Caen. Son dernier livre, Cosmos, est paru chez Flammarion. Vous pouvez retrouver ses chroniques sur son site.
Commentaires
Ce n'est que le premier d'une série dans laquelle j'essaie d'explorer d'autres approches de l'aquarelle et des expressions picturales que nous connaissons. J'espère que l'engagement et les efforts que ces expériences impliquent pour moi ne resteront pas inaperçus et vains, car c'est un véritable partage des enseignements que j'en retirerai que je souhaite rendre profitable à autrui...
Belles performances comme nous y sommes habitués.
Bravo et merci Alain pour ce beau billet instructif.
Bonne journée.
Adyne
Tout à fait d'accord, Liliane !
Ah quel beau billet !
Toutes ces différences autour d'une même technique, tous ces aspects !
La plus pure , la plus vraie est pour moi, sans aucun doute, l'aquarelle prise sur le motif, en plein air, avec ses différences de température, d'humidité, de luminosité avec ces nuages qui passent nonchalamment, obscurcissant les couleurs, annihilant les contrastes, oui, quelle prouesse de pouvoir peindre non ce que l'on voit ni ce que l'on veut que les autres voient, mais bien ce que l'on sent, ce que l'on vit, du plus profond de notre être.
Voilà la vraie prouesse.