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Petite histoire d'un juif.

 

Petite histoire d’un juif.

 

J’étais journaliste à cette époque. Il y a longtemps que je souhaitais d'aller en Israël. Non pour y vivre comme Hector qui en était revenu, ni comme Michel qui y était enterré. Je me demandais si Israël ressemblait à l'idée que je m'en faisais. Un Israël mythique avant d'être un territoire.

C'est l'image qui me venait sous la plume. Une terre où des intellectuels s'étaient faits agriculteurs, envahie par des malheureux qui n'avaient pour but que de vivre comme des êtres humains après avoir vécus comme des bêtes.

C'était aussi une formule qui pouvait s'inscrire dans un article. Mais dans cet Israël là, terre de Sion et des Hébreux,  les palestiniens avaient une présence qui tenait du théâtre, et perturbait mon raisonnement.

Peut être que l’incroyant que j'étais avait envie de mettre ses pas dans ceux du christ.

Le rédacteur en chef avait approuvé.

- Un article sur Israël, ce n'est pas une mauvaise idée. N'oubliez pas de parler des Arabes.

Je suppose qu’il y en avait, mais je n'ai pas rencontré d'Arabes en Israël. A Jaffa peut être, à proximité de la mer, dans un établissement semi-restaurant, semi-bistrot, où un employé du consulat m'avait invité à manger une friture. C'était à la fois le patron et le serveur.

- Il n'est pas juif ? Je ne vois pas de différence entre lui et ceux que vous appelez des Sabras.

- Je n'en vois pas non plus. Il n'est pas juif, c'est sûr, mais les israéliens ne sont pas juifs non plus, dans leur majorité je veux dire. Ils ne sont pas très portés sur la religion, vous savez. Et ils n'apprécient pas tellement les juifs qui ne vivent pas en Israël, religieux ou non.

C'est une nation qu'ils s'efforcent de créer. Ils prétendent d’ailleurs, pour se distinguer des juifs de l'étranger, qu'ils ne sont pas juifs mais israéliens. Cet homme là, il est israélien, si vous lui posez la question.

-  C'est compliqué d'être juif. Mon père disait qu'un juif, lorsqu'il veut se gratter l'oreille gauche passe le bras droit derrière la tête. C'est pour eux qu'on a inventé la formule: pourquoi faire simple quand on peut faire " compliqué ".

-Tu es juif, toi aussi?

C'était un garçon de grande taille, blond et les yeux rieurs.

- Pourquoi. Je n'ai pas le type?

Je suis resté trois jours en Israël. Le temps de mettre mes pas, effectivement, dans ceux du christ, et de visiter Jérusalem où se côtoyaient juifs orthodoxes et arabes.

L'article que j'ai écrit en rentrant, après un tableau d'ambiance, insistait sur l'entente des juifs avec les arabes, et celle des arabes avec les juifs. Deux peuples sans doute, mais une seule nation. J'en ai eu beaucoup de compliments.

Lorsque des amis m'ont proposé d'adhérer aux amitiés belgo-palestiniennes, j'ai signé une pétition qui prônait l'amitié entre les peuples, et j'ai proposé d'assister à un colloque qui devait avoir lieu au Caire.

Finalement, je ne suis pas parti. Jean Clément, un jeune avocat qui était devenu mon ami, le secrétaire du mouvement, après une réunion du bureau, m'avait demandé de rester. Il avait l'air ennuyé.

- Ca ne va pas, Jean?

- Ils ne t'ont pas accordé de visa.

- Quel visa? Qui ça ils?

- Ce n'est pas notre faute, Pierre. Ils m'ont téléphoné de l'ambassade. Ils disent que ce ne serait pas indiqué qu'un juif participe à ce colloque, au Caire.

- Ils t'ont demandé si j'étais juif? Tu leur as dit que j'étais juif? Je rêve, dis-moi. C'est la guerre, et les allemands sont toujours là.

J'avais le cœur qui battait, mes joues étaient brulantes.

- Je t'en prie Pierre. J'ai demandé tous les visas, pour chacun d'entre nous, dans le même courrier, en même temps. C'est ton nom qui les a frappés. Je ne savais même pas que c'était un nom juif. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si tu étais juif ou non. Et même si tu es juif, c’est ton droit, ça n'empêche pas.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait.

- Pour le bien du mouvement, les choses sont déjà tellement avancées, et nous avons des idées à défendre, je pense que tu aurais fait comme moi, j'ai dit: d'accord.

Le colloque, à ce que j'ai appris, avait été un succès. On avait cité la délégation belge dans la presse, et un officiel avait félicité Jean pour la hauteur de son intervention. J'aurais été satisfait, Jean avait utilisé certaines de mes formules dans son intervention.

Je n'ai plus participé aux réunions du bureau.

Un jour, j'ai cessé de proposer des articles au rédacteur en chef du journal. Je suis retourné à l’anonymat du secrétariat de rédaction. Il paraît que monsieur Balder, le patron du journal, en avait été surpris. Il aimait bien la manière dont, en quelques lignes, j'évoquais une atmosphère, une ambiance.

- En quelques lignes, Pierre se fond dans un milieu. On dirait qu'il en fait partie.

Oui, pensais-je, mais qui est Pierre?

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Commentaires

  • Bravo: j'aurais fait de même .... et je l'ai déjà fait lorsque le dégoût prenait le dessus.

    Le patron avait raison et je vous l'ai déjà dit : en quelques lignes .... vous êtes le champion dans l'évocation d'une ambiance , d'une atmosphère. Mais effectivement qui est Pierre ? un être humain qui, comme beaucoup, s'est fait doubler par celui qu'il croyait être son meilleur ami. Navrant .... mais trop souvent courant, hélas ... 

    Merci pour cette nouvelle et pour la tentative de mettre Pierre dans les pas du Christ qui était Juif après tout.

    Bonne soirée. Rolande

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