Publié(e) par Robert Paul le 20 novembre 2009 à 6:17
On peut se demander pourquoi la capitale d'un petit royaume aux marches de la francité s'est
trouvé par deux fois le terrain fécond de mouvements d'avant-garde, symbolisme et
surréalisme, qui bouleversaient toutes les traditions. Le Bruxelles d'alors était une ville
bourgeoise de moeurs provinciales, où les gens ne semblent pas prêts à s'engager dans des
controverses littéraires ou artistiques. Dans cette cité divisée en haut de la ville opulent et
bourgeois et bas de la ville plus populaire, on reconnait à tous les habitants un certain bon sens
et de l'humour. Ceux du haut de la ville sont instruits, et pour la plupart intéressés par les
expositions, ils lisent romanciers et poètes. Ils vont au concert et à l'opéra, chez eux, ils
chantent ou pratiquent des instruments mais c'est un public traditionnel qui accepta avec
quelque lenteur certains aspects du symbolisme mais qui fut tout à fait rétif lorsque dans les
années 20, le surréalisme se manifesta dans ses murs. Il reste que c'est en cette ville que se
forma un des groupes les plus actifs du surréalisme, il compta dans ses rangs des peintres et
des poètes mais aussi des musiciens, il faut donc croire que malgré l'hostilité de la majeure
partie du public le milieu était favorable.
A y bien réfléchir la situation de Bruxelles n'est pas si mauvaise qu'on pourrait le croire
d'abord, bien qu'elle comptat à l'époque fort peu d'étrangers parmi ses habitants c'est une ville
assez ouverte, des échos de manifestations artistiques lui viennent de Paris certes mais aussi de
Cologne, de Berlin ou d'Amsterdam, en outre l'auto-dérision si puissante aujourd'hui existait
déjà, poussée à l'excès, elle pouvait susciter parmi les jeunes, excédés de l'ambiance ouatée des
hôtels de maîtres, l'envie de casser les trop beaux miroirs. C'est ainsi que, à l'exemple de Dada,
la violence verbale se manifeste dès 1925 dans de petites revues comme Oesophage et Marie
lancées par R. Magritte et J.L.T. Mesens cependant que d'autres, Paul Nougé, Camille
Goemans et Marcel Lecomte, publient de véritables tracts dans Correspondance.
Un autre aspect fut peut-être déterminant: sans être une simple bourgade Bruxelles n'était pas
une très grande ville, loin d'être perdus dans l'anonymat des foules, les gens avaient presque
tous un visage les uns pour les autres. Dans un tel milieu le mépris ou le respect ont plus de
sens parce qu'ils visent des personnes et non des idées. Les surréalistes se présentèrent
d'amblée comme hostiles à la société dans laquelle ils vivaient et leurs revues éphémères
apparurent comme de véritables pamphlets qui bouleversaient le paysage tranquille de leurs
concitoyens. Mais dans de telles circonstances l'hostilité entre les bourgeois et les artistes du
groupe pouvait jouer le rôle d'un levier qui servait le mouvement et soudait entre eux les
artistes. Les expositions de Magritte furent longtemps désertes et le public ignorait encore
superbement les collages de Mesens dans les années 50, mais c'est contre les traditions
bourgeoises de leurs concitoyens qu'un certains nombre de textes ou de peintures virent le jour
et cette hostilité fut un ferment et une raison de poursuivre la lutte. Le mépris des intellectuels
Bruxellois renforça la conviction d'être de véritables révolutionnaires d'un Nougé ou de J.L.T
Mesens.
Le surréalisme a vécu à Bruxelles dans un milieu relativement restreint, plus d'une invention de
Magritte vise à la fois à fasciner le spectateur et à ébranler les idées reçues, il en va de même
pour les textes de Nougé ou de Lecomte. Ces oeuvres s'adressent à la fois au petit groupe qui
accepte les principes du mouvement et à ceux, un peu plus nombreux, hommes en chapeau
melon et dames portant voilette, qui forment le public bourgeois à la fois désiré et honni.
C'est ce jeu déroutant d'amour haine qui suppose qu'on se connaisse qu'on se croise dans la
rue, qu'on soit très proches les uns des autres qui est une originalité féconde du surréalisme
bruxellois.
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